Notre système de santé est au seuil d’une crise majeure : comment en sortir ?
Ces crises financière, énergétique, de l’emploi ou encore de l’hôpital, se caractérisent par un perte de confiance en soi ou envers un système bien rodé. Pourtant, le mot crise, du grec Krisis, signifie initialement « décision » fait remarquer Laurent Degos, correspondant de l’Académie des sciences, dans son ouvrage Sortir des crises qui invite à ouvrir les yeux, agir et surtout prévenir les crises dans le domaine qui nous intéresse tous : celui de la santé. Comment ? Rencontre avec l’auteur.
Laurent Degos vient de quitter la Haute Autorité de Santé. Désormais plus libre de ses mouvements, il a publié un manifeste [[Sortir des crises ? éditions du Pommier, 2011]] pour prévenir au mieux les crises sanitaires.
Notre invité distingue quatre domaines où des crises liées à la santé peuvent être observées :
- Le médicament. « Ici, je ne fais pas tant référence à la pharmacovigilance, précise Laurent Degos. Je remarque surtout que les compagnies pharmaceutiques s’adressent à des niches de populations. Ceci présente un double intérêt : les événements indésirables graves sont moins visibles et les médicaments sont vendus beaucoup plus chers… ». Le risque de crise est prégnant entre l’assurance maladie et le prix des traitements à rembourser.
- L’hôpital. Tous les pays ont réduit leurs dépenses liées à l’hôpital au profit de la médecine de proximité. « Ici le risque de crise s’entend entre le rendement accru de l’activité de l’hôpital et la baisse du nombre de personnel ».
- L’innovation. « Elle est coincée par le principe de précaution, la sécurité ».
- Le patient. Si l’hôpital ne fonctionne plus, que l’innovation est en panne et que les médicaments sont de plus en plus chers, il devient difficile d’être soigné correctement. « Le parcours de soin est devenu le parcours du combattant. Il y a donc une vraie réforme à faire » explique Laurent Degos.
« Pendant un temps, nous avons construit notre système de santé autour du médecin qui avait le savoir, puis autour de la santé publique. Aujourd’hui il faut le construire autour du patient ».
Innovation, principe de précaution et éthique
C’est un constat : après chaque crise, une agence ouvre ses portes : agence pour la sécurité des produits de santé, pour la sécurité alimentaire, pour la veille sanitaire, pour la politique médicale, pour la sécurité de l’environnement… « Cette solution est prise le plus souvent par les décideurs gouvernementaux par crainte d’une réaction sociale ou politique » écrit Laurent Degos dans son ouvrage. Et il précise au cours de l’émission que « toutes ces agences auraient besoin d’être regroupées en trois grands domaines que sont la sécurité, la pratique et la prévention ».
Mais pour lui, ce n’est pas tellement en termes de sécurité qu’il faut raisonner, mais plutôt en termes d’éthique. « La population est-elle prête à courir des risques pour de grandes innovations apportant dans le futur un grand bienfait ? Prenez l’exemple des greffes d’organes : elles étaient dangereuses au début. Aujourd’hui elles sont communes et sans danger. Même chose pour la transfusion sanguine qui est devenue aujourd’hui en France l’acte le plus sûr ». La situation se renouvelle actuellement pour les débuts de la thérapie génique, de la thérapie cellulaire. « Là encore, que cela soit permis ou interdit, nous sommes plutôt dans des questions d’ordre éthique. Or aujourd’hui, ce sont les agences de sécurité qui prennent les décisions » remarque Laurent Degos.
Mais alors que penser de la loi sur la bioéthique passée récemment en France, interdisant la recherche sur les cellules souches, sauf dérogation ? La recherche se fera-t-elle à terme sur dérogation ? « C’est un choix de société, répond l’hématologue. Cela permet de suivre au mieux ce qui se passe. Si jamais un accident arrivait, on pourrait toujours informer la population que les recherches étaient initialement interdites. Ceci permet d’éviter les scandales du type Médiator qui remettent en cause toute l’organisation.(ndlr : émission enregistrée avant la décision prise par le ministre de la santé de revoir tout le système de pharmacovigilance suite à l’affaire du Médiator). Pour ma part, je suis entre deux eaux… »
L’hôpital : quelques fausses bonnes idées
Parmi les idées émises pour traiter au mieux les dysfonctionnements de l’hôpital, celle de rédiger « une déclaration obligatoire de tous les événements indésirables graves survenus au sein d’un établissement de santé » a été retenue en Grande-Bretagne.
Un dispositif qui semble à priori aller dans le bon sens ?… « Pas vraiment » nous dit Laurent Degos : « En très peu de temps, les Anglais ont été dépassés par des millions de déclarations impossibles à traiter. Résultat : ils n’ont rien fait du tout et ont signé l’arrêt du fonctionnement de cette agence… »
Les faits divers dans les médias relatent parallèlement de plus en plus d’erreurs de manipulation de la part d’infirmiers et de médecins. « On pense que c’est le dernier maillon qui est coupable. Mais pour qu’il y ait de grosses erreurs comme de trop fortes injections par exemple, ça souligne surtout de nombreux dysfonctionnements en amont » fait remarquer Laurent Degos.
Pour notre invité, mettre la main sur un coupable ne résout pas le problème ; un phénomène d’autant plus accentué par les procès basant l’indemnisation sur la base de la culpabilité. « On devrait indemniser la victime quel que soit l’accident. Ensuite deux voies seraient à explorer systématiquement : chercher le responsable mais aussi et surtout rechercher les causes ».
Autre idée qui ne se révèle pas glorieuse selon Laurent Degos : la mise en place de procédures et protocoles pour tous les gestes, tout acte, toute communication médicale, à la manière de l’aviation civile. « Or nous avons à faire à des hommes qui sont très variables. Nous avons bien sûr besoin de procédures pour entrer en salle d’opération, poser un cathéter, mais à d’autres moments, mieux vaut être en éveil de l’inattendu pour prévenir ce qui va arriver ». La solution se trouverait donc dans un mélange des deux.
La prévention : quand la population n’y croit pas. Exemple de la grippe H1N1
Pour Laurent Degos, trois axes doivent être menés de front pour contrer les potentielles crises sanitaires à venir : la sécurité, la pratique et la prévention. Or, l’exemple du vaccin préventif contre la grippe H1N1 est un contre-exemple cuisant. L’État s’est lancé dans la prévention à grande échelle, mais la population n’a pas suivi…
Laurent Degos rectifie : « Le vaccin a toujours été considéré comme quelque chose de potentiellement dangereux, alors qu’il ne l’est pas. La grippe ne s’étant pas déclarée, tout le monde s’est demandé pourquoi tout ce remue-ménage pour rien! Et pourtant, heureusement qu’il existe toute cette machinerie face à une potentielle épidémie. Maintenant, il ne faudrait pas que cet événement crée de la méfiance contre les vaccins ».
Laurent Degos est hématologue, professeur à l’université Paris Diderot – Paris VII, il a dirigé le service clinique des maladies du sang de l’hôpital Saint-Louis, l’Institut universitaire d’hématologie et l’école doctorale de biologie et biotechnologies. Il a mis en place la Haute autorité de santé (HAS) de 2005 à 2010 et est correspondant de l’Académie des sciences.
En savoir plus :
- Laurent Degos sur Canal Académie
- Laurent Degos, correspondant de l'Académie des sciences
Laurent Degos, Sortir des crises, éditions Le Pommier, 2011