Les tentations ottomanes de la Turquie
Quelle vision la Turquie a-t-elle du monde extérieur, tant envers les pays du Proche-Orient ses voisins immédiats, qu’envers les pays de l’Union européenne ? Que rôle voudrait-elle jouer ? A quels conflits internes se heurte-t-elle ? Telles sont quelques-unes des questions abordées par Gilles Dorronsoro, dans la communication qu’il a donnée, le lundi 15 octobre 2012, devant les membres de l’ASMP réunis en séance, intitulée « les tentations ottomanes de la Turquie ».
Entrez grâce à CA dans la salle des séances. Vous entendrez d’abord la présidente pour l’année 2012, Marianne Bastid Bruguière, qui présente en le résumant le parcours de Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l’université Paris 1, expert des questions d’Asie centrale et auteur de plusieurs ouvrages sur la Turquie.
Divisant son propos en trois parties, l'intervenant a d'abord analysé la vision turque de son extérieur, puis il a rappelé les transformations majeures qui ont affecté la Turquie (la société et la politique) entre 1990 et 2002, et enfin, il a évoqué les tentations ottomanes qui renaissent en Turquie. Rappelons que le texte ci-dessous n'est qu'un résumé et qu'il convient d'écouter l'intégralité de la communication de G. Dorronsoro pour en apprécier les détails et les nuances.
La Turquie est membre de l'OTAN, elle est candidat officiel à l'Union européenne, elle est par toute une partie de son histoire, un pays occidental, et pourtant, ambiguités et incertitudes ne manquent pas.
Elle a recours à trois registres identitaires qui sont tantôt en harmonie tantôt en contradiction :
- un registre européen depuis la kémalisation
- un registre turc, notamment dans ses relations avec "les Turcs de l'extérieur" (minorités en situation délicate)
- un registre religieux, elle se veut un pays laïc (mais pas au sens où on l'entend en France). La laïcité à la turque correspond à une volonté du politique de contrôler le religieux (qui devient une bureaucratie). La religion officielle est l'islam sunnite.
Tous les problèmes de la Turquie avec l'extérieur (les Kurdes, Chypre, etc) restent en référence avec la fin de l'Empire ottoman, fin qui fut un véritable traumatisme.
A cause de son Histoire, la Turquie éprouve toujours une crainte du démembrement et a l'obsession de son unité territoriale. D'où son inquiétude permanente des tentatives de séparatisme. Elle perçoit en "ennemi interne" les minorités arméniennes, kurdes, toujours promptes à la révolte. Dans la presse aujourd'hui encore, on lit des commentaires sur ces peurs de la division du territoire.
Le néo-ottomanisme
L'expression "courant néo-ottoman" semble être née vers 1980. La fin de l'URSS a modifié la position de la Turquie qui ne se trouvait donc plus sur la ligne de front et qui, de ce fait, devenait moins dépendante vis-à-vis des Etats Unis. Dans les années 90, on a vu exploser un discours pour conceptualiser la place de la Turquie dans le monde, ce que l'on a appelé le néo-ottomanisme.
C'est une "doctrine" en vérité non formalisée.
On entend assumer l'héritage ottoman. On tente de refaire des relations commerciales avec les anciens pays de l'Empire. Et l'on se voit au centre de cet ancien Empire, affirmant sa centralité et donc sa supériorité hiérarchique.
Après 2002, on assiste à une ouverture vers les pays d'Asie centrale et à des relations avec les partis musulmans.
La Turquie se veut un modèle alternatif au modèle proposé par les musulmans. Mais aujourd'hui si la question de l'adhésion à l'Union européenne reste un but, ce n'est pas une obsession. Plutôt que de s'acharner à réaffirmer l'identité européenne de la Turquie, le discours devient : "Vous y avez autant d'intérêt que nous".
La Turquie se voit jouer un rôle international, elle a décidé qu'aucun domaine ne serait réservé aux grandes puissances dont elle serait exclue. Elle lance un slogan proche du "Zéro conflit avec nos voisins" (ni la Grèce, ni Chypre) et aspire à un environnement apaisé. Cependant bien des éléments de blocage se heurtent à cette nouvelle volonté turque : l'instabilité des pays au sud (Irak, Syrie...), le problème des réfugiés, les relations avec l'Union européenne (car la question chypriote n'est pas réglée).
En conclusion, Gilles Dorronsoro observe que si la Turquie développe une politique globale, il reste difficile pour elle de devenir une grande puissance...
- Le texte de cette communication sera disponible sur le site de l’Asmp www.asmp.fr
- Pour écouter d'autres communications de cette série : Académie des sciences morales et politiques