Mirabeau, son œuvre érotique a échappé à l’autodafé !
Qui se cache réellement derrière le nom d’ Honoré Gabriel Riqueti, communément appelé Marquis de Mirabeau ? Révolutionnaire, il reste l’un des symboles de l’éloquence parlementaire. Retour sur cette vie tumultueuse, partagée entre excès et exil, avec Bertrand Galimard Flavigny qui, en bibliophile, raconte aussi le destin d’un des livres les plus osés du marquis, l’Errotika Biblion...
On l’a dit et souvent répété, il était « laid comme celui de Satan ». C’est en ces termes que le marquis de Mirabeau annonça à son frère la naissance de Gabriel-Honoré, le 9 mars 1749. Cette laideur-là en fit sans doute un révolté qui aurait pu, s’il n’était mort trop tôt, le 2 avril 1791, éviter les exactions commises par les Conventionnels et leur clique. On a beaucoup glosé sur sa survie. « Aurait-il évité la Terreur ? Oui, s’il avait réussi à maintenir une démocratie royale en prévenant l’erreur de Varennes – on sait qu’il avait élaboré un autre scénario de repli du roi sur une province fidèle. Oui, s’il avait évité l’affrontement de la Révolution avec le reste de l’Europe », explique l’un de ses plus récents biographes, Charles Zorgbibe []. Il aurait également fallu compter sur la répugnance qu’avait la reine Marie-Antoinette vis-à-vis de ce noble, député du Tiers Etat. N’était-il pas de surplus auteur d’un ouvrage intitulé Essai sur le despotisme (Londres, s.n. 1775 (in-8), « l’un des premiers assauts contre les institutions de l’Ancien régime ». Le futur roi des Français, Louis-Philippe Ier, en possédait un exemplaire de la 3e édition, corrigée de la main de l'auteur sur l'exemplaire de la seconde édition (Paris, Le Jay, 1792)
La vie si dissolue du personnage ne plaidait pas plus pour lui. Séparé de sa femme Emilie qui lui avait préféré le chevalier de Gassaud, alors que lui-même exerçait sans désemparer sa séduction qui était grande, il rencontra la marquise de Monnier, Sophie de Ruffey. Ce fut une passion irraisonnée qui allait « l’embraser jusqu’à ébranler son destin », selon le mot de Charles Zorgbibe. Gabriel-Honoré se découvre un amant passionné : « Avec toi a commencé l’amour. Jusque-là, je n’avais connu qu’un commerce de galanterie, qui n’est point l’amour, qui n’est que le mensonge de l’amour », devait-il déclarer à la jeune femme. Sous le coup de deux accusations, l’adultère et la rédaction de l’essai, les amants s’enfuirent en direction du Nord, mais furent rattrapés en Hollande. Le 14 mai 1777, Mirabeau fut directement interné à Vincennes, à la demande du marquis de Monnier et de son père qui ne souffrait plus de supporter les dépravations de son fils. Il est curieux de savoir que Vincennes avait accueilli un autre hôte qui allait également faire parler de lui, le marquis de Sade qui y était entré depuis le 14 janvier 1777. Les deux hommes, quoique parents par les femmes ne s’estimaient guère. L'un traitait de giton l'autre qui le considérait comme un monstre.
C’est durant l’internement de Mirabeau jusqu’au 8 juin 1780, qu’il composa l’ Errotika Biblion. Un ouvrage dans lequel l’auteur fait preuve d’une grande érudition ; il rappelle l’Hermophroditus d’Antonio Beccadeli dit le Palormitain dont les manuscrits circulèrent depuis sa composition au XVe siècle jusqu’à sa première impression en 1791 et précède le Manuel d’érotologie classique de Friedrich Karl Forberg qui paraîtra en 1882. Toujours et-il que Mirabeau tente de démontrer que les peuples de l’Antiquité étaient encore plus dépravés que ses contemporains. Le texte est truffé d’allusions et de références qui renvoient aux auteurs antiques, à l’Encyclopédie qu’il pille à souhait, à Buffon ou Érasme ainsi qu’à de nombreux traités, il est aussi nourri des commentaires bibliques de Dom Calmet dont il tire des conclusions pour le moins provocantes.
