Darius, roi des Perses, en son palais à Suse
L’archéologue Jean Perrot, correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a conduit en Iran les fouilles de la mission française durant dix ans. Il a publié en 2011, un magnifique ouvrage, Le palais de Darius à Suse, auquel les meilleurs spécialistes apportent leur contribution. Que savons-nous exactement du grand roi Darius Ier, surnommé le roi des rois, et de son palais à Suse ? Les ruines mises au jour ont-elles fourni de nouvelles données historiques ? Jean Perrot apporte ici, avec enthousiasme, un éclairage essentiel.
On connait les dates de Darius : 522-486 av. J.-C. ; on situe son empire : l'immense empire perse qui va du Nil à l'Indus, il y a 2500 ans ; mais on oublie souvent qu'il fut aussi pharaon d'Égypte ; on imagine son palais, à Suse, somptueux à cause des célèbres frises du Louvre (un gigantesque chapiteau à têtes de taureau et des briques émaillées alignant des archers richement vêtus, avec d'inquiétantes figures de lions et de monstres ailés). Enfin, on trouve des mentions de lui dans la Bible, aux livres d'Esther, d'Esdras et de Néhémie, de Daniel ; on le rencontre à travers les Perses d'Eschyle, ou encore l'Esther de Jean Racine. Mais en vérité, nous disposons de très peu de documentation littéraire ancienne.
Jean Perrot, directeur de recherche honoraire au CNRS où il est entré en 1946, a fouillé de nombreux sites anciens en Palestine, en Turquie, en Iran ; il a été en charge de la mission archéologique française à Suse, en Iran, de 1968 à 1979, il a entrepris des mesures de sauvegarde des vestiges de la période achéménide (VIe au IVe siècle avant J-C). Et surtout, il a exploré les ruines du "palais" de Darius.
Le résultat de ces dix années de fouilles fait l'objet d'un superbe album publié par les PUPS, presses universitaires de Paris-Sorbonne, en février 2010, LE PALAIS DE DARIUS À SUSE une résidence royale sur la route de Persépolis à Babylone, sous le haut patronage de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Un ouvrage collectif, que Jean Perrot a coordonné en tant que directeur de la mission archéologique de Suse et qui offre des contributions des meilleurs historiens et archéologues de cette période.
Bref rappel de l'histoire des fouilles
Ce palais fut découvert, il y a 150 ans, par l'archéologue britannique William Kenneth Loftus (1850-1852) qui a donné le premier coup de pioche en 1852. Puis les fouilles furent conduites par les archéologues français, notamment le colonel Marcel Dieulafoy qui fut membre libre de de l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1895 (à qui l'on doit des dessins et des photographies des fouilles anciennes (avec Jane Dieulafoy, ils ont dégagé en 1885 ce chapiteau et les frises arrivées en 1888 au Louvre, et le 6 juin 1888 le président de la République inaugure les deux salles du musée consacrées à Suse). Et l'on peut citer aussi Roman Ghirsham, membre libre de l'Académie élu en 1965 (décédé en 1979), qui reprend la direction des fouilles après Roland de Mecquenem à partir de décembre 1946 et jusqu'en 1967, soit 21 campagnes de fouilles. C'est lui qui passe le relais à Jean Perrot. On pourrait également mentionner le R.P. Scheil qui était un épigraphiste et qui a déchiffré les inscriptions de Suse.
Le nouveau programme lancé dans les années 1960 impliqua des archéologues iraniens, avec le soutien et les encouragements des autorités iraniennes, des étudiants, des membres du CIRA (Centre Iranien de Recherche Archéologique) et le musée de Téhéran. "Nous avons aussi fait appel à des spécialistes comme l'égyptologue Jean Yoyotte quand nous avons découvert la statue colossale de Darius, qui présente un intérêt considérable, seule statue achéménide connue en Égypte.
Persépolis et Suse
- Suse, appelée aujourd'hui Shoush-e Daniel, se trouve au Khuzistan, entre Babylone et Persépolis.
Les découvertes fort importantes ne remettent pas en question les dates du roi mais relativisent la notion de "capitale" pour Persépolis et pour Suse.
