Christine Clerc : De Gaulle-Malraux
Entre De Gaulle et Malraux, durant vingt cinq années, ce fut une histoire de fascination réciproque que détaille Christine Clerc en relatant la complicité de ce tandem hors du commun. Elle évoque à la fois ce qui les séparait et ce qui les rapprochait, leur amour de la France, leur idée de la supériorité. Rencontre avec une journaliste historienne du contemporain pour découvrir deux grands esprits du XXe siècle.
L’un est militaire, le général De Gaulle, l’autre est homme de lettres, André Malraux : Christine Clerc nous fait découvrir deux personnalités surprenantes, que tout semblait opposer et que l’amour de la France va rapprocher. « Deux visionnaires unis dans une commune recherche de grandeur »
Notre invitée explique d'abord pourquoi elle a longtemps hésité à se pencher sur le personnage de Malraux alors même qu'elle a consacré un ouvrage au Général (dont elle a lu les 29 années de discours quand elle était journaliste débutante) et à sa famille : les De Gaulle, une famille française (Nil, 2000). Depuis, elle a lu aussi tous les discours de Malraux et ses romans, elle a rencontré son ami Roger Stéphane, et elle avoue avoir été touchée par sa quête de fraternité, son obsession de l'au-delà et sa connaissance intime de toutes les statues du monde, de toutes les traces laissées dans la pierre par la main de l'homme.
Puis elle s'explique sur le mot "amour", mot surprenant pour qualifier la relation entre ces deux grands esprits. On aurait pu dire fascination, envoûtement... Malraux dans une attente éperdue de reconnaissance ; De Gaulle dans une sorte de fraternité admirative, tout en mesurant les limites de son ami... Chacun avait ses fragilités. Du coup, elle les a traités tous les deux avec, dit-elle, "une empathie lucide".
Et pourtant tout les sépare : « onze années et des siècles d’histoire » écrit-elle. Les origines familiales, les études (De Gaulle possède une solide culture classique, Malraux autodidacte a tout appris dans les livres).
Alors, qu’est-ce qui les rapprochent ? L’un est prophète, l’autre un héros... Et tous deux ont conclu un pacte pour tirer ensemble la France vers la grandeur, par la force du Verbe. Et par la force de l'Esprit. Ils avaient un même sens de s'inscrire dans l'Histoire, de faire partie de L’histoire et même, de faire l’Histoire.
Et elle raconte comment ils se sont croisés sans vraiment se rencontrer : dans les salons littéraires d'abord (chez Daniel Halévy) ; à Strasbourg, le 8 mai, quand De Gaulle vient écouter un Te Deum ; ou dans la Résistance (mais Malraux mit beaucoup de temps à s'y engager). Le chemin l'un vers l'autre fut long, de 1936 à 1945.
Et pendant 25 ans, un quart de siècle, ils ne vont plus se quitter..., Et pourtant, n'est-ce pas pour anticiper les éventuels excès de langage de Malraux, alors ministre de l'Information, que De Gaulle va demander à ce que l'on crée pour lui un nouveau ministère, le bref ministère du Rayonnement français qui deviendra le ministère des Affaires Culturelles ? Jamais Malraux, qui a dû, pour se faire gaulliste, renoncer à ses amis et en partie à ses livres, ne reniera De Gaulle. Et c'est à la même date, en 1969, qu'ils quitteront la scène politique.
Puis Christine Clerc explique comment elle a dû se dégager, prendre de la distance par rapport à l'abondante documentation à sa disposition : car ces deux hommes ont tous les deux ont écrit des Mémoires (des Antimémoires pour Malraux, mais c'est pareil, sauf qu'il enjolive souvent la réalité ! ce sont, dit-elle, des "embellissements pathétiques") ; tous les deux font le sujet de multiples biographies ; tous les deux sont évoqués dans de nombreux ouvrages de souvenirs de personnes qui les ont connus ou côtoyés. Elle a feuilleté, à la Bibliothèque du Sénat, d'innombrables journaux de l'époque, de toutes les tendances (les titres de l'Humanité, véritables appels à la haine, qu'elle rapporte sont inouïs !). Elle a mené de nombreux entretiens avec des témoins : Brigitte Friang, Emile Biasini, Pierre Lefranc, Lucien Neuwirth, Robert Poujade (le seul gaulliste de sa promotion), et avec la femme d'André Malraux (Madeleine), sa fille Florence, son fils Alain, et bien d'autres encore. Et même avec celui qui était à l'époque, au cabinet de Malraux, un tout jeune conseiller juridique, Gabriel de Broglie, aujourd'hui Chancelier de l'Institut de France. Deux académiciens au moins ont beaucoup fréquenté De Gaulle et Malraux : François Mauriac (Académie française) et Gaston Palewski (Académie des beaux-arts, membre libre).
Qu'auraient-ils été l'un sans l'autre ? Pour le savoir, il faut lire l'ouvrage que leur consacre Christine Clerc dont le talent d'écriture rend le récit passionnant.