L’Errotika Biblion est divisé en onze parties, les chapitres masqués sous des titres en hébreu ou grec, traitent chacun d’une perversion sexuelle : anagogie ; anélytroïde ; ischa ; toproïde ; thalaba (sodomie) ; anandryne ; (homosexualité féminine) ; akropodie (la circoncision) ; kadhésch ; béhémah ; l’anoscopie ; linguanman. Le manuscrit fut donné conjointement à trois imprimeurs de Neuchâtel. Fauche, Fabre et Vitel le publièrent simultanément tout en adjoignant de très légères variantes à leurs éditions propres. Jules Lemonnyer donne dans sa Bibliographie des ouvrages relatifs à l'amour (1879), un extrait d’article qui résume l’accueil reçu par l’opuscule, je cite : « 20 août. Il paraît un livre nouveau dont le titre seul est effrayant : […]Errotika Biblion[…]. »
La librairie Villa Browna proposait récemment un exemplaire à grandes marges, de l’édition originale de cet ouvrage dont l’adresse bibliographique A Rome, de l'imprimerie du Vatican, 1783 est naturellement fausse puisqu’elle a été imprimée à Neuchâtel. Sur la page de titre figurent les épigraphes grecque et latine ainsi qu’une vignette formée d’attributs artistiques et scientifiques []. Dès sa parution, l'ouvrage fut condamné à la destruction par un jugement qui fut confirmé en 1826 et en 1869. On laisse entendre que cet ouvrage était au chevet de Louis XVI, mais nous en doutons. Toujours est-il que l’autodafé n’a en fait pas complètement fait disparaître l’édition. Des exemplaires ont échappé à la destruction. On laisse entendre qu’il n’en subsisterait qu’à peine une quinzaine. Rien n’est certain, nous n’en avons toutefois croisé depuis 1892 jusqu’à aujourd’hui, à peine une dizaine. Les comptes ne sont donc pas faits.
Reste néanmoins la joie du bibliophile de tenter d’acquérir une de ces éditions originales ou plus tardives. On reconnaît la première à l’épitaphe grecque. Celle qui contient une épitaphe latine est une contrefaçon qui aurait été imprimée également en 1783, par Hoyois à Mons. Une autre dite « la dernière » à paris chez Le Jay, rue Neuve-des-petits-champs, près celle de Richelieu, du Grand Corneille, en 1792, aurait aussi été poursuivie. Quelques exemplaires furent apportés à Rome et le livre fut mis à l’index le 2 juillet 1794. On considère que la troisième (officielle) à A Paris, chez tous les marchands de nouveautés/An IX-1801, est la plus jolie ; elle est ornée d’un portrait gravé par Mariage. On en trouve des exemplaires portant : « par le comte de Mirabeau, nouvelle édition corrigée sur un exemplaire revu par l’auteur ». En 1833, les frères Girodet sortaient une nouvelle édition revue et corrigée sur un exemplaire de l’An IX, et augmentée d’une préface et de notes pour l’intelligence du texte. On assure que la presque totalité des exemplaires fut brûlée pendant l’incendie de la rue du Pot-de-Fer, le 13 décembre 1835.
Citons encore une édition en Allemagne, en 1860 et quelques autres, en Belgique, six ans plus tard, toujours avec les notes du chevalier Perrugues, et encore en 1885. Il faudra attendre les lumières d’Apollinaire pour voir Errotika Biblion (mais avec un seul r) publié sereinement dans la collection Les maîtres de l'amour. Une nouvelle édition établie d’après la princeps de 1783, intègre les variantes et ratures du manuscrit et contient le dernier chapitre resté inachevé, intitulé Zonah et consacré à l’histoire des courtisanes grecques [[Édition critique avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, Ed. Honoré Champion]].
Texte de Bertrand Galimard Flavigny
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