La biologie dans l’université et les institutions de recherche françaises
La biologie est la discipline scientifique qui emploie le plus de chercheurs aujourd’hui et qui joue un grand rôle pour la recherche et pour l’avenir. Mais qu’a-t-elle de particulier ? Philippe Kourilsky, membre de l’Académie des sciences, titulaire de la chaire d’immunologie moléculaire au Collège de France, a dressé le bilan de l’enseignement de cette discipline en France. A la lumière de son expérience, il compare avec l’étranger pour éclairer certains conservatismes français.
S'il convient d'annoncer d'emblée que notre pays, dans le domaine des sciences de la vie, dispose d'atouts incontestables, on peut néanmoins craindre que les défauts structurels de notre système d'enseignement supérieur ne dissipent nos chances... C'est par cette idée que Philippe Kourilsky a commencé son exposé devant les membres de l'Académie des sciences morales et politiques réunis en séance le lundi 30 novembre.
Puis il a donné quelques éléments spéficiques à la biologie : une science très évolutive, en pleine expansion, dont le niveau technique est sophistiqué, dont les données quotidiennes sont tellement massives qu'il est devenu difficile de les classer. La biologie se croise aussi avec la sociologie, les sciences de la vie, la santé, la nature ; elle est donc immergée dans un contexte social particulier.
En France, elle doit faire face à de sérieux problèmes. A commencer par celui du grand nombre de jeunes diplômés qui n'arrivent pas à développer leurs recherches en France et doivent aller s'épanouir ailleurs.
Des problèmes de structure aussi. La dichotomie française entre grandes écoles et université est bien connue ; si les grandes écoles d'ingénieurs ont introduit la biologie dans leurs enseignements (et lui-même, l'a introduite à Polytechnique), elle ne figure toujours pas dans les programmes des classes préparatoires. Les sciences de la vie ne sont donc plus l'apanage de l'Université.
Philippe Kourilsky déplore aussi l'absence de campus, un lieu qui crée du lien entre toutes les disciplines scientifiques et permet de nombreux contacts. De même, il est déçu que le milieu privé ne prenne pas en considération le niveau d'une thèse de doctorat, et que les grands organismes de recherche monopolisent les moyens et les intelligences au détriment de l'Université.
Bien entendu, il n'est pas question de détruire le système des grandes écoles et des grands organismes de recherche mais il faut conduire une réflexion approfondie sur l'Université. Avec la réforme actuelle, les grandes universités vont gagner en autonomie (et c'est souhaitable) mais les organismes de recherche sont-ils disposés à repositionner leurs moyens, à ajuster leur rôle ? Et de leur côté, comment les universités vont-elle décider de leur politique de recherche sans dépendre des autres ?
Une expérience à l'étranger
Fort de son expérience de professeur à l'étranger (Etats Unis et Singapour en particulier), le communiquant pose la question : comment est perçu notre dispositif à l'étranger ? Réponse : "il rencontre une incompréhension totale ! ".
Et Philippe Kourilsky de relater comment il a fondé à Singapour le Haut Institut de recherche en biologie, et comment, en vingt ans, on est passé de rien à un pôle comportant maintenant plusieurs Instituts de 3 à 400 personnes. Il souligne la vitesse et la volonté d'exécution des autorités pour créer de véritables villes consacrées à la recherche scientifique, un état d'esprit habité par la volonté d'un progrès continu, une capacité à se critiquer, s'évaluer, une remise en question permanente constructive. Les indicateurs de performance ? Dans l'Institut dont il est président, il n'en a jamais eu peur puisqu'ils sont établis avec l'accord des évalués eux-mêmes. Il cite également l'exemple de l'Institut Pasteur de Corée du Sud.
Quelques points de vue personnels...
- Un constat tout d'abord : "l'extraordinaire puissance des conservatismes" dit Philippe Kourilsky qui n'hésite pas à dénoncer ce "scandale d'une fausse idéologie de l'égalité qui favorise en réalité l'inégalité". Depuis que l'on veut ouvrir l'université à tout le monde, on a accru l'inégalité, renforcé le pouvoir des écoles (les grandes et les autres dont le prix est élevé...).
- Autre constat à regretter : "le peu de confiance dans nos jeunes ! en France, on est jeune chercheur à 40 ans passés ! Et l'on devient directeur de recherches encore plus tard..."
- Enfin, Philippe Kourilsky remarque que la classe politique française est très peu imprégnée de sciences... que des grandes écoles qui sont "la fabrique des élites", comme l'ENA (Ecole Nationale d'Administration) ne donnent aucune place aux sciences.
D'où la question posée devant ses confrères : D'où vient ce conservatisme ? Vient-il des universitaires eux-mêmes et dans ce cas, pourquoi ces craintes, ces crispations ?
Certes aucun système n'est idéal, mais si l'on regarde du côté des universités étrangères, il existe des qualités dont on pourrait sans doute s'inspirer.
Une réflexion en profondeur
Pour terminer, le Pr Kourilsky, en "pasteurien" qu'il est, se pose à nouveau la question de Pasteur : quelle est l'utilité de la science ? Est-elle "altruiste" (autrement dit destinée au bien d'autrui ) ; ou est-elle "égoïste" (c'est à dire repliée sur elle-même, la recherche pour la recherche sans souci d'utilité) ? : "Une réflexion rétrospective et prospective sur la place de la recherche dans l'espace de la connaissance et sur les motivations qui guident les chercheurs, la société civile et les politiques ne peut être éludée".
Cette communication s'inscrit dans le thème de réflexion choisi par le président Jean-Claude Casanova pour l'année 2009 au sein de l'Académie des sciences morales et politiques. Plusieurs séances sont retransmises par Canal Académie. On peut consulter plusieurs textes sur le site de l'ASMP : www.asmp.fr