La démocratie et les institutions internationales
Où est la démocratie dans la société internationale ? Partout et nulle part, répond l’ambassadeur Laurent Stefanini, chef du protocole du ministère des Affaires étrangères et européennes, dans une communication devant les membres de l’Académie des sciences morales et politiques, le lundi 25 octobre 2010.
Cette communication s’inscrit dans le programme de l’année 2010 dont le thème retenu par le Président Mesnard est la démocratie.
Les institutions internationales sont-elles démocratiques ? Protègent-elles la démocratie ? Rappelant les origines et les évolutions de ces institutions, Laurent Stefanini souligne que la démocratie a fait de nets progrès dans l’ordre international. Mais il montre comment et pourquoi elles connaissent une crise et esquisse des réflexions prospectives.
« Pour qu’il y ait une démocratie, il faut qu’il y ait des citoyens », rappelle Laurent Stefanini en introduction. « Peu de nos 6 milliards et demi de semblables se conçoivent comme des citoyens du monde. »
Aucune définition précise de la démocratie ne figure dans les textes fondateurs que sont les préambules du Pacte de la Société des Nations de 1919 et de la Charte des Nations Unies de 1945. Cependant, le fonctionnement démocratique des institutions internationales a fait en 1945 un net pas en avant, souligne-t-il.
« Où en est-il 65 ans après ? »
L’ambassadeur s’attache d’abord à montrer comment le fonctionnement de la société internationale et de chacune de ses institutions est devenu plus démocratique sous l’effet de la mondialisation qu’il considère comme une chance pour la démocratie. Dans la seconde moitié du 20ème siècle, des mécanismes de coopération et de régulation se sont mis en place.
L’Organisation des Nations Unies qui regroupe 192 Etats sur les 195 reconnus a une compétence générale et couvre tous les champs d’activité, « avec un souci véritablement démocratique. »
D’autres organismes de coopération internationale existent. Il cite les organisations régionales comme l’Union Africaine et son NEPAD, l’ASEAN, la Francophonie qui fête ses 40 ans. De nouveaux regroupements régionaux ou nationaux sont apparus comme l’APEC, le G20, le G3, le G8.
« Enfin et surtout, c’est l’Union européenne qui a réalisé l’idéal démocratique dont on voit la force universelle depuis 60 ans. »
Laurent Stefanini rappelle deux initiatives prises à la fin des années 1990 qui ont consacré la valeur universelle de la démocratie :
- celle de l’Union Interparlementaire qui regroupe à Genève les Parlements du monde et qui a adopté en 1997 une « déclaration universelle sur la démocratie » ;
- la « Communauté des démocraties », créée en 2000 à Varsovie qui regroupe 120 pays.
Il explique ensuite que « les institutions internationales d’aujourd’hui ne sont pas seulement un fruit de la démocratie, elles sont aussi protectrices de la démocratie. »
Les Nations Unies ont su, après 1945, mettre en place un système protecteur des droits fondamentaux de l’homme qui s’est sans cesse perfectionné : création en 1946 de la Commission des droits de l’homme sous l’impulsion de René Cassin, Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à Paris en 1948, complétée par deux pactes contraignants en 1966 pour former la « Charte des droits de l’homme », puis par des conventions internationales.
Des instances de mise en œuvre de ces règles ont été créées : le Haut Commissariat aux droits de l’homme en 1993, le Conseil des droits de l’homme en 2006, qui a mis en place un « examen périodique universel. » La France a fait partie des premiers pays à s’y soumettre en 2008.
Enfin, la justice pénale internationale complète ce dispositif protecteur. Mais plusieurs de ces institutions demeurent fragiles, observe Laurent Stefanini. Il estime que c’est en Europe que la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales est la mieux assurée.
Cependant, si l’ambition démocratique a été réalisée, Laurent Stefanini met l’accent sur l’existence d’une crise du fonctionnement démocratique et à des fins démocratiques des institutions internationales. Selon lui, cette crise a quatre causes principales :
1. L’arrivée de nouveaux acteurs incontrôlés par les Etats, comme les entreprises et les organisations non gouvernementales. Même si la « société civile » a pu trouver une place dans l’ordre international, elle complique le rôle des représentants des Etats.
2. Les institutions internationales ne reflètent plus les rapports de force mondiaux. Le monde est devenu plus hétérogène. « Le poids relatif des Etats européens décline, les pays émergents apparaissent, Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud. » Cette crise de la représentativité concerne particulièrement deux institutions, le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Fonds Monétaire International, comme l’a mis en lumière le Président de la République dans son discours à l’Université de Columbia en mars 2010.
Pour l’ambassadeur, l’échec en décembre 2009 de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique est emblématique à cet égard.
3. Le modèle occidental européen et nord-américain est contesté en profondeur, à la fois par le monde musulman qui se structure et affirme son identité et par une forme de « technocratisme éclairé » dont la Chine est aujourd’hui le modèle.
4. « La quatrième cause tient aux limites de la démocratie elle-même, plus sensibles encore dans l’ordre international que dans l’ordre interne », estime Laurent Stefanini. Les occasions de rencontre des dirigeants de nos pays sont très fréquentes mais permettent-elles une action politique démocratique efficace ?
Face à cette crise, Laurent Stefanini évoque des pistes de réflexion sur les moyens d’assurer une nouvelle gouvernance démocratique dans l’ordre international.
Il est tout d’abord nécessaire de « réaffirmer la valeur de l’homme contre tout ce qui porte atteinte à son intégrité. » Pour cela, « la France et ses dirigeants ont une responsabilité essentielle de porte-parole. Restons fermes sur nos valeurs et nos principes. »
Il faut ensuite conforter les Etats dans leur rôle, affirme Laurent Stefanini qui cite le discours de Thierry de Montbrial, académicien, lors de la première World Policy Conference, à Evian, en octobre 2008.
Enfin « il faut aussi réformer les institutions internationales, à commencer par le Conseil de sécurité et les institutions financières internationales. » Une tâche rude pour laquelle la France qui prendra le 12 novembre 2010 la présidence du G20 et du G8 a une responsabilité historique, souligne l’ambassadeur.
En conclusion, Laurent Stefanini rappelle que la démocratie est un combat et qu’elle ne va pas de soi. Elle repose partout sur « une classe moyenne éclairée. »
Texte établi par Myriam Lemaire.
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