Les trésors de la Réserve de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec
La Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) regorge de trésors dans sa collection patrimoniale. Elle vient par ailleurs tout juste d’acquérir une collection d’ouvrages concernant le Québec imprimés en France. Bertrand Galimard Flavigny s’est entretenu sur place avec Sophie Montreuil et Daniel Chouinard, membres de la direction des acquisitions de la collection patrimoniale de la BAnQ et en vrai bibliophile, il nous fait partager le plaisir de ses découvertes.
La Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) comprend onze bâtiments. L’un d’eux, situé dans le quartier du Mont-Royal, est le centre de conservation. Il est essentiellement consacré aux exemplaires uniques, rares et précieux, et tout ce qui n’est pas livres et journaux, cartes anciennes, estampes, cartes postales, affiches, etc. Cette bâtisse construite en 1948 était à l’origine une fabrique de tabac. Ce type d’établissement utilisait les mêmes paramètres pour conserver le papier, c'est-à-dire humidité et lumière, des fenêtres murées, avec système de contrôle de l’air, ainsi que la capacité portante des planchers, car leur machinerie était très lourde. Rénové en 1996 pour accueillir la Réserve de la BAnQ, il a été inauguré l’année suivante.
L'imprimerie interdite par le roi Soleil
Celle-là, autrement dit « la collection patrimoniale » conserve 5 à 600 000 volumes. Cette collection a une vision d’exhaustivité, et tente d’acquérir tout ce qui a été publié depuis le début de l’imprimerie au Québec, c'est-à-dire, depuis 1764, tout de suite après la perte de la Nouvelle France. C’est le régime britannique qui a permis l’installation de l’imprimerie au Québec. Les imprimeries y avaient était interdites, par Louis XIV, dès 1685. Le roi Soleil ne voulait pas en effet de contre-pouvoir dans les nouvelles colonies et naturellement la diffusion de tout commentaire.
Les trésors de la Réserve
Sophie Montreuil et Daniel Chouinard, membres de la direction des acquisitions de la collection patrimoniale, nous ont montré et décrit quelques uns des trésors de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
La Réserve possède le Règlement de la confrérie de l’adoration du Saint-Sacrement, le premier ouvrage imprimé non pas à Québec, mais à Montréal en 1776, par le premier imprimeur qui s’y est installé, Fleury Mesplet (1734-1794). Issu d’une famille d’imprimeurs lyonnais, celui qui allait fonder bien plus tard, en 1778, La Gazette du commerce et littéraire, nommée plus simplement La Gazette littéraire, séjourna d’abord à Londres puis à Philadelphie d’où il incita les habitants de la province du Québec à rejoindre les révolutionnaires des « Treize colonies ».
Et aussi une belle collection d'ouvrages sur le Québec imprimés en France
La Réserve de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec a réussi à acquérir, en revanche une belle collection d’ouvrages concernant le Québec imprimés en France. Daniel Chouinard montre, par exemple, les Voyages dans l'Amérique septentrionnale, orné d’une carte par le baron de Lahontan, dans l’édition de 1706 à La Haye. De son vrai nom, Louis Armand de Lom d'Arce (1666-1716), il fut le premier auteur d'une ethnologie sur l'organisation en nations politiques des différents peuples du Québec. Il débarqua en Nouvelle France, le 8 novembre 1683 et passa l’hiver sur la côte de Beaupré. « Sans mentir » écrivait-il le 2 mai 1684 : « les paysans y vivent plus commodément qu'une infinité de gentilshommes en France. Quand je dis paysans, je me trompe, il faut dire habitants, car ce titre de paysan n'est pas plus reçu ici qu'en Espagne » Lahontan séjourna dix ans en Nouvelle France, après avoir atteint le lac Ontario, puis le lac Champlain et exploré la région des Grands lacs. Il se retira ensuite en Hollande d’où il publia ses ouvrages qui remportèrent un certain succès. Des Nouveaux voyages dans l’Amérique septentrionale… « qui contient une relation des différents peuples qui y habitent, la nature de leur gouvernement, leur commerce, leur coutume, leur religion, & leur manière de faire la guerre, l'intérêt des François & des Anglois dans le commerce qu'ils font avec ces nations, l'avantage que l'Angleterre peut retirer dans ce païs, étant en guerre avec la France : le tout enrichi de cartes & de figures », parurent en 1703 La Haye, sous son nom, mais leur auteur serait en réalité Nicolas Gueudeville (1652-1721), un bénédictin de Saint-Maure défroqué, proche des philosophes, qui publiait des ouvrages polémiques. Il semblerait que ces Nouveaux voyages furent parmi les plus lus, parmi les récits du genre, au XVIII° siècle. On attribue un autre écrit toujours paru en 1703, les Dialogues avec un Sauvage dans l’Amérique, et dans lesquels Lahontan met en scène une discussion entre lui-même et un « Sauvage de bon sens » nommé Adario, au même Gueudeville.
