Louis Velle lit André Chamson : Cévennes, enfance et résistance
Louis Velle, comédien, scénariste, gendre d’André Chamson, prête sa voix à l’académicien dans cette émission et nous offre la lecture de quelques extraits rédigés par l’auteur de Roux le bandit, Les hommes de la route, Le crime des justes, "La tour de Constance" ...
« Nous trouvons ici le mot qui nous livre le secret de nos Cévennes, le mot qui est gravé sur la pierre de la tour de Constance et que le vent semble siffler sur les roches ou dans les herbes dures de nos hautes crêtes, par delà le Jardin de Dieu, sur les hauteurs de l’Aigoual et de la Fageole, le mot que l’on répète aux petits enfants dans toutes les maisons de nos vallées, le mot qui semble inscrit dans ce vallon et dans ce petit village : résister.
Et résister, c’est sans doute combattre, mais c’est aussi faire plus : c’est se refuser d’avance à accepter la loi de la défaite. Voilà l’exemple que nos Cévennes donnent à l’homme. Elles lui disent, par toute leur structure, par toute leur histoire, par toute l’humanité, que résister, c’est d’abord ne pas s’arrêter à la persécution, ni à la calomnie, ni à l’injure, puis, s’il le faut, que c’est combattre, et puis vainqueur ou vaincu, que c’est résister quand même, c'est-à-dire rester semblable à ce que l’on est jusque dans la défaite, jusque dans les fers. »
- « Ces enfants nous ressemblaient comme des frères. Les mêmes misères et les mêmes maladies avaient traversé leurs familles et les nôtres, pendant des siècles. Nos grands-pères s’étaient nourris des mêmes châtaignes, des mêmes fromages de chèvre, des mêmes salades de champs. Ils avaient bu les mêmes petits vins, conservés dans les mêmes caves, les mêmes eaux jaillissaient aux mêmes sources. Nous étions marqués des mêmes signes. Nous portions les mêmes hérédités. Nous avions la même vitalité sauvage. Une seule chose nous séparait : nous n’allions pas à la même école ! »
- « L’Aigoual se soulève comme une épaule de Dieu, couché sur le flanc. Le ciel souffle de tous côtés sur cette coupole vêtue d’herbes rases, sur ce promontoire hercynien porteur de la rose des vents. Le Nord et le Midi, le vent haut et le vent marin luttent sur ce dôme à mains plates, vainqueurs, vaincus, gorgés de sel ou de pluie, nettoyeurs du ciel ou traîneurs de brumes. »
- « Je levais les yeux vers les signes de la Luzette et du lingas…Tout l’Ancien Testament semblait consacré à la gloire de ces Cévennes au milieu des quelles je vivais. Les cèdres du Liban, les roses de Saron, étaient les arbres de nos montagnes, les fleurs d’églantines de nos vallées, et même avant de les avoir vus de mes yeux, je les avis découverts dans les images des Écritures »
- " Je suis de ce pays autant que l’on peut l’être…Je tiens à cette terre par les cimetières et les sillons »
- "Ce peuple cévenol est allé jusqu’au bout de la plus terrible et de la plus magnifique expérience que peuvent faire les hommes. Il a payé le prix du sang et des larmes pour rester libre, libre de la plus immatérielle des libertés, de cette liberté qui n’a d’autres asiles que la conscience et d’autre forteresse qu’un cœur désarmé, même quand ce coeur est celui d’un guerrier de la montagne. Pour moi, l’Aigoual est le mont Horeb, l’Olympe et le Parnasse, la montagne sainte…Que ce soit du Septentrion vers le Pompidou, ou au Sud, dévalant les pentes abruptes, vers les Bressous et le Mas Méjeau, je tiens cette montagne comme un lichen hyperboréen ou comme un arbrisseau de la Méditerranée.
Si le monde menaçait de s’écrouler, c’est aux Bressous des Cévennes que je voudrais chercher un dernier refuge. Il me semble que sur la ruine de toute chose, sur tout ce que nous pouvons imaginer de ce commencement de l’Apocalypse, les boules de feu dévastaient les métropoles, les raz de marée effaçant les derniers rivages pour un temps qui se confondrait avec une éternité, cette demeure des Bressous resterait intacte au bord de son promontoire cristallin émergé du fond des âges."
