Les peines des secondes noces
Jadis, en se remariant, les veuves encouraient des peines, surtout lorsqu’elles ne respectaient pas la fin de la période du deuil... Edits et traités furent, sur ce point, implacables ! Notre bibliophile, Bertrand Galimard Flavigny, examine l’un de ces fameux "traité de secondes noces" publié au XVIIIe siècle et qui obtint un vif succès !
Il n’était pas bon de perdre son conjoint au milieu du seizième siècle, essentiellement les femmes. Un Edit de François II, de juillet 1560, appelé « Edit des secondes noces » contient deux chefs contre les veuves qui se remarient. « Le premier défend à celle qui se remarie de donner à son second mari plus qu’un de ses enfants le moins prenant peut en avoir », indique le Dictionnaire de droit et de pratique… publié en 1779. « Le second veut qu’elle laisse à ses enfants du premier lit tous les avantages qu’elle aura reçu de son premier mari ». Suivent des développements et explications en six points pour le premier chef et quatre pour le second. L’Encyclopédie s’est également penchée sur le veuvage et notait qu’autrefois « il existait une peine d’infamie contre les femmes qui se remariaient avant la fin du deuil ; mais le droit canonique avait levé cette tâche ». L’article de l’Encyclopédie s’achève par un simple constat : « les personnes qui se remarient après l’an du deuil sont sujettes aux peines ordinaires des secondes noces ». N’est-ce pas Athénagore, l’un des premiers docteur de l’Eglise, qui estimait que « les secondes noces sont adultères honorables » ?
Le sujet était donc d’importance, on sentait le souffre de la bigamie. Et, à l’époque, le divorce était rare et circonstancié. Des juristes, très sérieux se sont donc penchés, tout au long du dix-huitième siècle sur ces « peines des secondes noces ». Me Pierre Dupin, avocat au Parlement de Bordeaux, fut de ceux-là. Il étudia « de quelle manière les Peines de seconde Nôces sont observées; tant dans les Provinces du Droit écrit, que dans la France coutumière, selon les Edit & Ordonnances de nos Rois, & suivant les différentes Coûtumes du Royaume, avec la Jurisprudence de tous les Parlements sur la même matière ». Son Traité des peines des secondes noces fut publié à Paris, Chez Denis Mouchez, à l'entrée de la Grand'-Salle du Palais, à la Justice en 1743. Nous avons entre les mains, un autre ouvrage intitulé Traités des peines des secondes noces (A Galembrun, chez Henry Vaugeth, 1750, petit in-12). Son auteur, « Feu Noble Louis Astruc, Professeur en Droit Français de l'Université de Toulouse », examine les irrégularités que pourraient commettre tant les veuves que les veufs, notamment durant ou après le deuil imposé, et notamment vis à vis des enfants d'un premier mariage, dans le code civil et le droit coutumier. Ce travail est « intéressant et démontre le rapport étroit entre les lois et les mœurs », soulignent à son propos les bibliographes. Cet ouvrage ne comporte pas, curieusement, de privilège ni d’achevé d’imprimer, mais un discours préliminaire. Ceci s’explique par sa fausse adresse bibliographique. Il n’y a jamais eu d'imprimeur installé à Galembrun, un hameau du village de Larra, dans le canton de Grenade en Haute-Garonne. D'après Fernand Pifteau (né en 1865), un bibliophile passionné par l'histoire de l'imprimerie toulousaine, il s'agirait de l'imprimerie des Hénault à Toulouse. Le sujet consacré au remariage était-il déjà suffisamment brûlant pour que, non pas l’auteur puisqu’il était mort, mais son élève ou son successeur ait jugé préférable de publier ce traité de manière discrète ? Astruc, également avocat, dispensait pourtant ses cours à l’université de Toulouse.
Pourvu que l’année du veuvage soit écoulée rien n’est répréhensible. Dans le cas contraire des pénalités devaient être portées contre les veuves et les veufs, c’est ce qu’explique Louis Astruc. Une table des matières permet au lecteur ou à l’étudiant de piocher entre les « avantages nuptiaux », le « divorce » dont les effets sont différents de la « résolution du mariage par mort » ou les « habits de deuil ». L’auteur examine une grave question : « le mari est-il obligé de pleurer sa femme ? ».
Cet ouvrage qui fit autorité à son époque, remporta un certain succès. Une deuxième édition semblable à la première, dont rien ne la distingue, à dix pages près, sortit en 1752. Les Libraires associés à Toulouse en publièrent une troisième en 1774, et enfin un « avocat au Parlement de Toulouse » revit et corrigea le texte pour une ultime édition qui fut imprimée en 1775, à Lausanne aux dépens de la Société Typographique (in-12). Manque peut-être une remarque de saint Jérôme : « Je déclare hautement qu’on ne condamne pas dans l’Eglise ceux qui se marient deux, trois, quatre, cinq & six fois, & même davantage ; mais si on ne proscrit pas cette répétition, on ne la loue pas. »
Texte de Bertrand Galimard Flavigny