Le conservateur sort ensuite une carte de Pierre Duval, inspirée des récits de Champlain et qui est datée de 1677. Samuel de Champlain (vers 1570-1635), le fondateur de la ville de Québec est considéré comme le « Père de la Nouvelle France ». Il a laissé un Journal très fidèle des observations faites lors des découvertes de la Nouvelle-France imprimé en 1613.
Parmi les curiosités du centre de conservation de la Bibliothèque nationale du Québec, dont nous poursuivons la visite, nous découvrons un imprimé français avec une fausse adresse bibliographique le donnant publié au Québec, sans doute pour contourner la censure. "Nous savons, dit Daniel Chouinard, l’un des membre de la direction des acquisitions de la collection patrimoniale, que le livre a été imprimé à Paris. Il est daté officiellement de 1768, ce qui est vraisemblable, car il y avait un imprimeur, un seul, installé en 1764, mais on sait, grâce à des recherches que ce n’est pas lui qui l’a sorti des presses". Son titre Lucile ou les progrès de la vertu par un mousquetaire, « se trouve à Paris, chez Delalain, libraire, rue Saint-Jacques. Valade, libraire, rue de la Parcheminerie, maison de M. Grangé ». Les bibliographies prennent soin d’ajouter dans leurs notices : (A Québec ). Ce titre et cette adresse ne sont pas sans rappeler Restif de la Bretonne (1734-1806) qui, par ailleurs composait lui-même ses livres, sans l’aide d’un « prote » qu’il était lui-même, et il s’agit bien de lui.
Le conservateur ouvre ensuite un volume dont on peut lire, non sans une certaine difficulté, le titre : Neihiroiriniui massinahigan… suivi d’une vingtaine de mots aussi malaisés à prononcer. Cet ouvrage est l’un des premiers ouvrages imprimés en langue amérindienne au Québec. Ce catéchisme en montagnais est sorti chez Brown et Gilmore en 1767 (in-8°) a été composé par Jean-Baptiste de La Brosse (1724-1782), un missionnaire jésuite dans la région du Saguenay et du golfe du Saint-Laurent. Ce religieux est devenu un héros folklorique pour les Montagnais. Il a, en fait, traduit phonétiquement cette langue qu’il avait apprise là-bas. Toujours dans l’esprit religieux, et beaucoup moins spectaculaire, un mandement de l’évêque de Montréal, Mgr Jean-Jacques Lartigue, daté de 1838, célèbre parce qu’il prit parti contre les « patriotes », un mouvement révolutionnaire armé contre le pouvoir britannique. « Nous n’avions pas de exemplaire original de ce document, sinon des rééditions, et nous avons eu la chance d’en voir un passer aux enchères, nous l’avons obtenu, mais pour un prix assez élevé, qui pourrait sembler beaucoup pour un petit feuillet de trois pages ». L’évêque traitait ses compatriotes de brigands et de rebelles et prêchait pour la fidélité au souverain (britannique), ce qui a été assez mal accueilli par la suite.
Claude Perrault (1613- 1688), l’architecte et frère de l’auteur des contes, intéresse les Canadiens, car dans l’un de ses ouvrages Description anatomique d'un caméléon, d'un castor, d'un dromadaire, d'un ours et d'une gazelle daté de 1669 imprimé pour Frédéric Renard, il décrit, comme nous pouvons le lire dans le titre, parmi certains animaux, le castor alors en voie de disparition en France et réputé provenir du Canada. Une figure « représente en bas, ayant une moitié du cors, qui est la partie de devant, sur terre & celle de derrière dans l’eau ; parce que l’on a observé pendant le temps que l’on l’a nourry qu’il aimait à plonger souvent ses pattes de derrière et la queue dans l’eau ». On y distingue par ailleurs un trompe l’œil sur lequel apparaissent le cœur de l’animal, des griffes, etc. Ce volume voisine avec un autre qui mélange l’histoire naturelle et le voyage, celui d’un Britannique, sir John Ridcharson (1787-1865). Cet ouvrage fait partie d’une série de quatre volumes publiés entre 1829 et 1837, illustrés par William Swainson (1789-1855), est intitulé Fauna Boreali-Americana… (Londres, John Murray, 1831, 4°) et comporte 50 planches en couleur. La deuxième partie est consacrée aux oiseaux (1831) Cette œuvre, dans laquelle plusieurs espèces canadiennes sont décrites pour la première fois, a contribué à faire de Richardson l’un des plus éminents scientifiques de son époque. Ridcharson avait accompagné un autre explorateur anglais John Franklin qui cherchait, au le fameux passage du Nord-Ouest, et en profitait pour prendre des notes sur ce qu’il voyait. Nous notons un superbe Salia artica dans un beau camaïeu de bleu. Et suit le premier traité de botanique de l’Amérique du Nord, Canadensium Plantarum Historia (Simon Lemoyne, 1635, par un Jacques-Philippe Cornu (1606-1651) qui décrit, sans être jamais venu en Nouvelle France, des plantes rapportées probablement par Louis Hébert, un des tous premiers colons arrivés en même temps que Samuel de Champlain.
