Les honorables éditions Honoré Champion !
Honoré Champion fait partie du paysage de l’édition française depuis... 1874 ! Voici le portrait de ce personnage étonnant, fondateur d’une "librairie à chaises", érudit, éditeur et ami de nombreux académiciens. Jean Pruvost, directeur éditorial, en conte l’histoire et Frédéric Barbier, directeur à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, replace cette vénérable maison dans la 2ème révolution du livre, celle du XIX è siècle. Honoré Champion, 150 ans d’édition, rime toujours avec érudition.
Dans l’émission "Au fil des pages", nous avons quelquefois le plaisir d’inviter un éditeur, ou un directeur de collection d'une maison d’éditions, une grande ou une plus modeste, afin de parler de l’édition justement, de ses difficultés, de ses joies aussi, de ses projets, de ses auteurs. Jean Pruvost, bien connu des auditeurs de Canal Académie où il anime la rubrique "Mot pour mot", évoque une honorable maison d’édition, sans doute l’une des plus anciennes de Paris, Honoré Champion, dont il est le directeur éditorial.
Frédéric Barbier, quant à lui, est directeur à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, où il tient la chaire d'histoire et civilisation du livre. C'est dire que l'édition n'a pas de secret pour lui !
Un autodidacte de 13 ans
Rares sont les érudits qui ont été obligés de quitter l’école à treize ans… C’est ce que dût faire Honoré Champion, né en 1846 et orphelin de père, qui entra comme commis en 1859 dans la boutique érudite de Dumoulin, avant de devenir lui-même le libraire-éditeur le plus estimé dans le monde du savoir. Commis doué d’une prodigieuse mémoire, il devint ainsi familier de Sainte-Beuve dont il rangeait la bibliothèque, puis, jeune homme, il souffla en 1870 à la barbe des Allemands les inestimables manuscrits de Vauban ! Il fit rapatrier à Paris trois wagons entiers de livres ! Bibliographe averti, il monta alors sa propre librairie de livres anciens et sa maison d’édition, située sur le quai de la Seine, à deux pas de l’Académie française et fréquentée par tous les savants de la fin du XIXe siècle.
Parmi les académiciens qui figurent au catalogue de la libraire Honoré Champion, et sans pouvoir les citer tous, notons Alembert, Barrès, Chateaubriand, Claudel, Delacroix, Duhamel, Fontenelle, Green, Hugo, Ionesco, Valéry... et précisions quelques uns des secteurs : littérature, textes médiévaux, linguistique (dont le Trésor de la langue française), histoire, philosophie, de nombreuses revues de sociétés savantes (école des chartres, amis de Montaigne, société Chateaubriand, études staëliennes, etc), études juives, musicologie, et de nombreux dictionnaires ...
L’archéologie, l’histoire littéraire de la France, de l’Italie et de l’Espagne, l’histoire de la Renaissance, l’histoire de Paris doivent beaucoup à Honoré Champion, chez qui paraissaient d’importants périodiques, rappellent les dictionnaires qui lui consacrent de longs articles dès l’année de son décès, en 1913 (à 67 ans). Et Jean Pruvost de citer ici l'important article que le Larousse lui consacra dans son édition de 1913.
De fait, la librairie Honoré Champion était une « librairie à chaises », les habitués y avaient leur place, « comme à l’Académie on a son fauteuil » soulignent ses biographes, et les plus beaux projets d’édition culturelle s’y élaboraient. On se souvient d’Anatole France qui, lié d’amitié avec Honoré Champion, le présente comme le maître d’un opisthodome (du grec opistho, à l’arrière), c’est-à-dire la partie postérieure d’un temple où se trouve le trésor, en l’occurrence des livres rares.
L’un de ses fils lui succéda : Pierre Champion. Frédéric Barbier précise que ce dernier (né en 1880 et mort en 1942) était membre de l'Académie des sciences morales et politiques où il fut élu, dans la section Histoire et Géographie, le 25 mai 1940 au fauteuil précédemment occupé par Georges Pages. Pierre Champion écrivit de nombreux livres sur l'histoire du Moyen-Age et de la Renaissance.
Les archives précieuses de la maison Champion furent léguées en 1942 à l’État, avec près de 25 000 lettres écrites de la main d’Honoré Champion. En 1973, Michel Slatkine, éditeur genevois, également pionnier de l’édition érudite et du livre ancien, rachetait les Éditions Honoré Champion et, en avril 2005, ces dernières s’installaient au cœur du quartier latin, 3 rue Corneille. De directeur éditorial en directeur éditorial, « Honoré Champion » continuait sa mission nationale et internationale, passant sans difficulté le cap du XXIe siècle, rassemblant en 2009 plus de vingt directrices et directeurs de collection du plus grand renom. Enfin, les deux fils de Michel Slatkine s’investissaient dans cette belle aventure, pérennisant au XXIe siècle la jeunesse d’une maison que le fondateur avait d’emblée incarnée, dès 1874. Les éditions Honoré Champion demeurent l'une des rares maisons françaises indépendantes.
Jean Pruvost insiste sur le caractère familial de cette maison d'édition et aussi sur la rencontre possible entre des auteurs de haute stature et de jeunes érudits, tandis que Frédéric Barbier rappelle qu'en effet, la "sociabilité" et la relation aux auteurs en avait assuré le succès. Sans oublier qu'Honoré Champion manifestait un vif intérêt pour la science. Au fond, cet éditeur jouait un rôle essentiel : être un intermédiaire entre deux mondes, celui des auteurs érudits et celui des lecteurs. La qualité du catalogue permet à une telle maison d'édition de continuer à vivre, et cela, dit Frédéric Barbier, dans une autre logique économique que celle de la majorité des groupes d'édition actuels.
Le « petit cheval » apposé sur les ouvrages Champion continue de galoper fièrement, et la devise du fondateur résonne haut et clair : "la vérité et le bien".
A voir :
La tombe d'Honoré Champion se trouve au cimetière Montparnasse où il est bien sûr montré entouré de livres.
lien vers le site www.honorechampion.com
Sur le site Fabula, vous pouvez lire la lettre mensuelle d'information des éditions rédigée par Jean Pruvost : http://www.fabula.org/actualites/article29169.php