Une ancienne BD au Vatican
Le Vatican posséderait-il une B.D. ? Bertrand Galimard Flavigny nous apprend ici que l’alliance du texte et de l’image sous forme de bande dessinée n’est pas née au siècle dernier : on trouve, à Rome, et notamment dans "Le Rouleau de Josué" et la Bible des pauvres, des ancêtres lointains et parfois inattendus aux créations d’Hergé et Hugo Pratt.
La bande dessinée a réussi à s’imposer comme une création littéraire comme une autre, malgré de nombreuses réticences, et elle a fait une irruption fracassante dans le monde du marché de l'art. Certains, pour se rattraper ou se justifier, attribuent à la bande dessinée, la BD, comme on le dit désormais avec ces raccourcis qui ressemblent à des onomatopées, une lignée antique et prestigieuse. Ils remontent aux peintures rupestres d'Altamira et de Lascaux, aux bas-reliefs égyptiens et jusqu'aux Biblia pauperum du Moyen-âge. Ces antécédents pourraient tout aussi bien servir à l'affiche publicitaire ou au cinéma : ils illustrent la qualité narrative de l'image « mais l'image n'est pas l'unique fin de la bande dessinée », affirme Maurice Horn[[Information et documents, n° 344, août 1974.]].
Si l'on voulait donner une définition à la bande dessinée, il conviendrait de dire qu'elle est un moyen d'expression dans lequel le texte écrit et l'image sont confondus en une forme unique. Les carnets de Léonard de Vinci révèlent qu'il étudia la possibilité d'un nouveau langage qui allie la puissance de l'image à celle du verbe. Les exégètes de la bande dessinée mettent en avant le « cartoon » britannique du XVIIIe siècle qui consistait en un dessin à thème satirique, politique ou humoristique, enfermant en son cadre une scène accompagnée d'une légende. Quelques-uns des artistes qui composèrent des « cartoons » utilisèrent aussi des « ballons » que nous appelons aujourd'hui les « bulles ». Mais il ne s'agit là que d'images légendées qui n'ont pas la continuité d'un récit. Ce dernier, on le sait, se développa au cours de la seconde moitié du siècle dernier jusqu'à prendre l'ampleur que nous lui connaissons aujourd'hui.
Cette savante élaboration à travers les siècles, des xylographes, en passant par Léonard de Vinci, les cartoons, Töpffer, l'imagerie d'Épinal, Christophe, Disney, etc., pour arriver à Hergé, Uderzo, Tardi, Druillet, Bourgeon et désormais tant d’autres, paraît bien simpliste dans son évolution. L'histoire des textes et des illustrations est trop riche pour qu'on en néglige les moindres détours.
Le xylographe, ancêtre de la BD
En voici un, plutôt ancien et peu connu. Il existe dans la bibliothèque du Vatican un manuscrit intitulé « Le Rouleau de Josué ». Josué, successeur de Moïse, conduisit les Hébreux jusqu'en Terre promise, franchit le Jourdain, et partagea la Palestine entre les tribus. Le passage du Jourdain à pied sec, la prolongation du jour durant la bataille de Gabaon, la chute des murs de Jéricho, sont retracés sur ce manuscrit à l'aide de nombreuses illustrations et de textes (en grec) placés sous l'image et souvent à la hauteur du visage des personnages afin d'exprimer leurs paroles. Ces illustrations, qui développent en récit continu l'histoire de Josué, sont de tailles différentes. Tenons-nous là l'ancêtre de la bande dessinée moderne ?
Certains spécialistes datent ce manuscrit entre le cinquième et le dixième siècle, les illustrations étant antérieures aux textes. Kurt Weitzmann, auteur américain d'une étude sur ce rouleau[[The joshua Roll, a work of the macedonian Renaissance, Princeton University, 1948.]], considère qu'il est un ouvrage-clé du Moyen-âge byzantin et peut être un archétype de la chrétienté primitive.
À peu près à la même époque en Chine, le même mode d'expression, image et verbe, voyait le jour, mais avec la possibilité d'être reproduit par un procédé qui ne parvint en Europe qu’au XIIe siècle, avant d’arriver à maturité au XIVe. On cite généralement comme la plus ancienne estampe xylographique un sujet daté de 1418, représentant la Vierge et l'Enfant Jésus entourés de quatre saintes, dans un jardin ; mais elle ne raconte pas d’histoire suivie. À l’aube de la Renaissance, les copistes cherchaient un moyen plus rapide que celui des manuscrits pour multiplier la diffusion des textes. Résumant en un petit nombre de pages les connaissances essentielles du dogme, ces livrets servaient de manuels aux pauvres clercs, aux curés de campagne voués à la prédication.
De tous les livrets xylographiques, le plus célèbre est certainement la Biblia pauperum. Il en exista plusieurs éditions, de 40 à 50 feuillets. Le texte et les dessins sont encadrés dans des baies d'architecture ogivales, avec colonnettes supportant les extrémités de voûtes, en plate-bande ou en arc surbaissé. Les planches sont divisées en cinq parties formant ensemble une espèce de croix contenant des personnages bibliques. Ceux-là parlent, non dans des bulles, mais dans des rubans.
Texte de Bertrand Galimard Flavigny.