Comment recueillir des trésors ?
Les conservateurs du centre de conservation de la Bibliothèque nationale du Québec, s’efforcent par tous les moyens de réunir des documents imprimés et manuscrits afin de reconstituer l’histoire de la Province. Parmi ces moyens, outre bien sûr le dépôt légal, les dons sont très importants, notamment des documents qui, en raison de leur faible valeur, n’arrivent pas sur le marché. « Je pense à certaines bibliothèques qui élaguent des collections qui ne leur sont plus utiles, mais qui, pour nous sont très importantes », explique Daniel Chouinard. « Nous recueillons les journaux anciens par exemple qui viennent de particuliers ». Le troisième moyen est celui des ventes aux enchères, une source importante de trouvailles. C’est ainsi qu’a surgi sur le marché une affiche gouvernementale de promotion touristique commandée par le ministère de l’office du tourisme de la province de Québec, vraisemblablement dans les années 1948, acquise aux enchères à New York. « Nous sommes étonnés par la qualité de l’effort graphique pour une affiche d’Etat surtout si on la compare avec ce qui fait aujourd’hui, souvent une simple photo », commente encore Daniel Chouinard.
Avec Sophie Montreul qui dirige le service, il a découvert également une gravure de Simone Donvalet, datant des années 30, Dans le lot figuraient quatre gravures qui montrent une vue du port de Québec, une autre plus ancienne exécutée au début du XVII° et un plan de la ville imprimé en… Italie. Les conservateurs exhibent encore ce qu’ils nomment une pièce d’iconographie documentaire, c'est-à-dire une vue de Montréal au XIX° siècle qui donne une idée de la configuration de la ville à l’époque. La plupart des maisons étaient construites en bois et les incendies furent nombreux, notamment en juillet 1852. Un cinquième des maisons disparut, laissant sans abri 12 000 personnes. Cette catastrophe transforma la ville, alors cité commerciale, en cité industrielle. Tout document, vue, gravure et naturellement photographie sont bienvenus dans le patrimoine national.
Il est une autre série de documents qui intéresse particulièrement les conservateurs, ce sont des affichettes éphémères, feuillets publicitaires, étiquettes, brochures, programmes, notices, avis, placards, annonces des spectacles. La collection patrimoniale regroupe ces documents au sein de trois collections distinctes : les affiches, les feuilles volantes et les programmes de spectacle. Ils sont, pour l’instant, au nombre de 117 publiés entre 1825 et 1899. La plupart de ces ephemera spectaculi présentent un format analogue avec une disposition du texte habituellement symétrique, centré en une seule colonne verticale. Daniel Chouinard présente une feuille jaune sur laquelle on peut lire l’annonce d’un spectacle qui se déroulera « vendredi soir, 13 avril » dans la « Salle musicale, rue St. Louis » par « Mons. Blondin, le plus célèbre danseur de corde du monde ». L’homme, un Français de son vrai nom, Jean-François Gravelet, s’était rend célèbre en traversant, en 15 minutes, sur un câble les chutes du Niagara en 1859. Il a ensuite donné de nombreux spectacles au Canada. « Ce type de document est rare à trouver, car il n’était pas destiné à être conservé. Il donne non seulement une idée de la vie culturelle au Québec mais encore des techniques d’impression et de l’esthétique », explique le conservateur. « Les chercheurs en histoire du spectacle recherchent ce type de document afin de connaître les distributions, les morceaux, les répertoires, les genres... » Toujours est-il que Monsieur Blondin dansait sur la corde avec des échasses, il annonçait des soubresauts, et sauts en avant et en arrière par-dessus des chandelles allumées, devait jouer son air favori au violon et mieux encore, « devait se suspendre par les pieds à la corde en tournant en la manière d’un chat jeté en l’air et retombant sur ses pattes », tout ceci sous le patronage du colonel Gordon et des officiers de la garnison et avec la permission de la Bande (la clique) du 17° régiment qui devait y assister, et « positivement pour une soirée seulement » (sic). Nous regrettons presque de ne pas avoir été présents.
Texte de Bertrand Galimard Flavigny
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La BanQ publie trois fois par an la Revue de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec.