Mona Ozouf : la question du genre va-t-elle détruire la courtoisie à la française ?
Nous voudrions mieux comprendre, avec Mona Ozouf, ce conflit, qui paraît de plus en plus évident, entre « la théorie du genre », qui fait une percée constante dans les rapports entre les hommes et les femmes, et, d’autre part, la « galanterie à la française » - défendue depuis des années par Mona Ozouf qui se penche en historienne sur les soi-disants apports de la Révolution française... Il existe selon elle un "féminisme à la française" contre un "radicalisme bruyant".
Dans Les mots des femmes (1995), Mona Ozouf défendait cette singularité française. Forte de sa qualité d’historienne de la Révolution française, elle réfutait les thèses de la féministe radicale américaine, Joan Scott. Cette dernière considérait que la Révolution française avait participé à la subordination des femmes. Car, disait-elle, « la Révolution est l’incarnation de l’universel dans la particularité de l’homme blanc». Face à cela Mona Ozouf affirmait sa conviction d’historienne quant à la volonté égalitaire inaugurée en 1789 : « En matière d’égalité des sexes, ou tout simplement de rapports entre les sexes, oui, la Révolution a tout changé. Elle a rendu illégitime toute inégalité, précaire toute distribution préétablie des rôles../.. Elle fait de la servitude féminine une souffrance supplémentaire.» Ainsi, Mona Ozouf s’explique sur l’émancipation féminine permise par la Révolution et réfute, de nouveau, les approches, plus idéologiques qu’historiques, de ces féministes radicales au sujet de l’égalité moderne née avec la Révolution.
Dans la postface de la nouvelle édition de son ouvrage, Les mots des femmes, publié en 1999, Mona Ozouf, surprise de la tournure du débat et de la virulence des attaques contre elle de la part de ces féministes venues d’outre-Atlantique ( qui trouvaient un écho favorable en France auprès d'intellectuels, de minorités sexuelles et du « gender ») entrait de plain pied dans cette discussion autour de la « théorie du genre ».
Il y a, disait-elle, deux conceptions du genre. Soit une conception culturelle : « L’ensemble des sédimentations déposées au fil des siècles sur la nature », soit une conception maximaliste, idéologique, faisant du genre : « Un pur rapport de pouvoir où tout est socialement construit ». Mona Ozouf souscrit à la première conception et rejette la seconde. Il nous faut donc comprendre pourquoi cette conception idéologique semble s'imposer de plus en plus. Ce qu'en pense l'historienne rigoureuse.
Mona Ozouf défend depuis toujours l’idée qu’existerait une « galanterie à la française » qui ne serait en rien hypocrite et qui lui fait dire : « La France est un pays allergique à la guerre des sexes, amical au commerce des hommes et des femmes.» Alors même qu’elle tend à être de plus en plus recouverte, submergée par des manières égalitaires, trop égalitaires, des rapports normés, trop normés, promus par « la théorie du genre » ?
Ce débat entre d’une coté le « gender » et de l’autre la « galanterie à la française » a rebondi, dernièrement, avec l’affaire DSK. Le 29 juin 2011, dans Libération, Eric Fassin s’en prend à Claude Habib, Mona Ozouf et Philippe Raynaud – et ce dans un article intitulé « L’après DSK, pour une séduction féminine. » Il défend Joan Scott et se demande si cette affaire ne remet pas en cause une certaine complaisance propre à la galanterie à la française dans les cas de viols et de toutes formes d'agressions dont les femmes sont les victimes. Alors que Mona Ozouf, en particulier, défendait « la modération du féminisme à la française » contre « le radicalisme bruyant » de l’Amérique. Didier Eribon, autre intellectuel militant du genre, (dans un article de Libération intitulé, le 22 juin 2011, « Féminisme à la française ou néoconservateur »), s’en prenait abruptement à Mona Ozouf (ainsi qu’à Claude Habib et Irène Théry), indiquant que ce féminisme à la française est « un mélange fort classique et transnational, de poncifs antiféministes et d’homophobie militante. » Un degré supplémentaire était franchi. L’injure tenait lieu d’échanges d’opinions. Mona Ozouf était rangée, avec une brutalité bien peu courtoise et injuste, dans le rang des antiféministes et des homophobes. Et le plus surprenant est que personne ne prit la défense de ces féministes-là, que personne ne mit en quarantaine ceux qui osaient proférer de telles inepties ignominieuses. Qu’en pense Mona Ozouf ? En fut-elle touchée, affectée ?
Tel est l’objet de notre entretien.
Damien Le Guay
Bibliographie de Mona Ozouf
- L'École, l'Église et la République 1871–1914, éd. Armand Colin, Paris, 1962
- La Fête révolutionnaire 1789–1799, éd. Gallimard, Paris, 1976
- L'École de la France Essai sur la Révolution, l'utopie et l'enseignement, éd. Gallimard, Paris, 1984 (ISBN 2-07-070202-2)
- Dictionnaire critique de la Révolution française, en coll. avec François Furet, éd. Flammarion, Paris, 1988
- Dictionnaire critique de la Révolution française Institutions et créations, en coll. avec François Furet, éd. Flammarion, Paris, 1993
- L'Homme régénéré Essai sur la Révolution française, éd. Gallimard, Paris, 1989
- Mona Ozouf et Jacques Ozouf, La République des instituteurs, éd. Gallimard, Paris, 1989
- La Gironde et les Girondins, Payot, 1991,
- Le Siècle de l'avènement républicain, en coll. avec François Furet, Paris, Gallimard, 1993
- Les Mots des femmes Essai sur la singularité française, éd. Fayard, Paris, 1995
- La Muse démocratique, Henry James ou les pouvoirs du roman, éd. Calmann-Lévy, Paris, 1998
- Un itinéraire intellectuel, en coll. avec François Furet, éd. Calmann-Lévy, Paris, 1999
- Les Aveux du roman. Le XIXe siècle entre Ancien Régime et Révolution, éd. Fayard, Paris, 2001 prix Guizot-Calvados
- Le langage blessé : Reparler après un accident cérébral, éd. Albin Michel, Paris, 2001
- Une autre République : 1791 L'occasion et le destin d'une initiative républicaine, en coll. avec Laurence Cornu, éd. L'Harmattan, Paris, 2004
- Varennes. La mort de la royauté, 21 juin 1791, éd. Gallimard, Paris, 2005
- Jules Ferry, Bayard Centurion, Paris, 2005
- Varennes, la mort de la royauté, éd. Gallimard, Paris, 2006 prix des Ambassadeurs 2006
- Composition française : Retour sur une enfance bretonne, éd. Gallimard, Paris, 2009 prix du Mémorial-grand prix littéraire d'Ajaccio 2009
- La cause des livres, éd. Gallimard, Paris, 2011
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