- « Qu’un livre, un seul, toujours lu et toujours relu, jamais achevé, jamais épuisé, toujours nouveau, toujours renaissant, ait été la consolation et la force d’un peuple entier aux jours de son épreuve et dans la désolation, voila ce qui doit frapper d’étonnement et d’admiration non pas le croyant, mais l’incrédule, non pas l’homme de foi, mais celui qui veut tout comprendre avec la seule raison.»
- "J’écris pour le jour de la liberté. J’écris pour conjurer les maléfices de la défaite. Si nous avons déjà été vaincus, si nous avons déjà subi l’invasion, pas une seule fois, dans tous les désastres de notre histoire, nous n’avons été détournés de nous-mêmes comme nous le sommes aujourd’hui. Car ce n’est précisément pas le joug de l’étranger qui risque de précipiter notre déchéance, mais notre propre renoncement et, d’abord, ce silence auquel nous sommes condamnés. Car c’est aujourd’hui, qu’il faudrait pouvoir retrouver l’inflexible fierté qui sauve les vaincus de la honte. »
- "Le jour de ma prise en charge des Archives de France, mes principaux collaborateurs me firent effectuer le tour de la maison. Je marquai un temps d’arrêt devant l’acte de révocation de l’Edit de Nantes : « Eh bien, Messieurs, dis-je à ceux qui m’accompagnaient, je l’ai échappé belle ! »
- "J’ai passé ma vie à côté d’une compagne à l’âme stoïque. Ce stoïcisme l’a sans doute entrainée à se croire agnostique, alors quelle possède toutes les vertus d’une âme religieuse…de toute façon, quelle bonne campagne pour la vie et pour l’éternité."
- "Sommes-nous une famille semblable à celle de ces peintres du XVIIIème siècle français ou de ces romanciers anglais, dont l’art est la passion majeure ? Toujours est-il que Frédérique soit par la ligue paternelle, soit par la ligue maternelle, soit par sa propre pulsion a heurté cette passion. Quand je prends un de ses livres, j’ai l’impression d’être devant un bouquet de fleurs. Les images s’y succèdent avec un rapidité, une justesse, une harmonie, qui me déconcertent. Je vois assez bien comment l’humour et l’exigence du jugement pourraient lui venir de ma femme. Mais comment, de mes images à moi, qui tiennent plutôt du minéral, Frédérique a-t-elle pu passer à cette floraison qui se renouvelle sans cesse ? Floraison qui n’est pas seulement dans les livres, mais dans la personnalité toute entière, qu’il s’agisse de lettres, de réparties, de projets, d’art de vivre… Mais je suis en train d’ouvrir la porte de la vie privée. Refermons-la doucement".
(Nizery, Francois-Pierre le minéral et la Fleur, André Chamson, Mémoire, Chemin, Héritage. Bernard Gilson Éditeur.)
- « J’ai pensé aux gens des galères… Quand ils se réveillaient, ils priaient Dieu le matin : « Mon Dieu, nous te remercions pour le soleil, pour le vent et même pour le mal avec lequel tu nous éprouves ! » Cette non mendicité à la divinité me paraît quelque chose d’infiniment consolant et sans doute d’infiniment protestant. La dignité de l’homme est peut être là. La prière n’est pas une mendicité. Elle ne peut être qu’une explosion de gratitude. Le fait d’écrire, le fait de dire ce que l’on pense, c’est une prière au sens traditionnel du mot."
- "Même détaché de la Foi, je suis toujours resté fidèle au protestantisme. « Je ne puis autrement ». Protestant de tradition et, sans doute même un peu plus. « Ces cévenols sont protestants comme les provençaux sont catholiques ! » disait Folco de Baroncelli. C’est leur façon d’être de leur pays."
- "Il faudrait peut être tout renverser… ne pas chercher à dire ce que c’est que l’amour, mais ce que signifie son absence… N’est-ce pas le signe même de la destruction d’un homme ? Qui n’aime plus rien est détruit les hommes détruits ? Les morts vivants ? Qu’est-ce que c’est sinon des êtres qui ont perdu le pouvoir d’aimer ? Ils n’en ont plus la force… Ils n’en ont plus le temps. Ils sont entrés dans un monde où tous les rapports se dénouent, ou plus rien ne les attache à ce qui n’est pas eux-mêmes… Ils sont incapables de retrouver cet univers de l’enfance et de la jeunesse qui n’est pas autre chose que l’univers de l’amour…"