Les Noëls bourguignons de M. de la Monnoye, de l’Académie française
M. de la Monnoye (1641-1728) pouvait être fier ; il fut le premier bourguignon admis à l’Académie française. Ce conseiller correcteur à la Chambre des comptes de Dijon, sa ville natale qu’il habita jusqu’à l’âge de 66 ans, fut d’abord le premier lauréat de l’Académie pour le prix de poésie qui avait pour thème l’abolition du duel par Louis XIV. Cette victoire fut suivie de trois autres...
On raconte que les académiciens lassés de couronner la même tête, firent prier La Monnoye de ne plus concourir ; et il se présenta. Sa réception, en 1713, en remplacement de François-Séraphin Régnier-Desmarais (1632-1713), troisième secrétaire perpétuel, fut un événement littéraire et mondain ; elle donna lieu à la création des fauteuils. Cela on ne s’en souvient plus, alors que les Noëls Bourguignons semblent familiers comme un air d’une chanson, dont on ne se rappelle plus les paroles, que l’on fredonne sans y prêter attention. Il est vrai que les mots – même pour un bourguignon d’aujourd’hui – ne glissent pas facilement sur les lèvres :
« Sôverain moitre du tonarre,
Grand Dei, que vos ain fai d’un mô
Le cier, lai Leùgne, le fôlô,
L’euvre fan dôte à rare… »
Des vers qu’il est malaisé de traduire, même avec l’aide d’un « glossaire »… établi par La Monnoye.
Les Noëls Bourguignons autrement dit les Noeï de Guy Barôzaï, rédigés et composés par Bernard de la Monnoye connurent dès leur apparition, un succès énorme. Barôzai était le nom d'un vigneron qui portait un bas de couleur rose, ce nom fut ensuite étendu à tous les vignerons de la ville de Dijon. La première édition des Noëls fut naturellement imprimée à Dijon, chez Jan Rassaire, imprimeur et libraire ordignaire du roi, en 1701 ; mais chacun s’accorde pour affirmer que la meilleure est celle de 1720. Laquelle ? Elles seraient neuf, selon le bibliographe Gabriel Peignot à porter la même date, toutes portant la mention « quatreime edicion ».
Mais Peignot fort érudit aimait inventer. Deux sortent du lot, celle de 420 pages signalée par Charles Nodier, autre grand bibliographe et père de la bibliophilie moderne et l’autre qui contient 36 pages de musique et l’éloge funèbre de la Monnoye qui mourut en 1727. Celle-là ne serait-elle anti-datée ? Finalement tous les bibliographes se mettent d’accord autour de la version des 35 chants de Noël qui furent remis dans leur patois d’origine par F. Fertiault avec leur traduction française chez Lavigne en 1842. Cette impression contient aussi la musique et un glossaire contenant les termes qui « accompagnent le vigneron dans sa vie quotidienne ». Nous ne pouvons résister au plaisir de citer quelques uns des titres des articles : « An-dée, Cham-batin (Chambertin), cheulai, claucé (de soif), vin douçô, fillôte, gouisô, meire-gôte, Migieu (vin de Savigni), moutade (moutarde), Paraidi (2 vins de Bourgogne), ruchô, pitainche (argot, pour le vin), salaï (Bourguigon salaï), tavane, tillô, Venonge... »
« La verve de la Monnoye paraît naïve, mais elle très malicieuse », raconte-t-on. Les Noëls furent chantés à la cour, où l'on y découvrit la langue bourguignonne avec délices, sur des airs de Lulli ; « ces malins cantiques composés pour égayer accompagnaient bien les vins du même cru ». Ils causèrent pourtant à son auteur quelques désagréments ; la Sorbonne faillit les censurer. Mais tout s’arrangea grâce à quelques épigrammes de complaisance et l’auteur ne fut ni brûlé, ni envoyé aux galères.