L’Instruction sous le couperet de la guillotine
Bertrand Galimard Flavigny expose ici les idées de Lavoisier et de Daunou sur l’Instruction publique. Les Révolutionnaires en effet ne manquaient pas de projets éducatifs mais il fallut attendre la fin de la tourmente.
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Jean-Baptiste Coffinhal (1754-1794) était médecin et n'aimait sans doute pas les savants ; à moins que la déraison révolutionnaire l'ait emporté sur ses véritables sentiments. Nommé vice-président du tribunal révolutionnaire, il eut à « juger « Antoine-Laurent de Lavoisier (1743-1794), à qui l'on reprochait d'avoir été fermier général, crime impardonnable, car pour les révolutionnaires, si cette charge était le symbole de la société inégalitaire, les fermiers étaient des « rapaces et des tyrans ». Il le condamna à la guillotine. Le savant, qui s'était constitué prisonnier, lui demanda un délai de deux semaines afin d'achever une expérience. Coffinhal lui aurait répliqué : «Nous n'avons pas besoin de chimistes !» La postérité préféra retenir la formule : «La République n'a pas besoin de savants !» Après sa mort, le mathématicien Joseph-Louis Lagrange (1736-1813) devait dire : "il ne leur a fallu qu'un moment pour faire tomber cette tête et cent années peut-être ne suffiront pas pour en reproduire une semblable."
Lavoisier est considéré comme le père de la chimie moderne ; on a oublié qu'il élabora aussi des projets éducatifs pour les artisans, d'abord, pour les enfants, ensuite. «Dans quelques années, la France connaîtrait une génération d'ignorants à cause de la désorganisation de tout le système éducatif provoquée par la Révolution», devait-il dire en 1791.
S'inspirant des idées de Condorcet, Lavoisier composa un petit traité intitulé Réflexions sur l'instruction publique, «présentées à la Convention nationale par le bureau de la consultation des Arts et métiers», et imprimées sur 22-27 pages par les soins de Dupont vers 1793.
«L'homme naît avec des sens et des facultés, écrivait-il dans son préambule, mais il n'apporte avec lui en naissant aucune idée : son cerveau est une table rase qui n'a reçu aucune impression, mais qui est préparée pour en recevoir.» Il restait, donc, à semer dans ces cerveaux-là.
Lavoisier proposait un enseignement laïc, orienté vers les arts utiles et comportant quatre niveaux : écoles primaires, secondaires, instituts nationaux, et lycées (les équivalents des facultés) ; une société centrale des sciences et des arts couronnerait le tout.
Il revendiquait, encore, l'importance du jeu comme instrument éducatif, et suggérait que l'éducation primaire suive la méthode naturelle ; ce devoir de la société vis-à-vis de l'enfant devait être gratuit. Il souhaitait, enfin, pour l'enseignement secondaire une grande éducation scientifique.
Le savant était clairvoyant :«... Une nation chez laquelle les sciences et les arts languiraient dans un état de stagnation, serait bientôt devancée par les nations ses rivales.»
Lavoisier devait présenter ses Réflexions à la Convention, le 22 septembre 1793. Le vote, cinq jours auparavant, de la «loi des suspects» provoquant la Terreur, remisa toute idée d'instruction, même publique. Lavoisier ignorait qu'il n'avait plus quelques mois à vivre. Il faudra attendre la loi Daunou, du 3 brumaire an IV (octobre 1795, la veille du jour où la Convention devait se séparer), pour que la France dispose d'une loi générale sur l'instruction publique.
L'instruction selon Daunou
Pierre Claude François Daunou, un boulonnais, fut l'un des Conventionnels, mais un modéré ; ancien oratorien défroqué, certes, il ne vota pas la mort du roi, mais le bannissement. Il fut arrêté, et sauvé grâce au 9 thermidor, et comme il était essentiellement épris d'instruction publique, il revint à ses amours. Daunou fut, en fait, l'un des auteurs des Constitutions de 1795 puis de 1799, et aussi l'un des fondateurs de l'Institut, secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
Dans son Essai sur l'instruction publique, Daunou prêchait pour une réforme en profondeur de l'orthographe : « Je demande la restauration de tout le système orthographique, et que, d'après l'analyse exacte des sons divers dont notre idiome se compose, l'on institue entre ces sons et les caractères de l'écriture une corrélation si précise et si constante, que, les uns et les autres devenant égaux en nombre, jamais un même son ne soit désigné par deux différents caractères, ni un même caractère applicable à deux sons différents» disait-il. Mais quelle orthographe et de quelle langue ? Le français naturellement.
En juin 1794, selon l'abbé Grégoire, autre Conventionnel, on ne parlait « exclusivement » le français que dans « environ 15 départements, sur 83 ; et, ajoutait-il : encore la langue y éprouve-t-elle des altérations sensibles soit dans la prononciation, soit par l'emploi de termes impropres et surannés ». L'abbé - il l'était toujours, car le premier à prêter serment à la constitution civile du clergé, ce qui lui avait valu le siège épiscopal de Blois - avait relevé « 30 patois » qui rappelaient les provinces d'autrefois, c'est-à-dire : «le bas-breton, le normand, le picard, le rouchi ou wallon... le provençal... le catalan», en y ajoutant «l'italien» (de Corse) et «l'allemand» des Haut et Bas-Rhin. Il notait encore «qu'au moins 6 millions de Français, surtout dans les campagnes ignorent la langue nationale (...) et qu'un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie» et qu'en définitive le nombre de ceux qui la parlent «purement» n'excède pas 3 millions » (sur 28 millions d'habitants).
Derrière ces statistiques, la réflexion de l'abbé Grégoire était toute politique : « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration et haine de la République parlent allemand... La Contre-révolution parle l'italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreurs. » Toujours est-il que le « Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois, et d'universaliser l'usage de la langue française » imprimé lui aussi en 1794, marqua un tournant dans l'Instruction publique et, si le français devint obligatoire...il ne fut réellement mis en application qu'un siècle plus tard.
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