Le départ, Henri de Régnier

Robert Werner lit les poètes
Robert WERNER
Avec Robert WERNER
Correspondant

Je n'emporte avec moi sur la mer sans retour

Qu'une rose cueillie à notre long amour.

J'ai tout quitté; mon pas laisse encore sur la grève

Empreinte au sable insoucieux sa trace brève

Et la mer en montant aura vite effacé

Ce vestige incertain qu'y laissa mon passé.

Partons! que l'âpre vent en mes voiles tendues

Souffle et m'entraîne loin de la terre perdue

Là-bas. Qu'un autre pleure en fuite à l'horizon

La tuile rouge encore au toit de sa maison,

Là-bas, diminuée et déjà si lointaine!

Qu'il regrette le clos, le champ et la fontaine!

Moi je ferme la porte et je ne pleure pas.

Et puissent, si les dieux me mènent au trépas,

Les flots m'ensevelir en la tombe que creuse

Au voyageur la mer perfide et dangereuse!

Car je mourrai debout comme tu m'auras vu,

Sur la proue, au départ, heureux et gai pourvu

Que la rose à jamais de mon amour vivant

Embaume la tempête et parfume le vent.

 

Henri de Régnier, Le départ

Cela peut vous intéresser