Le réchauffement climatique ? un formidable levier possible pour l’économie !
On peut qualifier Christian de Perthuis d’économiste du climat. Il examine en effet les incidences du changement climatique sur l’économie, lesquelles pourraient devenir un formidable levier pour la croissance et nous aider à sortir de la crise. Devant les académiciens réunis en séance le lundi 12 mars 2012 à l’Académie des sciences morales, il a tout d’abord passé en revue un diagnostic des modifications climatiques - ce que nous savons- puis il a envisagé diverses manières de conduire l’action -s’adapter, innover, agir...
Ne vous y trompez pas, Christian de Perthuis n'est pas un écologiste parmi d'autres... Il est économiste, professeur à l'université Paris-Dauphine où il fut, il y a 5 ans, le premier à instaurer un master économie-écologie (à l'époque, on s'est moqué de cette initiative et aujourd'hui, les élèves s'y inscrivent de plus en plus nombreux). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages accueillis attentivement, et d'un récent rapport important commandé par le ministère du Développement durable. Il a présenté ses analyses devant le Sénat américain... Il multiplie les voyages dans tous les pays du monde pour observer les liens entre économie et climat. Son approche est clairement posée : comment intégrer le changement climatique afin qu'il devienne un levier possible pour la reprise économique, la reconstruction, la croissance, l'emploi ?
Il a ainsi divisé son exposé en deux grandes parties : ce que l'on sait et ce que l'on peut faire.
- Pour plus de précisions, il convient d'écouter l'intervention dans son intégralité. Le texte ci-dessous n'est qu'un résumé.
I - DIAGNOSTIC
Que savons-nous sûrement du changement climatique ? Que dit la communauté scientifique et que montrent les faits observés ?
- une augmentation de la concentration des gaz à efft de serre, très rapide (qui provient de l'augmentation de nos émissions)
- un réchauffement moyen de la planète (à peine 1 ° C mais depuis 1970, sans régularité, et sans homogénéité), plus rapide sur les continents que sur les océans, et plus vers les pôles qu'au centre de la planète.
- une hausse du niveau de la mer (pas uniforme et pour des raisons très complexes mais plus rapide que toutes les prévisions)
- un cycle de l'eau douce perturbé
- une observation des modifications des événements extrêmes, difficiles à apprécier (ouragans, moussons, etc)
Deux notions fondamentales : l'incertitude et l'irréversibilité
Christian de Perthuis insiste sur une première donnée fondamentale à ses yeux : l'incertitude. Il affirme : "la vraie question à traiter est celle de l'incertitude".
- les modèles actuels ne permettent pas d'anticiper le réchauffement de demain.
Car le système climatique présente une extraordinaire inertie. 1 tonne de CO2 dans l'atmosphère (ou équivalent) va y rester environ 100 ans...
Autrement dit, il faut prendre conscience du décalage entre l'émission aujourd'hui et les impacts futurs. Or, les choix politiques ont plutôt tendance, on le sait, à privilégier le présent au détriment du long terme. Alors que nos choix d'aujourd'hui importent pour demain et après-demain.
Mais il existe une seconde notion fondamentale elle aussi : l'irréversibilité possible. A un certain moment, le point de non retour est atteint, mais quand ?
Quelles sont les sources d'émission de gaz à effet de serre (ou équivalent) ?
- les 2/3 proviennent du système énergétique d'origine fossile,
- l'autre 1/3 de la manière dont nous utilisons le sol pour produire les biens agricoles nécessaires, et donc de l'agro-forestier. "La question de la forêt est très directement liée à l'exploitation agricole, à la pression alimentaire, accentuée par la demande de cultures et d'élevage pour manger de la viande." Une conviction : l'agriculture sera l'élément central du débat sur l'énergie.
En résumé :
- les scénarios globaux de changement climatique dans le futur restent très incertains
- Il est difficile d'identifier les types d'impact localement
- Il n'existe nulle étude sur les capacités d'adaptation des systèmes économiques et sociaux (lesquels sont bien moins étudiés que les éco-systèmes).
II - CONDUITE DE L'ACTION
1° s'adapter aux impacts du changement climatique. Intégrer cette perspective dans nos choix d'infrastructures (pont, autoroute, constructions, architecture, etc.), lesquelles sont généralement traitées avec des critères historiques qui s'avèrent désormais inadaptés. Remettre à l'honneur la politique de l'aménagement du territoire (si la mer monte, que deviennent les habitations du littoral ? si la canicule devient récurrente, comment organiser les villes ? etc.).
2° intégrer l'innovation et la recherche-développement. La géo-ingénierie. "Mais la technologie n'est qu'une partie de la solution" prévient l'intervenant.
3° agir contre le réchauffement. Mener des actions préventives de limitation des gaz à effet de serre. Aller vers une "économie sobre en carbone". L'intervenant donne là plusieurs chiffres de diminution envisagée (en 2050, revenir à moins de la moitié d'émissions de gaz de 1990)...
Mais comment envisager cette transition ?
- incorporer le prix du carbone dans l'économie. Chaque émetteur de gaz à effet de serre devra payer le prix de ses émissions... mais à quel tarif ? le coût futur des dommages reste dans une très grande incertitude. Il faudra fixer un prix international du carbone...
On s'achemine lentement vers de telles solutions : en 1992 à Rio, une première convention avait fixé le principe ; en 1997, à Kyoto, une première tentative avec des résultats modérés (et l'intervenant explique pourquoi : parce que seuls les pays industrialisés appartenant à l'OCDE devaient payer, les autres en étaient dispensés... dispense qu'ils entendent bien conserver aujourd'hui ! On a parlé alors de "responsabilités communes mais différenciées") ; en 2011, à Durban, le compromis est décevant à court terme, il y a encore des dispensés, mais doivent payer désormais les pays industrialisés + les pays émergents.
En Europe : l'intervenant explique le système européen d'échanges, le "marché du carbone". Il fonctionne certes, il permet quelques réductions d'émissions, et malgré les difficultés de gouvernance au niveau européen, il semble envié par les USA.
En France : 80 % des gaz à effet de serre ne sont pas énergétiques mais dépendent des transports, de l'agriculture-élevage, et du bâtiment (autrement dit de décisions politiques).
En Suède, dès 1990, a été mise en place une taxe carbone. Mais pas à 9 euros comme en Europe ! A 120 euros la tonne de CO2 émise, somme réinjectée dans l'économie.
Une bonne tarification et un bon recyclage pourraient ainsi faire en sorte que les problèmes d'émissions de CO2 dûes au changement climatique deviennent des éléments de croissance et de compétitivité.
Et dans le monde, on observe que l'on va vers un élargissement de la valeur carbone ; la Chine et la Corée, confrontés à de grands problèmes de pollution, mettent en place des tarifs de carbone.
Et le débat dans l'opinion ?
"On a un problème de gouvernance pour traiter des questions de changements climatiques". Quelle information faire circuler ? Comment diffuser une information de qualité sur l'incertitude ? "Le plus grand des risques, conclut l'intervenant, c'est l'inaction. Quant aux risques liés à des choix pour agir, ils doivent être correctement soupesés".
En savoir plus :
- Retrouvez le texte de la communication de Christian de Perthuis sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques
- Ecoutez les autres communications données à l'Académie des sciences morales et politiques, dans la série "Thématique 2012 : Asymétries et forces neuves du monde actuel"
- L’exploitation des ressources agricoles et agroalimentaires, par Michel Griffon
- Quel futur pour les métaux et terres rares ? par Didier Julienne
- Pierre Gadonneix : les ressources mondiales en énergie
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