Resituons brièvement Darius dans l'histoire des Achéménides telle qu'elle a longtemps été admise :
- en -552 intervient la mort de Nabuchodonosor, souverain de Babylone
- après lui, règnent à Babylone Cyrus Ier, Cambyse Ier et Cyrus II, puis Cambyse II, et c'est après lui, qu'en -522, Darius prend le pouvoir en tant que roi de Perse et on a pu dire - mais Jean Perrot apporte ici des nuances - qu'il a hérité de l'empire créé par Cyrus.
On se souvient que les Perses ont été défaits à Marathon en -490. C'est son époque mais "c'est un incident de parcours magnifié par les Grecs dit Jean Perrot, car les Perses avaient des soucis bien plus importants !".
Quand Darius meurt en -486, 4 ans après, c'est Xerxès qui prend le pouvoir.
Durant ces 36 années de règne, Darius va, entre autres, entamer des travaux à Persépolis - où il n'y a pas de palais résidentiel -, et à Suse, où il aurait implanté son palais présidentiel. Sous son règne, sera percé un canal du Nil à la mer rouge, pas à l'emplacement de l'actuel canal de Suez (qui est nord-sud) alors que ce canal antique était est-ouest. Le long du canal on retrouvera trois stèles de Darius.
Inscriptions rupestres en trois langues
Darius eut à mater de nombreuses révoltes. Sur les falaises de Behistoun et de Naqsh Rostam (là où est son tombeau), il fait graver ses exploits, en des inscriptions rupestres trilingues : vieux perse, élamite, babylonien, comme pour toutes les inscriptions officielles (l'araméen servant de langue diplomatique). Elles furent traduites seulement dans le milieu du XIXe siècle. Darius insiste sur le fait que la royauté lui a été donnée par Ahuramazda.
C'est seulement après avoir maté ces terribles révoltes que l'on peut envisager l'exécution par Darius de son grand projet de construire à Persépolis, le cœur du nationalisme perse, une grande salle d'assemblée mais pas une résidence royale. L'Apadana de Persépolis est une immense terrasse à peine terminée. Ce n'était pas non plus un centre de fêtes de l'empire (il fallait au moins trois mois de route pour aller d'un point de l'empire à l'autre).
Le site de Suse
Darius va donc construire de toutes pièces une nouvelle capitale à Suse, dans son pays la Perse, et non s'installer à Pasagardès ni à Ansan... Il veut marquer une rupture totale avec son éminent prédécesseur. Comment imaginer Suse ? "Une immense plaine avec une énorme taupinière" dit Jean Perrot, Suse existait bien avant (4000 av. J.-C., ancienne capitale élamite), les ruines s'y sont accumulées formant trois collines principales que les archéologues ont appelées la citadelle, l'apadana, la ville royale. La ville est ensuite tombée en déclin, puis, à la période achéménide, elle s'est étendue sous Darius. Jean Perrot explique les conditions économiques de cette région, au carrefour des routes de commerce, l'importance des rivières et souligne la nécessité de prendre en compte le climat de la région (l'Elam, moitié plaine moitié plateau).
Darius a-t-il voulu imposer une autre religion ?
Cyrus avait imposé Mithra à la place d'Ahuramazda (ce qui fit des mécontents dont sans doute Zarathoushtra, qui, aurait peut-être rencontré le père de Darius, Hystaspe). Darius veut revenir à la religion d'avant Mithra (principale divinité des Mèdes), la religion de ses ancêtres. Il n'y a d'ailleurs aucune mention de Mithra dans les inscriptions de Darius... Et il voue une haine aux Mages, la classe chargée des affaires religieuses au temps de Cyrus. Dans le relief de Béhistoun, à 60 m de hauteur environ, est représenté le pied du roi qui écrase l'usurpateur Gaumata et symboliquement la caste des Mages. Notre invité Jean Perrot fournit ici plusieurs repères importants pour différencier Cyrus et Darius dans leur rapport à la religion en insistant sur l'importance de ce VIe siècle avant J-C, époque charnière pour les idées.
