« Quelques mots sur la justice »
La justice est une vertu ; juger est un péché. C’est ce que nous enseigne toute notre tradition, du livre de Samuel aux Evangiles, même si l’on peut aussi trouver dans la Bible et la confrontation des témoignages d’Adam et Ève, l’origine de la procédure contradictoire. Il faut toutefois distinguer les institutions de la justice de la faculté de juger. En France, le propre de la juridiction administrative est peut-être davantage d’éduquer l’État à respecter les droits du citoyen que de les garantir à proprement parler, ce qui a fait dire à Robert Badinter que nous sommes non le pays des droits mais celui de leur Déclaration. L’idée, répandue dans le personnel politique français de toutes les époques, est que la garantie des droits est un obstacle à une répression efficace. Par ailleurs, un certain état d’esprit nous fait préférer l’incessante modification des normes à la réflexion sur les pratiques. Il en résulte une confusion qui a eu pour effet de dégrader les grands principes sans obtenir aucun progrès dans le domaine de la sécurité publique ni dans le sentiment que l’opinion peut en avoir. Cette évolution peut se mesurer à l’aune d’un idéal fondé sur deux principes simples : la justice doit être digne du citoyen libre. La justice doit garantir l’existence du citoyen libre. La question est alors de savoir si nous maintenons ou si nous dégradons cet idéal.