Le projet des « lieux de mémoire » : Pierre Nora, de l’Académie française

"Avec le temps, la mémoire a perdu son sens… devenant une cause, une industrie, un moyen de pression"
Avec Damien Le Guay
journaliste

Pierre Nora fut l’architecte et le maître d’œuvre des « Lieux de mémoire » - gigantesque entreprise éditoriale divisée en 130 articles et en trois volets : La République (publié en 1984, un volume, 566 pages) ; la Nation (1986, trois volumes, 1650 pages) et Les France (1992, trois volumes, 2499 pages). Cet ouvrage fit date. Pierre Nora dans un livre (Présent, nation, mémoire, Gallimard, 2011) revient, en rassemblant différents articles, sur ce projet, son ambition et ses controverses. L’académicien est l’invité de Damien Le Guay.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag1008
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Ce livre aurait pu s’appeler : le présent carnivore, la Nation incertaine, la mémoire envahissante. Car, en même temps que cette exploration établissait la liste de certains lieux chargés de mémoire, porteurs d’une certaine mémoire historique (comme le Panthéon, les monuments aux morts, l’Académie française…), la trame de l’histoire se fissurait. De plus en plus, le Présent s’imposait jusqu’à dévorer le passé et le futur – c’est ce que Francois Hartog nomme « le présentisme ». Ces fissures se faisaient, avant tout, sous l’effet de multiples « mémoires » communautaires qui gangrénaient l’histoire, se retournaient contre elle et accusaient le passé de tous ses maux. Tout ce mouvement a finit par entamer la confiance que nous avons dans la Nation. Il faut donc distinguer d’une part ce souci d’origine de Pierre Nora de tricoter la république, la nation et les France pour mieux revitaliser ces notions qui pourraient avoir tendance à devenir abstraite et, d’autre part, ce que ces trois notions sont devenues depuis les années 1980. D’où le sentiment ressenti d’une sorte de tristesse de Pierre Nora vis-à-vis de ces Lieux de mémoire qui seraient, en quelque sorte, une entreprise monstrueuse qui aurait finit par dévorer son maitre d’œuvre. Ainsi dit-il en 2008 (Cf. Présent, Nation, mémoire, p 400) : « Le combat que nous avons mené quelques uns dans ma génération, pour imposer la légitimité d’une histoire toute contemporaine de la France, René Rémond en tête, portait dans ses flancs la révolution de la mémoire ». Cette révolution est « une vague de fond mémorielle ».


Pierre Nora, impuissant, a constaté la montée de cette déferlante mémorielle alors même qu’il souhaitait favoriser la prise en compte d’une mémoire positive, valorisante, liante. « Avec le temps » dit-il « la mémoire a perdu son sens et son statut, là est le plus grave. Elle est devenue une cause, une industrie, un moyen de pression. ». Cette tristesse est presque tragique pour Pierre Nora. Il a subit « la loi de Gresham » de la mémoire : la mauvaise mémoire chasse la bonne.


Dans cet entretien Pierre Nora rappelle sa fidélité à Ernest Lavisse, son souci de distinguer deux sortes de mémoires (la bonne et aussi la mauvaise qui a finit par prendre le dessus), le contre-pied qui fut le sien lorsqu’il souhaita légitimer ces lieux de mémoire en même temps qu’une autre mémoire émergea par des protubérances mémorielles, un recours excessif a la patrimonialisation du passé et surtout un procès fait au passé au nom des valeurs du présent.
Les explications qu’il donne ici (en accompagnement de son livre) n’en ont que plus d’importance pour remettre en ordre le projet des « lieux de mémoire » et remettre en perspective ce qui fut fait.


Damien Le Guay


En savoir plus :

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