La découverte de la statue et de la Porte de Darius
A-t-on pour autant découvert les éléments d'une ville royale ? Jean Perrot fournit ici des indications précieuses : "Ce que l'on avait appelé jusqu'ici "palais" à Suse, représente en fait la résidence et la salle d'assemblée qui couvrent 50 000 m², 11 ha, qui sont sur une terrasse dont l'accès est une porte monumentale...". Notre invité ajoute bien d'autres détails que l'on découvre en l'écoutant et en lisant ce gros livre. "L'ensemble des trois collines anciennes représentent environ 70 ha qui sont entourés et fortifiés. On a donc affaire là d'abord et avant tout à une place forte et non à un palais somptueux".
Le 21 décembre 1972, les archéologues découvrent une pierre grise qui se révèle être le haut d'une statue colossale de Darius : on la dégage et l'on découvre un bâtiment avec une porte monumentale. Sur la statue achéménide figurent des inscriptions examinées par François Vallat et Jean Yoyotte : c'est l'éloge royal porté sur les plis de la robe. Ces plis en effet ont conservé les inscriptions dans un état admirable, en cunéiforme et en hiéroglyphes. Elles rappellent que Darius Ier fut le deuxième pharaon de la XXVIIe dynastie.
La statue a été exécutée en Egypte vers -490, (la roche grise, une sorte de schiste que l'on trouve dans le Wada hammamat le prouve) ; elle a pu être transférée à Suse dès -487 en raison des troubles dans la vallée du Nil, ou en -484 par Xerxès après la mort de Darius. On ne sait d'ailleurs pas si le transport s'est fait par la mer méditerranée puis les terres (de Pithom à Suse) ou par la descente de la mer rouge, et le tour de la péninsule pour remonter par le golfe persique. (Yoyotte penche pour la première solution, plus familière aux navigateurs). La statue était haute de 3m50 mais aujourd'hui, il manque le haut, 2m46 sont conservés. Dans le livre, Jean Yoyotte (4 août 1927 - 1er juillet 2009), égyptologue français, titulaire de la chaire d’égyptologie du Collège de France de 1992 à 2000, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, détaille cette statue et raconte aussi comment fonctionnait la carrière de pierres de wadi hammamat avec son très éminent érudit et directeur de travaux, celui de Darius, Khnemibrê.
Suse, un exploit technique !
Jean Perrot explique aussi la difficulté de l'utilisation de la brique crue et la nouveauté technique que représentait le creusement de tranchées jusqu'à 20 m de profondeur remplies de gravier. Sur ce gravier, on a posé deux assises de briques cuites et sur celles-ci pouvaient s'élever les murs très épais et très hauts (20 m pour les colonnes) afin de reposer sur un terrain stable.
Il rappelle également que les fameuses "frises" en briques émaillées (celles que l'on admire au Louvre) servaient autant à protéger la base de ces murs contre la pluie qu'à décorer.
Pas de pierres, pas de bois, on imagine les difficultés rencontrées par les ingénieurs de l'époque. Suse est véritablement un exploit technique, que Darius note lui-même dans ses inscriptions. Écoutez Jean Perrot vanter cet exploit architectural et partager son enthousiasme !
Ces fouilles apportent donc une page supplémentaire dans l'histoire de l'Iran et, plus largement, dans l'histoire des hommes...
A lire absolument :
On ne saurait que recommander cet ouvrage de référence, Le Palais de Suse, une somme qui offre au lecteur bien d'autres éléments d'information, et recommandons particulièrement les chapitres sur les frises du Louvre, sur "les arts du feu" qui donne aussi des détails sur les briques ornementales et les décors en brique siliceuses à glaçure, les précisions sur les objets mobiliers en faîence bleue, la vaisselle, pour la table et pour le culte, les objets de toilette, les amulettes, et un autre chapitre sur l'art mobilier à Suse, à l'époque perse.
Un Prix :
Cet ouvrage a reçu à Téhéran, le 23 octobre 2010, le Grand Prix international d'archéologie (Fourth Farabi International Award) de l'Institut d'Etudes sociales et culturelles du ministère iranien de la Science, de la Recherche et de la Technologie.