Colette et sa Claudine amoureuse

Les Claudine, un rêve pour les bibliophiles par Bertrand Galimard Flavigny

Colette, on l’a oublié, avait écrit un "Claudine amoureuse". Willy, son mari, en avait corrigé les épreuves mais le livre ne parut jamais en librairie. Pourquoi ? C’est l’histoire incroyable de ce manuscrit, très recherché par les bibliophiles, que relate dans sa rubrique notre bibliologue Bertrand Galimard Flavigny.

Émission proposée par : Bertrand Galimard Flavigny
Référence : pag393
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« J’appartiens à un pays que j’ai quitté », disait Colette. Ce pays-là se nomme La Puisaye, Une région située au sud du Bassin Parisien, qui jouxte le Val de Loire, le Nivernais et l’Auxerrois, aux confins des départements du Loiret, de la Nièvre et de l’Yonne. « Ah, les bois, les chers bois de Montigny ! À cette heure-ci, je le sais bien, comme ils bourdonnent ! Les guêpes et les mouches qui pompent dans les fleurs des tilleuls et des sureaux font vibrer toute la forêt comme un orgue ; et les oiseaux ne chantent pas, car à midi ils se tiennent debout sur les branches, cherchent l’ombre, lissent leurs plumes, et regardent le sous-bois avec des yeux mobiles et brillants », écrivait Claudine (à l’école).
Cette Claudine-là nous la connaissons puisqu’elle se décrit elle-même : « Je m’appelle Claudine, j’habite Montigny ; j’y suis née en 1884 ; probablement je n’y mourrai pas… » Après un voyage à Saint-Sauveur en 1895, Colette commença à écrire sur des cahiers d’écolier ce qui allait devenir Claudine à l’école. Elle ne le fit pas spontanément, mais à la demande de Willy. Ils étaient mariés depuis deux ans. Lui, Willy pseudonyme de Henri Gauthier-Villars, était né en 1859. Son père était le fondateur des éditions scientifiques Gauthier-Villars. Sa rencontre avec la fille de Sido, s’était produite en 1891, après l’installation de la famille Colette à Châtillon-Coligny où le frère aîné Achille était médecin. Jacques, le fils de Willy était en nourrice à Châtillon.



Le décor est planté. Les Lettres françaises allaient gagner l’un de ses plus grands écrivains. La bibliographie de Sidonie-Gabrielle Colette – je vous rappelle ses dates 1873-1954 - comprend une soixantaine de titres ; la plupart a été illustré plusieurs fois, ce qui donne le choix entre près de cent vingt illustrateurs qui se sont penchés sur ses textes, parfois recomposés. Quant aux articles et chroniques, ils sont innombrables, la liste des journaux et revues auxquels elle collabora atteint la bonne centaine. Il est un paradoxe que les éditions illustrées sont préférées aux éditions originales, alors que nous apprécions davantage cet auteur pour la qualité de son style et la beauté de sa narration. Nous y reviendrons.

Les fameux cahiers de "Claudine"

Mais retournons aux fameux petits cahiers. En fait Willy les avait oublié ces petits cahiers rédigés par sa jeune femme ; il pensait même les avoir « mis au panier ». Les lisant, il découvrit la qualité de leur écriture : « Il rafla en désordre les cahiers, sauta sur son chapeau à bords plats, courut chez un éditeur… Et voilà comment je suis devenue écrivain », a rapporté Colette dans Mes apprentissages. «Je ne connu, d’abord, que l’ennui de me remettre à la besogne sur des suggestions pressantes et précises ».

Les Claudines sont un rêve pour les bibliophiles. Parurent chez Ollendorf, sous la seule signature de Willy : Claudine à l’école (1900), Claudine à Paris (1901), Claudine en ménage (1902) et Claudine s’en va (1903).
Il y eut aussi un dernier « Claudine » mais en sous-titre :ce que Claudine n’a pas dit pour Mes apprentissages publié par Ferenczi en 1936. Colette, dans ce texte écrit après la mort, en 1931, de Willy, dresse un portrait au vitriol de son ex mari. Elle évoque, par exemple, le domaine des Monts Boucons, la maison dans le Jura qu’il lui avait offerte pour lui donner un peu d’oxygène. « Monsieur Willy semblait me les donner. Tout cela est à vous. Trois ans plus tard, il me les reprenait. Cela n’est plus à vous, ni à moi ». Et Colette se posera la question « Comme de tout amour perdu, vivrai-je sans les Monts Boucons ? »


Après la séparation des époux, les rééditions porteront la double signature Willy et Colette Willy (jusqu’en 1948), avec cette note : « Des raisons typographiques ont voulu que mon nom fût placé avant celui de Colette Willy, alors que toutes les raisons littéraires et autres, auraient exigé que son nom fût à la première place. » En 1949, l’édition des Œuvres complètes porte l’unique nom de Colette et c’est en 1955, à la demande de son fils, que fut rétabli le nom de Willy.

Claudine amoureuse ne fut jamais publié !

Parmi les « Claudines », il en est un qui connut un sort particulier : Claudine en ménage publié au Mercure de France en 1902. Il avait d’abord été titré Claudine amoureuse, et ne connut jamais le sort des librairies. Imprimé pour l’éditeur Ollendorff , les épreuves furent envoyées à Willy afin qu’il les corrigeât. Ce qu’il fit, puisque nous connaissons un jeu signé « Bon à mettre en pages Willy 20 février 1901 . Il contenant aussi des corrections de Colette. Puis, plus rien, à telle enseigne que, à l’exception de quelques spécialistes, on en avait oublié l’existence. Jusqu’à ce qu’un collectionneur découvrit un exemplaire de ce Claudine amoureuse, complet à l’état neuf dans sa reliure en toile vert clair.

Que s’était-il donc passé ? Colette et Willy, s’étant brouillés avec Ollendorff, reprirent et remanièrent – un peu - leur manuscrit pour le porter au Mercure de France sous cet autre titre, Claudine en ménage, moins alléchant il est vrai. Entre temps, Georgie Raoul-Duval, leur amie américaine et sulfureuse que Willy lui-même a qualifiée de «dangereusement séduisante...menteuse, éperdument. Et traîtresse amoureuse du danger inutile », avait racheté toute l’édition imprimée par Ollendorff et l’avait fait brûler. On connaît deux ou trois exemplaires qui ont échappé à l’autodafé.

Texte de Bertrand Galimard Flavigny


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