L’université médiévale vue d’aujourd’hui
André Vauchez, médiéviste de renom, présente le visage de l’université au XIIIe siècle, son originalité, ses rapports avec le pouvoir temporel et avec l’Eglise, le contenu des études, les relations entre maîtres et élèves, puis l’évolution de cette université indépendante et quasi internationale vers une autre, soumise au pouvoir et plus nationaliste.
André Vauchez commence par rappeler que le mot "université" regroupe deux réalités : d'une part, l'institution qui délivre un enseignement supérieur (universitas) ; d'autre part, le contenu des recherches (studium).
Si elle est née au XIIe siècle, il est difficile d'affirmer qu'elle procède seulement d'une évolution des écoles cathédrales (écoles de philosophie et de théologie) ou des classes de droit existant aux XIe et XIIe siècles. Il est incontestable qu'au Moyen-Age, l'université est une création occidentale (elle n'apparait pas dans d'autres contrées, notamment pas à Byzance).
Elle s'est donnée pour but de rassembler des élèves qui reçoivent un enseignement de la part d'un maître rémunéré pour ce faire.
Cet enseignement se compose de cours : la lectio, des gloses et des commentaires, et des leçons magistrales, ainsi que, élément important, le débat, la disputatio.
Maîtres et élèves étaient tous clercs, c'est-à-dire des gens d'Eglise ayant reçu les ordres mineurs (sans être ni sous-diacre, ni diacre, ni prêtre, et pouvant se marier), qui savaient lire et écrire le latin. C'était un état protégé par rapport au pouvoir civil. Ces clercs étaient donc séculiers et, c'est seulement plus tard, vers le XIVe siècle, que certains vinrent des ordres réguliers, comme les franciscains et les dominicains. Les clercs jouissaient de revenus pendant leurs études, ce qui explique leur attachement à cet état de clerc. Ce n'est que peu à peu que les étudiants sont devenus des laïcs, notamment pour ceux qui étudiaient des disciplines non religieuses comme la médecine ou le droit.
Deux centres importants se dessinent : Paris pour la philosophie et la théologie et Bologne (plus ancienne d'ailleurs), pour le droit civil et canonique.
Le XIIIe siècle voit s'organiser l'université qui se dote de règlements et de statuts. Les élèves et les maîtres (les universitates) ressentent le besoin de défendre leurs intérêts, ils se regroupent donc en une sorte de mouvement associatif, ce qui leur confère une grande force. Mais déjà on peut noter que Paris est une université de maîtres, tandis que Bologne est une université d'étudiants (qui recrutaient leurs maîtres et élisent leur recteur). Et c'est le modèle parisien qui se diffusera dans le reste de l'Europe.
Le Pape autant que l'Empereur s'aperçoivent rapidement de l'importance de ces nouveaux centres de culture et vont chercher à se les concilier en leur apportant leur appui. C'est ainsi que Frédéric Barberousse soutiendra Bologne. Mais c'est surtout la papauté qui va assumer un rôle de tutelle, de guide, car elle voit dans ces universités un moyen de soutenir la formation chrétienne (améliorer l'enseignement des prêtres) et de lutter contre les hérésies naissantes. Elle va donc chercher à soustraire les universités du pouvoir du clergé local, de l'évêque du lieu, et de son chanoine-chancelier.
André Vauchez, dans cette communication, explique longuement cette relation entre la papauté et les universités. Il est vrai qu'au Moyen-Age, l'Université est une institution d'Eglise. Celle-ci la favorise pour la mettre à l'abri des autorités locales (laïques et ecclésiastiques).
Les étudiants suivent d'abord un premier cycle de six années jusqu'à devenir bachelier (ce qui correspond à notre cycle du lycée) puis ils peuvent poursuivre leurs études jusqu'à l'obtention d'une licence, les maîtres ayant eux, obtenu le droit de délivrer une "licencia docendi".
André Vauchez explique ici l'organisation des études, des examens, des étapes et des grades.
L'une des grandes caractéristiques de l'université médiévale, outre son autonomie par rapport au pouvoir civil, c'est son côté international. Les clercs voyageaient beaucoup, allant facilement d'Orléans à Bologne, ou de Paris à Toulouse ou à Oxford (créée en 1214). Ils venaient d'endroits fort éloignés géographiquement. Pour les abriter, on ne tarda pas à construire pour eux des "Collèges" (tel celui d'Oxford en 1260).
Autre caractéristique, les universités ont chacune leur spécialité dominante, on dirait aujourd'hui leur pôle d'excellence : celle de Paris est réputée pour la philosophie et la théologie. Elle a d'ailleurs joué un grand rôle dans la formation des élites du clergé, élevant le niveau culturel (qui resta inexistant dans le bas clergé jusqu'au XVe siècle).
André Vauchez termine cette communication en évoquant rapidement le "déclin" de l'université qui se laissa peu à peu, et surtout au XVe siècle, dominer par la politique et donc par le pouvoir au détriment de son universalité. Elle finit ainsi par perdre son prestige. C'est visible si l'on se souvient que l'Université de Paris, par exemple, avait pris fait et cause pour les Bourguignons contre le Dauphin, et conduisit Jeanne d'Arc au bûcher...
Ainsi l'université fut-elle au Moyen-Age un troisième pouvoir, à côté du pouvoir royal et de celui de l'Eglise. Elle atteint son heure de gloire au XIIIe siècle.
Aurait-il fallu conserver à nos universités "modernes" les qualités qui firent le mérite de celles du Moyen-Age, c'est à dire l'universalité et la spécificité des disciplines ? André Vauchez semble le penser. Jugez-en en écoutant sa communication.
En savoir plus :
- André Vauchez, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
- André Vauchez sur Canal Académie