Le mépris de la vie et consolation contre la mort, Jean-Baptiste Chassignet et Sonnet, Théophile de Viau
Tantost la crampe aus piés, tantost la goute aus mains
Tantost la crampe aus piés, tantost la goute aus mains,
Le muscle, le tendon, et le nerf te travaille ;
Tantost un pleuresis te livre la bataille,
Et la fievre te poingt de ses trais inhumains ;
Tantost l'aspre gravelle espaissie en tes reins
Te pince les boyaus de trenchante tenaille :
Tantost une apostume aus deux poumons t'assaille,
Et l'esbat de Venus trouble tes yeux serains.
Ainsi en advient il à quiconque demeure
En la maison d'autruy, mais s'il faut que tu meure,
Tu deviens aussi tost pensif et soucieus :
Helas aimes tu mieus mourir tousjours en doute
Que vivre par la mort ? celuy qui la redoute
Ne fera jamais rien digne d'un homme preus.
Jean-Baptiste Chassignet
Sonnet
Je songeais que Philis des enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantôme encore fît l'amour
Et que comme Ixion j'embrassasse une nue.
Son ombre dans mon lit se glissa toute nue
Et me dit : " Cher Tircis, me voici de retour,
Je n'ai fait qu'embellir en ce triste séjour
Où depuis ton départ le sort m'a retenue.
Je viens pour rebaiser le plus beau des amants,
Je viens pour remourir dans tes embrassements. "
Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme
Elle me dit : " Adieu, je m'en vais chez les morts.
Comme tu t'es vanté d'avoir foutu mon corps,
Tu pourras te vanter d'avoir foutu mon âme. "
Théophile de Viau