Maurras : pourquoi a-t-il pu être considéré comme maître à penser ?
Avec la publication d’un Cahier de l’Herne sur Charles Maurras, l’occasion nous est donné d’évoquer la figure de celui qui fut en son temps un maître à penser – et ce pour plusieurs générations. Il fut une figure de référence de l’intelligentsia avant la seconde guerre mondiale, comme Jean-Paul Sartre le sera après celle-ci. Signalons aussi qu’il fut élu à l’Académie française le 9 juin 1938, reçu le 8 juin 1939 et radié de la même Académie en 1945.
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En 1945 il fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale pour intelligence avec l’ennemi. Depuis lors, il est tombé dans l’oubli d’un passé politique que la France souhaite bannir de son histoire. Quelle furent les raisons de sa condamnation ? Avoir été un doctrinaire de l’antisémitisme d’Etat, avoir approuvé, durant la guerre, les mesures de Vichy ; avoir adhéré à la Milice et lancé des attaques furieuses contre les résistants.
Reste que l’Action française fut un mouvement d’importance, une presse à grand tirage (jusqu’à 200 000 exemplaires en 1934) et une doctrine structurante des débats de l’entre-deux-guerres.
C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à l’historien Arnaud Teyssier (historien des idées, des institutions et contributeur de ce Cahier de l’Herne, biographe de Lyautey, Péguy et Louis-Philippe) de nous permettre de voir clair, loin des passions, et de replacer Charles Maurras dans son temps, dans la perspective de son époque. Tant de gens l’ont loué, suivi, respecté qu’il semble possible de le considérer comme un intellectuel-capital. Or, le plus étonnant avec Maurras est qu’il est tombé, après 1945, en déshérence, en un oubli complet et volontaire.
Pour mieux le comprendre, nous partirons de trois paradoxes.
- Premier paradoxe : il fut un grand défenseur de l’Eglise mais fut, en 1926, condamné par le Vatican. Le pape, à cette date demanda aux catholiques de rompre avec l’Action française.
- Deuxième paradoxe : il fut monarchiste, défenseur de la monarchie mais, le 11 février 1937, le duc de Guise (prétendant au trône de France) affirma que l’Action française n’était en rien son porte-parole.
- Troisième paradoxe : il était patriote, nationaliste (promoteur du « nationalisme intégral ») mais, comme nous l'avons dit précédemment, il fut condamné à l’indignité nationale.
Comment comprendre ces trois paradoxes. Défendait-il des causes presque malgré elles ? Etait-il atteint d’une surdité (physique et intellectuelle) qui l’empêchait d’entendre les raisons de ces trois divorces ? Sa défense de l’Eglise était-elle trop institutionnelle, trop liée à l’ordre catholique, loin de toute croyance religieuse (Maurras était un agnostique) et de toute charité chrétienne ? Sa défense de la monarchie était-elle trop éternelle, trop idéale pour rejoindre une cause politique de son temps ? Quant à son patriotisme exacerbé, ne reposait-il pas sur des idées exclusives et excluantes – prônant l’exclusion des francs-maçons, des protestants, des juifs.. ?
C’est là que, pour suivre l'intéressant article d’Arnaud Teyssier dans ce cahier de l’Herne, nous ferons, in fine, un parallèle entre Maurice Barrès et Charles Maurras. Le premier, après la première Guerre Mondiale, réussit à se rallier à la France tout entière, à toutes les familles spirituelles nationales, alors que le second, resta calfeutré dans sa radicalité nationale, dans sa volonté de « pureté» privilégiant les uns au détriment des autres, montant les uns contre les autres. Les facteurs d’échecs furent autant extérieurs qu’intérieurs au mouvement.
Damien Le Guay
- Consultez la fiche de Charles Maurras sur le site de l'Académie française
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