Le regard vide de l’Europe selon Jean-François Mattei

Essai sur l’épuisement de la culture européenne
Avec Damien Le Guay
journaliste

Le philosophe Jean-François Mattei examine la traditionnelle capacité de l’Europe à voir loin, à se projeter, son sens critique, sa croyance dans le progrès, bref sa métaphysique. Loin de l’imprécation des déclinologues ou de l’auto flagellation de ceux qui, comme Suzanne Sontag, considère « la race blanche » comme « le cancer de l’humanité », il nous aide à mieux comprendre la spécificité de l’Europe et les causes de son aveuglement actuel. Damien Le Guay a lu "Le regard vide de l’Europe" et nous fait partager ici son analyse.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag362
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Le philosophe Jean-François Mattei, auteur de "Le regard vide de l’Europe"


Jean-François Mattei, le philosophe, et non l’ancien ministre de la santé, poursuit un travail salutaire de critique en profondeur d’un monde, le nôtre, qui a perdu le sens du lointain. Car après tout, comme l’indiquait Lévinas, la civilisation n’est-elle pas une distance prise avec soi-même qui rend possible une intrigue avec un au-delà de soi. Mais si cette distance s’écrase, si la civilisation perd le goût de l’horizon, alors l’individu s’enferme en lui-même, devient despotique, étranger à tout ce qui n’est pas lui.

En 1999, avec son magnifique livre intitulé La barbarie intérieure (PUF), il avait passé à la paille de fer, par une mise en perspective philosophique et une analyse sans concession, cette phase actuelle de la modernité qu’il considérait comme « immonde » - à savoir inapte à laisser se déployer « le monde » qui nous porte ensemble, nous réunit pour nous faire sortir de nos barbaries intérieures.



Dans De l’indignation (La table ronde, 2005), d’un ton alerte, il s’en prenait à toutes ces fausses indignations d’opérettes qui pullulent – avec des rebelles autoproclamés, des insurrections convenues. Dès lors : la fausse indignation chasse la bonne. La bonne ? Celle que nous devons avoir vis-à-vis d’une certaine culture contemporaine qui met en péril l’homme et finit par abolir les œuvres d’art elles-mêmes.

Le voici qui nous revient avec un essai Le regard vide (Flammarion, 2007) qu’il sous-titre lui-même « essai sur l’épuisement de la culture européenne ». Avec toujours cette dénonciation de la perversion d’un certain esprit critique qui a finit par se retourner contre lui-même, par devenir nihiliste, il examine la spécificité de l’Europe. Tout le monde la cherche. Lui, la détecte dans le regard. Oui ! Son regard. Il est avant tout porté vers le lointain. Certes cette manière de voir loin, d’aller au loin, de ne pas tenir compte des frontières, peut comporter une part de surplomb. Mais à trop insister, comme on le fait aujourd’hui, sur ses travers méprisants, n’occultons-nous pas cette incroyable capacité européenne de mise en mouvement, de projection – au sens de faire des projets et « d’aller voir là-bas si j’y suis », selon l’expression de Remi Brague ?
Seconde caractéristique de ce regard européen : son sens critique qui le conduit, par le recours à l’abstraction, à transformer la réalité. Les développements scientifiques et philosophiques de l’Europe naissent de cette métaphysique-là.
Ajoutons une dernière caractéristique : un éloge de l’infini qui donna à l’Europe son sens de l’histoire et sa croyance dans le progrès.

Damien Le Guay, philosophe


Le regard, donc. Regard sur la cité, sur le monde, sur l’âme. Jean-François Mattéi, textes d’auteurs à l’appui, décline cette spécificité du regard éloigné de l’Europe et devient « théorique ». N’oublions pas que pour les Grecs la « théorie » est une manière de voir, d’acquérir un regard sur le monde. Il montre bien en quoi nous avons assisté à un « aveuglement du regard ». De critique il est devenu autocritique. D’ouvert, il est devenu relativiste. De tendu, il est devenu mou. D’assuré, de son mouvement il est devenu en bougeotte sur lui-même. De spirituel, il est devenu procédural.




Jean-François Mattei, Le regard vide, Essai sur l’épuisement de la culture européenne,Flammarion, 292 pages, 20 €

A noter que cet ouvrage a été couronné du Prix Montyon 2008 décerné par l'Académie française dans la catégorie des prix de littérature et de philosophie.


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