Existe-t-il un art de vivre à la Jean d’Ormesson ?
Deux ouvrages remettent Jean d’Ormesson, de l’Académie française, à la devanture des libraires, en la fin d’année 2009 : un conte réédité L’enfant qui attendait un train et un recueil de chroniques Saveur du temps. Goûtez le plaisir d’entendre Jean d’Ormesson, non seulement présenter ces livres, mais parler de littérature, d’amour, de politique, de quelques- uns de ses ancêtres, et de bien d’autres sujets.
Jean d'Ormesson évoque tout d'abord ses débuts en littérature en cherchant à comprendre pourquoi ses premiers livres n'ont pas rencontré autant la faveur du grand public que "La gloire de l'Empire" qu'il a publié en 1971, à 46 ans ( plus de dix ans après son premier roman), couronné du Grand Prix du roman de l'Académie française : peut-être n'étaient-ils pas assez bons ?
Ecoutons-le raconter dans quelles conditions il a déposé son tout premier manuscrit chez Gallimard (à la demoiselle du téléphone, car, affirme-t-il, les recommandations en littérature ne servent à rien, ce n'est pas comme en politique...) puis chez Julliard, lequel, enthousiaste lui promet un triomphe. Ce ne fut pas un triomphe ni d'ailleurs les suivants !
Une autre raison à ce médiocre démarrage ? Il était sur la liste noire du Figaro. Et, de nouveau, le voilà qui raconte comment étudiant, après une méchante critique du livre du directeur de l'époque, Pierre Brisson, il s'est mis à dos ce journal qui n'évoquait jamais aucun de ses livres ! Ce n'est évidemment que bien plus tard (en 1974) qu'il s'est lui-même assis dans le fauteuil directorial du grand quotidien, en tant que directeur général.
L'émission commence donc sur des histoires et quand il aborde sa famille, ce sont encore des anecdotes, mais historiques celles-ci, qu'il nous offre :
- Comment son aïeul Olivier d'Ormesson, réputé pour son intégrité, a dû, sur ordre du roi, juger Fouquet mais sans le condamner à mort, seulement à l'exil, peine commuée par décision royale en prison à vie...
- Comment son père, ambassadeur à Munich, entre 1925 et 1933 (c'est ainsi que le petit Jean a appris l'allemand avant le français) a pu sauver bien des vies menacées.
- Comment, du côté maternel, bien plus monarchique et ultra catholique, on a voté la mort du roi : "La Révolution fait partie de la tradition familiale"
Et outre Chateaubriand, qui en littérature ?
Rousseau d'abord : "Un fou mais génial, le père du romantisme, du socialisme, de l'écologie, de la psychanalyse, du monde moderne" et qui a eu deux héritiers spirituels, Robespierre "à gauche" et Chateaubriand "à droite". Lequel à son tour aura deux enfants, Barrès "à droite" et Aragon "à gauche". Et Hugo dans tout cela ? "Le plus grand poète de la littérature".
Un côté vieux jeu, qualité ou défaut ?
Jean d'Ormesson avoue, confie, confesse, sur Canal Académie, son côté "le plus ringard" (sic), son défaut (ou sa qualité ?) vieux jeu : sa grande capacité d'admiration. A une époque où ricannement, dérision, ironie règnent en maître, lui, même s'il sait très bien jouer ce jeu-là, est capable de le lier à une capacité d'admiration. Il explique, à titre d'exemple, pourquoi il admire un auteur (quasi inconnu) Nicolas Fromaget, sorte de Voltaire avant la lettre.
Il admire tout autant ses confrères à l'Académie (il en parle longuement de l'Académie, racontant l'appel téléphonique de Paul Morand, avouant sa fierté de siéger entre Jacqueline de Romilly et Claude Lévi-Strauss, "deux personnes merveilleuses", (précisant que l'Académie venait de rendre hommage, en privé, à ce gigantesque savant juste quelques jours avant cet entretien dans notre studio), que les nombreux auteurs qui n'y ont pas été élus, : Marcel Aymé, Gide, Céline, Aragon, Proust...
Et l'amour dans tout cela ?
L'amour dans la littérature ? Ce n'est pas indispensable, en tous cas pas l'amour heureux (d'ailleurs il n'existe pas, comme le disait Aragon). L'amour n'a pas grand chose à voir avec le bonheur, tout comme la littérature n'a pas grand chose à faire avec le bonheur ... Et pourtant : "Longtemps, on m'a fait passer pour un écrivain du bonheur ; en réalité, je suis plutôt un mélancolique qui pense que l'on doit tâcher d'être heureux malgré ce monde cruel, dur, et quelquefois atroce".
Confidence prophétique de Jean d'Ormesson : nous allons bientôt vivre la fin de la société permissive. On voit déjà les premiers signes de la réaction. Dans les jeux amoureux, on est allé trop loin. On décèle maintenant, dans les réactions du public (affaire Polanski ou Mitterrand) que l'idée qu'un artiste ou un écrivain puisse avoir les moeurs sexuelles qu'il veut, n'est plus admise. "Je suis presque sûr que dans vingt ans, la génération 68-80 sera rejetée parce que trop permissive".
De droite, toujours ?
Non, pas toujours : étudiant à Normale Supérieure, il était plutôt stalinien (c'était avant le pacte germano-soviétique...) et il trouvait ses amis trotskistes épatants ! Mais bien vite, dès après la guerre, il est franchement anti-stalinien : "J'ai mené une espèce de combat contre le stalinisme ; la chute du mur de Berlin est une des grandes dates de l'histoire contemporaine".
Deux mots dominants
- le mot "parmi" : dans son livre "Qu'ai-je donc fait ?" (paru en 2008), il confie : j'ai vécu tout simplement la vie d'un homme parmi les hommes : "je ne suis pas socialiste mais j'ai ceci de particulier que, dans une certaine mesure, je crois au progrès. Et je crois profondément en l'égalité des êtres".
- le mot "beauté" : c'est une chose étrange de notre époque que celle de l'abandon de la beauté par l'art contemporain. Or, il existe une autre beauté que celle de l'art, celle de la nature.
Et aujourd'hui ? Et demain ?
"Désespérement optimiste, la vie m'intéresse encore, surtout l'avenir... Ce qui me fera le plus de peine au moment de mourir : ne pas savoir ce qui se passera après...".
En savoir plus sur les deux d'Ormesson de l'Académie française : Wladimir (élu en 1956) et Jean (élu en 1973) :
consulter www.academie-francaise.fr