La langue française du XVIe siècle en héritage : Pierre Lartigue par Florence Delay
Si Bertrand Gallimard Flavigny reçoit aujourd’hui Florence Delay femme de lettres, membre de l’Académie française depuis 2000, ce n’est pas seulement pour s’intéresser à la sortie récente de son ouvrage Il me semble mesdames, mais bien pour évoquer avec nostalgie et tendresse la figure de Pierre Lartigue, poète, essayiste et romancier français, décédé en 2008. Des promenades en prose dans les jardins des châteaux de la Loire qu’elle offre dans sa dernière œuvre, aux vers élégants et habités de Pierre Lartigue dans Plumes et rafales : la passion du XVIe siècle, Florence Delay rend hommage à ce grand passionné de la poésie renaissante dont l’œuvre, sans être austère, témoigne d’un très grand respect pour la littérature amoureuse et pour ses illustres prédécesseurs.
Certains vers nous habitent, même si nous avons oublié les poèmes entiers d’où notre mémoire les a extraits : «Beauté, mon beau souci…
Qu’est-ce qu’aimer et s’en plaindre souvent ? Chanter les amours, les armes, la victoire…Ce beau corail, ce marbre qui soupire…»
En un immense collier tous ces mots assemblés brillent comme des perles que l’on compte, caresse et redécouvre. Pierre Lartigue, trop tôt disparu, ne se lassait pas de ces «Plumes et rafales», tellement sa passion pour le XVIe siècle était grande.
Son essai est lui-même un bijou d’érudition, d’élégance et de malice. Son livre est précieux parce que son auteur était un amoureux du XVIe siècle. Il connaissait les poètes et les prosateurs « comme sa poche », dit Florence Delay. Il s’est amusé avec tous ces personnages qui ayant enfin abandonné le gothique, se sont précipités dans la poésie. La France en débordait. « L’exemple vient d’Italie où, dans chaque ville, depuis un siècle, il se fait chaque année une vendange de sonnets. »
Tout a commencé avec la traduction par Vasquin Philieul, en 1548, de cent quatre-vingt-quinze sonnets de Pétrarque . Cette édition parut sous le titre Laure d’Avignon et fut suivie par la première traduction française du Canzoniere et des Trionfi sous le titre complet de : Toutes les Œuvres vulgaires contenant quatre livres de MD, Laure d’Avignon, sa maîtresse (Barthelemy/ Bonhomme, 1555), et dédiée à Catherine de Médicis. Après cela les poètes surgirent de partout, rapporte Pierre Lartigue pour lequel il était impossible « de nommer les villes, les hameaux, les maisons, où retentit le vers, où sonne le sonnet ».
Nous songeons immédiatement à Ronsard, du Bellay et Baïf membre d’une troupe qui grossit ; mais « cette Brigade, qui deviendra Pléiade, n’est que le gros d’une troupe qu’il serait malvenu de ranger avant d’en avoir montré le nombre, le foisonnement ».
Pierre Lartigue connaissait également Vasquin et lui parlait peut-être comme nous nous parlons. Car il raconte ces hommes, dresse leur portrait, les situe, les abandonne, raconte leurs amours qui ne sont jamais simples. Il cite par exemple Étienne Jodelle que Florence Delay apprécie également.
Elle retranscrit l’un de ses sonnets dans son livre Il me semble Mesdames. C’est un sonnet rapporté d’Italie, au rythme ternaire, c'est-à-dire, comme pour « le sonnet à Diane » par exemple, trois noms, trois adjectifs, trois verbes correspondant chacun au nom choisi. Diane est lune au ciel, Diane dans les bois, Hécate sous terre. Une forme difficile, mais captivante. Pierre Lartigue appréciait également la sextine à laquelle il a consacré un livre entier, L’hélice d’écrire, car la sextine tourne en rond à partir de six mots rimes qui permutent à chaque strophe.
Plumes et rafales évoque avant tout la seconde moitié du XVIe siècle qui parlera peut-être moins d’amour que la première, à cause des guerres et l’on ira vers d’autres terrains comme la tragédie et vers une poésie plus méditative, chrétienne et qui n’existe nulle part ailleurs.
Nous connaissons mal ce XVIe là. Nous découvrons encore ou retrouvons Thomas Sébillet (1512-1583), auteur de L’Art poétique français. Il s’interrogea sur ce que le français doit appeler rime. « Il étudie le vers, les coupes, les formes et, juste après l’épigramme, il place le sonnet. C’est la première fois ! » Ronsard, du Bellay et tous les autres n’eurent plus qu’à composer selon ces nouvelles règles. Le sonnet connut alors un sort considérable et même étonnant.
Avec Il me semble Mesdames, Florence Delay intervient plus tôt dans le temps. Il avait été prévu, à l’origine, de composer un ouvrage sur l’École de Fontainebleau qui crée un « type de femme très étrange, très long, très pâle, très nu ». Plutôt que d’écrire un livre d’art, elle a contourné la difficulté en allant prendre la main de Marguerite de Navarre afin d’essayer d’imiter sa belle prose et raconter des petites histoires sur Fontainebleau et sur ces dames.
« Pour Lartigue comme pour moi, l’anecdote est importante. Un trait permet de s’approcher de quelqu’un », dit-elle. L’académicienne cite le « premier éloge du bout de sein », autrement dit le « Blason du tétin » de Clément Marot ; elle décrit plus loin le tableau représentant la duchesse de Villars et Gabrielle d’Estrées dans leur bain. «Nous sommes dans l’époque du blason qui démantèle le corps féminin». Florence Delay aime le rythme court, une page ou deux, qui oblige à aller vite d’une manière précise.
Une exception a été faite pour Montaigne : « Il a la taille en dessous de la moyenne forte et ramassée, le visage plein. La moustache garde les parfums dès qu’il y porte ses gants, son mouchoir. En sa jeunesse, l’odeur des baisers y restait collée tout un jour et l’on savait d’où il venait. Il aime à se laver à grande eau puisque le voici en chemise : sa verge est un peu courte. Non longa satis. La Nature l’a traité illégitimement, incivilement. Pour s’habiller, il choisit le noir et le blanc, comme son père, et ne supporte pas d’être déboutonné. Il a horreur des poupoints lourds, des manies de mode qui tourneboulent son siècle efféminé. Malgré le sang juif dans ses veines et ses ancêtres marchands de hareng, il a conscience d’être un seigneur… »
Avant de nous quitter écoutons Pierre Lartigue réciter cette délicate fantaisie de Guillaume de Salluste du Bartas :
« La gentille alouette avec son tire-lire
Tire l’ire à l’ire, et tirelirant tire
Vers la vouste du Ciel ; puis son vol vers ce lieu
Vire, et désire dire Dieu adieu, adieu Dieu. ».
Texte de Bertrand Galimard Flavigny
Les ouvrages évoqués dans cette émission :
- Il me semble mesdames par Florence Delay
(Gallimard, 90 p.10 €)
- Plumes et rafales, la passion du XVIe siècle par Pierre Lartigue
(les billets de la Bibliothèque, 220 p. 19 €)
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