Le prince Zizim et la douce Philippine
Zizim ou plutôt Djem était le fils du Sultan Mehmet II et d’une princesse serbe chrétienne. Son frère Bajazet lui ravit le trône. Oyez l’histoire d’un prince turc exilé dans la Creuse ! Cet incroyable épisode historique donne prétexte à notre bibliophile pour vous conter aussi les amours de la fée de Sassenage...
A Bourganeuf, dans le département de la Creuse, les passants lèvent les yeux et contemplent un donjon échoué au milieu de la cité : « La tour de Zizim ». C’est là que résida, au quinzième siècle, un prince ottoman placé sous la protection du grand-maître des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, que l’on appelait les chevaliers de Rhodes, avant qu’ils ne s’installent à Malte, près d’un demi-siècle plus tard. Zizim ou plutôt Djem était le fils du sultan Mehmet II et d’une princesse serbe chrétienne.
Il avait tous les droits pour être désigné le successeur du souverain de la Sublime Porte, autrement dit l’empire ottoman, mais ce fut son frère Bajazet II qui s’imposa. Djem tenta de lui ravir le trône, échoua deux fois et se tourna alors vers le grand maître de Rhodes pour lui demander asile. Celui-ci était alors Pierre d’Aubusson qui avait été grand prieur de la Langue d’Auvergne dont le siège était installé à Bourganeuf. Afin de protéger son hôte, le grand maître lui proposa de se réfugier en France, et c’est ainsi que le prince turc s’installa, en 1484, au cœur de la Creuse.
Puis il fut envoyé à Rome, en 1489, à la demande du pape Innocent VIII qui songeait à le mettre à la tête des troupes d’une nouvelle croisade. Le pape trépassa, Charles VIII envahit l’Italie et emmena Zizim vers Naples. Où il mourut le 24 février 1495, vraisemblablement empoisonné sur l’ordre du pape Alexandre VI– un Borgia – et à la demande de Bajazet. Si cette mort soulageait enfin le sultan, elle ôtait aux chrétiens un précieux otage qui leur assurait un rapport de force non négligeable. Cette histoire maintes et maintes fois racontée, a inspiré une littérature abondante, dans laquelle on plaignait ce pauvre prince ainsi retenu en exil.
En 1673, parut à Grenoble, sans nom d'auteur, un petit volume intitulé Zizim prince ottoman, amoureux de Philippine-Helene de Sassenage. Histoire dauphinoise (in-12). Nous avons eu entre les mains un exemplaire relié en maroquin rouge, encadrement à la Du Seuil, dos orné, dentelle intérieure, tranches dorées sur marbrure par Niédrée, ayant appartenu à Charles Nodier. Sur la première garde, un feuillet volant de papier fin porte une note autographe de l’écrivain et bibliophile : « Par Guy Allard. – Ouvrage fort curieux et si rare qu’on n’en connaît que deux exemplaires en Dauphiné. Il n’a point été réimprimé, quoiqu‘en aient dit Beuchot [co-auteur de La Biographie des hommes vivants, 1815] et Barbier [auteur du Dictionnaire des ouvrages anonymes] qui ne l’avaient probablement jamais vu, et qui ont été trompés par une ressemblance de titre. Ch. Nodier. » Il semblerait que Nodier en ait identifié l’auteur grâce à la dédicace à Monsieur d'Avrilly, signée L. P. A, qui signifie : « Le Président Allard ».
Ce président, avocat au Parlement, Guy Allard ( 1636-1716) auteur de plusieurs ouvrages historiques, généalogiques parfois discutables, connaissait naturellement l’histoire du prince Zizim. D’autant plus que Nicolas Chorier (1612-1692), son rival en historien du Dauphiné [il fut également auteur de la Bibliothèque du Dauphiné, Grenoble, G. Laurent, 1680, in-12], avait dans son Histoire du Dauphiné à Grenoble chez Philippes Charvys, Libraire & Imprimeur ordinaire du Roy, (1661, in-folio) pour le tome 1 et à Lyon, chez Jean Thioly, (1672, in-folio) pour le second, évoqué un tournoi qui s’était déroulé en 1484 au cours duquel Hélène de Sassenage avait été remarquée par le Turc.
Dans sa préface Guy Allard prétend ne pas avoir écrit un roman ou une nouvelle. Il cite ses sources : Chalcondille, Aymar du Rivail, Expilly, etc. mais non Chorier. Il avoue tout de même avoir ajouté du sien à l'ouvrage, en particulier l’introduction de la fée de Sassenage, mais s'en défend en rappelant l'origine légendaire de cette famille qui prétend descendre de la fée Mélusine. Dans le roman, Zizim, éperdument amoureux, se propose de se convertir afin de pouvoir épouser la belle Philippine-Hélène ; mais la politique en décida autrement.
Texte de Bertrand Galimard Flavigny
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