Comme alors et Ici-bas, Sully Prudhomme
Comme alors
Quand j'étais tout enfant, ma bouche
Ignorait un langage appris :
Du fond de mon étroite couche
J'appelais les soins par des cris ;
Ma peine était la peur cruelle
De perdre un jouet dans mes draps,
Et ma convoitise était celle
Qui supplie en tendant les bras.
Maintenant que sans être aidées
Mes lèvres parlent couramment,
J'ai moins de signes que d'idées :
On a changé mon bégaiement.
Et maintenant que les caresses
Ne me bercent plus quand je dors,
J'ai d'inexprimables tendresses,
Et je tends les bras comme alors.
Ici-bas
Ici-bas tous les lilas meurent,
Tous les chants des oiseaux sont courts ;
Je rêve aux étés qui demeurent
Toujours...
Ici-bas les lèvres effleurent
Sans rien laisser de leur velours ;
Je rêve aux baisers qui demeurent
Toujours...
Ici-bas tous les hommes pleurent
Leurs amitiés ou leurs amours ;
Je rêve aux couples qui demeurent
Toujours...
Sully Prudhomme.