Charlemagne, le grand européen, vu par Emmanuel Le Roy Ladurie
Deux académiciens historiens se retrouvent autour de Charlemagne comme haute figure européenne : Emmanuel Le Roy Ladurie, de l’Académie des sciences morales, et Jean Favier, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Le premier avait rédigé, pour Le Figaro, un article sur l’ouvrage du second : voici la lecture de cet article en guise de portrait de l’empereur à la barbe fleurie (qui était imberbe !)...
Cette émission propose la lecture de l'article qu'Emmanuel Le Roy Ladurie a fait paraître dans Le Figaro (24 septembre 1999) à la suite de la parution de l'ouvrage de Jean Favier consacré à Charlemagne.
Ce texte peut être intégralement consulté sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques www.asmp.fr
« Charlemagne est né, semble-t-il, en 742, date que, tout bien réfléchi, Jean Favier préfère à 747, année de naissance qu'avaient retenue divers auteurs. Le bébé Charles est plus ou moins illégitime... »
L'auteur évoque ensuite l'éducation qu'aurait dû recevoir le jeune Charles, doué d'une prodigieuse intelligence, mais qui lui a fait longtemps défaut : « il lui faudra apprendre dans la suite de son existence sinon à écrire (Charles n'y parviendra jamais de manière tout à fait correcte), du moins à se lester du bagage idéologique oral qui lui permettra de manipuler avec beaucoup de maîtrise les idées, la culture et la langue latine de son temps. À tout moment de la journée, au lit comme au bain, Charles se fait lire des livres... »
Tout cela, en dépit de quelques lacunes, notamment géographiques, que l'historien rappelle brièvement ; son État est immense, et Emmanuel Le Roy Ladurie remarque que ses frontières ne sont pas loin de celles qui constituent la communauté européenne des années 1955-1960, soit la France, l'Allemagne, l'Italie du Nord, le Bénélux, et plus tard, l'Autriche-Hongrie.
« Charles est quand même une espèce de surhomme génial... on n'ose pas dire un Superman, à la manière des grands maîtres de l'empire romain des premiers siècles, de ces Antonins à la Marc-Aurèle qu'on trouvait guerroyant, défendant les frontières de leur imperium eurasiatique, à l'Est comme à l'Ouest, contre les Parthes, contre les Germaniques... mais l'espace carolingien, même amputé de ses provinces grecques, a presque autant d'amplitude que son prédécesseur romain... » Les données chiffrées que fournit ici Emmanuel Le Roy Ladurie suffisent à nous en convaincre.
L'historien ne manque pas de rappeler que l'empereur Charles sait faire preuve de cruauté (insupportable aux yeux de nos contemporains) : il fait crever les yeux des conjurés thuringiens, mettre à mort les révoltés de Saxe, exécuter des centaines de contestataires... Une autorité qui contribue certainement à servir l'unité européenne de l'empire carolingien et que, bien plus tard, d'autres "prolongateurs" (le mot est entre guillemets dans le texte d'Emmanuel Le Roy Ladurie) tenteront d'atteindre : Charles Quint, Napoléon, et ô horreur, Hitler et Staline.
Néanmoins, « Charlemagne n'est pourtant pas étranger non plus à l'autre idéal européen, nettement plus séduisant, aux termes duquel l'union est à rechercher dans le cadre d'un consensus librement accepté. Les hommes importants dans cette perspective s'appellent Sully, premier des grands européens, l'abbé de Saint-Pierre (XVIIIe siècle), Victor Hugo et puis Aristide Briand que suivra plus tard l'inoubliable trio Schuman-Gasperi-Adenauer, et enfin les duos illustres, De Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt, Kohl-Mitterrand... Chaque fois, c'est Charlemagne en deux personnes, mais avec l'Angleterre en supplément ! Comme la cerise sur le gâteau... »
Remercions Emmanuel Le Roy Ladurie qui nous a aimablement autorisés à enregistrer ce texte. La lecture est assurée par le comédien Fernand Guiot.
Avec Jean Favier, on écoutera sur Canal Académie Noël 800 : le couronnement de Charlemagne