Milady, la jument de Paul Morand
Faites la connaissance de Milady, nom donné à la jument du commandant Gardefort. Cette nouvelle de Paul Morand de l’Académie française, cavalier émérite, inspira les amoureux du cheval autant que les illustrateurs... Notre chroniqueur littéraire et bibliophile, Bertrand Galimard Flavigny, vous fait partager ses découvertes !
II existe plusieurs photos de Paul Morand en tenue de cavalier. À l'époque les culottes étaient bouffantes et débordaient largement au dessus des genoux. À cheval, l'auteur de l'Anthologie de la littérature équestre qui devait paraître en 1966, pouvait faire songer à un centaure, mais courtois et de bonne civilité. Paul Morand pratiquait l'équitation depuis son enfance. Au goût de certains, il aurait eu le tort de se prendre pour L'Homme pressé, ce roman publié par la Nrf, en 194, et de confondre ce sport avec ce qu'il écrivait dans De la vitesse (1929). II confia, en effet, un jour de 1955, à Denise Bourdet : « les chevaux, je les monte au galop, au trot, deux heures durant. Jamais au pas. Je les ramène tout mouillés... »
_ En juin 1933, les éditions Gallimard proposèrent à Paul Morand de diriger une nouvelle collection, « La renaissance de la nouvelle », pour laquelle il s'engageait à présenter au moins quatre volumes par an. II y publiera une trentaine de titres dont un des siens titrés Les Extravagants, daté de 1936 dont il a été tiré 45 exemplaires sur vélin pur fil. Ce recueil a surtout la particularité de contenir l'une de ses plus belles nouvelles, Milady.
Paul Morand l'écrivit entre juillet et septembre 1933 à Saumur et à Villefranche-sur-Mer.
Elle raconte l'histoire d'un vieil écuyer du Cadre noir de Saumur, le commandant Gardefort, qui consacre tout son temps à sa jument Milady, et finit par l'entraîner consentante dans la mort.
Ce texte, décomposé en treize courts chapitres, décrit l'accord parfait entre l'homme et le cheval : la lutte qui commençait dans l'espièglerie, dans la ruse et se continuait dans la rage, pour se terminer dans une sorte de pâmoison soumise, de détente complète où l'un et l'autre trouvaient leur plaisir . Gardefort fait de sa jument, un autre soi-même, l'aspect visible de son savoir et de sa recherche esthétique ; c'est la raison pour laquelle il ne peut supporter qu'un autre puisse en profiter et aussi lui faire exécuter des mouvements qu'il estime sans valeur et dégradant pour elle. Par un exploit extraordinaire, il reprend ses droits sur sa jument et par sa mort, et la sienne, l'enlève à l'emprise de l'ignorance, selon l'analyse de Patrice Franchet d'Espérey.
Dans un entretien avec Stéphane Sarkany, Paul Morand devait révéler que Gardefort lui avait été inspiré par l'écuyer Armand Carpentier, dont il avait suivi l'enseignement au manège de Passy et qui était lui même élève de James Fillis (1834 1913), lui même disciple de François Boucher (1796 1873). Milady emporta l'adhésion enthousiaste de Colette qui découvrait « la télépathie de l'homme et du cheval ». À Edmond Jaloux qui en avait fait une critique favorable dans l'Excelsior, Paul Morand devait répondre : Je n'attendais aucune récompense de cette passion de quadragénaire pour le cheval, mais voilà qu'à défaut de lauriers hippiques, il me tombe des satisfactions littéraires.
Ce récit figure aussi, sans modification dans un autre recueil, Les Nouvelles du cœur parues en 1965, et dans le second volume des Nouvelles complètes dans la collection de la Pléiade. Milady a bénéficié d'une première édition illustrée publiée en 1944 à 120 exemplaires (in 4°) sur vergé de Montval avec 24 eaux fortes dont 5 à pleine page et 19 in texte, par Despierre. Une édition sobre et élégante, totalement introuvable.
