Question d’actualité : la guerre d’Ukraine
Le Président ouvre la séance en soulignant la nouveauté de cette séance de question d’actualité, qui porte ce jour sur la guerre en Ukraine. Le sujet est introduit par quatre orateurs.
Gilbert Guillaume s’interroge d’abord sur la licéité de la guerre menée en Ukraine par la Russie depuis le 24 février 2022. La Charte des Nations Unies prohibe l’emploi de la force entre les membres de l’organisation, la sécurité collective étant désormais assumée par le Conseil de sécurité. Toutefois, son article 51 précise qu’elle ne doit pas porter atteinte au droit naturel de légitime défense. Dans cette guerre, l’Ukraine a invoqué le droit de légitime défense mais la Russie également, au titre du traité d’alliance passé le 22 février avec les Républiques sécessionnistes du Donbass et du Donetsk. Si la résolution du Conseil de sécurité s’est trouvée bloquée par le veto de la Russie, la Cour internationale de Justice s’est reconnue compétente pour examiner la demande présentée par l’Ukraine et ordonner des mesures conservatoires contre la Russie. Le refus de la Russie de les exécuter, qui n’a pas eu beaucoup d’écho médiatique, pourrait néanmoins engager à un stade ultérieur la responsabilité de la Russie.
Bruno Cotte rappelle que les réactions judicaires ont été immédiates dès le début de l’invasion de l’Ukraine, pays souverain. Les enquêtes se sont multipliées dès le mois de mars, concernant des crimes d’agression, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et éventuellement crime de génocide. La CPI est compétente, sauf pour le crime d’agression car la Russie n’est pas partie au traité de Rome. Il a de ce fait été proposé de créer un tribunal ad hoc. Se posera également la question de l’utilité d’une procédure in abstentia, ou par contumace. Dans le cas contraire, peut-on se contenter des récits médiatiques, sommes-nous prêts à admettre que les principaux responsables continuent à vivre en toute impunité ou peut-on espérer qu’un tribunal sera en mesure de donner un récit « judiciaire » auquel les victimes ont droit ? Se pose aussi la question de savoir s’il faut favoriser des pourparlers de paix ou laisser la justice suivre son cours.
Thierry de Montbrial souligne qu’à ce jour aucun des deux belligérants n’est assez fort sur le plan militaire pour gagner le conflit, ni assez faible pour le perdre. Sur le plan politique, le rapport de forces n’est pas évident pour les Occidentaux dans une société internationale divisée où les Russes se tournent toujours plus vers les Chinois et où l’Inde promeut le multi-alignement. Se pose aussi la question de l’avenir de l’Union européenne, avec l’influence croissante de la position radicale de la Pologne, des pays baltes et de certains anciens pays de l’espace soviétique, l’engagement pour un élargissement sans limite, une situation économique critique et une autonomie stratégique encore lointaine, dans un contexte où pour les Etats-Unis la priorité absolue est la Chine et non l’Union européenne.
Jean-David Levitte souligne que Gorbatchev en 1989 et Boris Eltsine en 1991 ont pris les décisions conduisant à la fin de l’empire soviétique, et non l’Occident. Le président russe actuel joue un rôle essentiel dans l’émergence d’une nation ukrainienne, qui était jusque-là surtout un concentré de peuples européens, par son histoire. Ce n’est pas l’OTAN qui fait peur à V. Poutine mais l’Union européenne : il redoute qu’un covid démocratique, qui gagnerait l’Ukraine, contamine le peuple russe et mette son régime en péril. Enfin Poutine pense à son legs historique. La corruption, la qualité du renseignement américain, l’entraînement des forces ukrainiennes depuis 2014 dans le Donbass, et les livraisons d’armes occidentales expliquent à ce jour l’échec des forces russes. Les clés de ce conflit appartiennent à la Chine – si Xi Jinping livre des armes à la Russie, le cours de cette guerre changerait complètement – et aux États-Unis, divisés sur cette guerre. Nous sommes confrontés à une nouvelle guerre froide : alors que dans la première, les États-Unis faisaient face à l’URSS avec une Chine sous-développée ; aujourd’hui ils sont face à la Chine avec une Russie qui s’affaiblit. Et un nouvel non-alignement se dessine avec le « Sud global » qui refuse de choisir et fragmente l’ordre géopolitique mais aussi économique