Une autre illustration de Milady fut réalisée à peu près à la même époque, dans des circonstances particulières. Durant la Seconde Guerre mondiale, un jeune officier au 14e Dragons, Georges Margot, interné dans le camp de Nienburg sur Weser, entreprit d'illustrer Milady. Il connaissait naturellement cette nouvelle, d'autant plus que Georges Margot, officier de cavalerie, avait participé aux Jeux olympiques de Berlin, en 1936, avant d'être affecté comme sous écuyer à l'École de cavalerie à Saumur. L'un de ses compagnons de captivité, un jeune religieux le père Gillet, qui deviendra général de son ordre (les trappistes), en calligraphia le texte. On se demande encore, comment les deux hommes parvinrent à dénicher des feuilles de papier au fort grammage. La calligraphie a été effectuée à l'encre bleue, couleur qui n'a pas souffert avec le temps. Pour les illustrations, Margot, faute d'or pour peindre les galons des écuyers, et les éléments d'harnachement, se contenta d'un marron pâle. Chaque figure restitue l'ambiance de Saumur, et les allures des chevaux ne souffrent d'aucune distorsion. La formule en avant, calme et droit convient parfaitement à ces planches rigoureuses et élégantes. En mai 1945, les prisonniers furent enfin libérés, mais dans leur hâte, ils oublièrent l'œuvre d'art qu'ils avaient composée. Elle n'avait pas été perdue puisqu'elle est ressortie à Drouot en 1975. Le nouvel acquéreur, cavalier bien sûr, s'empressa de montrer les cahiers parfaitement conservés au lieutenant colonel Margot qui, entre temps avait été nommé écuyer en chef de Saumur. Il put ainsi les revoir peu de temps avant sa mort, en 1998.
Ce « grand dieu » comme on surnomme les écuyers en chef, en référence à leur maîtrise parfaite de l'art équestre, n'avait jamais cessé de dessiner. Quelque 150 aquarelles rassemblées en 1994 furent exposées dans les anciennes écuries du manège de Saumur où vécurent les chevaux et les écuyers qui les avaient inspirés. Les reproductions de ces aquarelles firent l'objet d'un recueil : Cheval Cavalier (Saumur, Cheminements, 1996), une édition réalisée par le colonel de Beauregard et Patrice Franchet d'Espérey. Avec ce dernier, les éditions Herscher ont décidé, en 2000, de publier en fac similé sur grand papier, ce Milady illustré dans des conditions particulières. Cet ouvrage reproduits 24 planches couleurs, imprimé sur papier ivoire (140 g), tiré à 999 exemplaires dont 99 de tête, relié pleine peau, auquel il a été ajouté le tirage d'un dessin inédit du colonel Margot, et 900 exemplaires présentés en coffret.
Cette nouvelle rare a connu une autre heure de gloire grâce à l'interprétation qu'en a faite Jacques Dufilho dans un film télévisé diffusé à la télévision le 21 juillet 1976, deux jours avant la mort de Paul Morand.
Retrouvez la chronique du bibliophile Bertrand Galimard Flavigny sur Le cheval, instrument principal du chevalier ici
Bibliographie :
- Paul Morand et les cosmopolitisme littéraire, suivi de trois entretiens avec l'écrivain, Klincksieck, 1968.
- Manuel Burrus, Paul Morand, voyageur du XXe siècle, éditions Séguier, 1986.
- Patrice Franchet d'Espérey, Préface à Milady, Herscher, 2000.
En savoir plus sur :
- Paul Morand
À lire : Paul Morand l'européen (Les Actes du Colloque, septembre 2009), une publication de l'Ambassade de France en Roumanie et de l'Institut Français de Bucarest.
- A écouter aussi sur Canal Académie :
- La riche bibliothèque de Paul Morand, de l’Académie française
- Paul Morand et l’Argentine
- Ecrivains français en Italie (2) : Paul Morand, de l’Académie française