Saint Louis et la couronne d’épines, Histoire d’une relique à la Sainte-Chapelle avec André Vauchez
Après l’acquisition, en 1239, de la couronne d’épines du Christ, Louis IX bâtit une magnifique chapelle -une extraordinaire « châsse vitrée »- dans l’enceinte du palais royal pour conserver dignement la relique.
Quels sont les enjeux religieux, théologiques et politiques qui ont présidé à la conception et la réalisation de ce sanctuaire royal ?
Quel message la monarchie française envoya-t-elle à son peuple et à la chrétienté ? André Vauchez, historien médiéviste de l’Académie des inscriptions et belles lettres, présente Saint Louis et la couronne d’épines, Histoire d’une relique à la Sainte Chapelle, le livre de l’historienne Chiara Mercuri, dont il a rédigé la préface.
D'emblée, André Vauchez signale l'intérêt historique des reliques : « Les reliques, ces « fragments d'éternité », sont devenues un sujet d'histoire depuis une trentaine d'années ; avant elles étaient, plutôt, objets de disputes sans fins et sans solutions, sans réponses fermes et définitives, pour savoir si elles étaient vraies ou fausses.
Tout au long des siècles -et beaucoup au XIXesiècle- on a bataillé entre catholiques, protestants et libres- penseurs. La problématique axée sur la question de leur authenticité alimenta une littérature surabondante.
Les uns affirmant qu'elles étaient authentiques ; les autres s'efforçant de démontrer qu'elles étaient fausses, et y parvenant assez souvent. Il y eut, effectivement, de nombreux cas dans lesquels on put détecter ou supposer, sinon une supercherie, du moins une construction tardive, à posteriori.
Mais, aujourd'hui, on est sorti de ces polémiques.
Et ceci pour deux raisons : d'une part, dans le catholicisme, les reliques sont toujours vénérées mais n'occupent plus une place centrale donc le débat s'est largement dépassionné ; d'autre part, les historiens constatent que les reliques ont joué un rôle fondamental non seulement dans l'histoire de la chrétienté mais dans l'histoire des sociétés occidentales et orientales.
Et la couronne d'épines, à partir des XIe et XIIe siècles devient la plus prestigieuse des reliques de la Passion.»
Couronne du Christ, couronne de Roi
La couronne d'épines symbolisait le lien entre la royauté du Christ – royauté paradoxale puisque ce Roi fut crucifié- et la royauté des rois de ce monde. Rois et empereurs souhaitaient posséder, sinon la couronne elle-même, du moins quelques épines de cette couronne ; et ceci en Occident, dès l'époque de Charlemagne.
Charles le Chauve avait donné quelques épines à l'Abbaye de Saint-Denis. Comment étaient-elles arrivées là ? On ne sait pas.
Les empereurs byzantins possédaient cette couronne venue de Jérusalem depuis, au moins, le Xe siècle.
En 1204, les Croisés investirent Constantinople. L'empire latin qui succéda, alors, à l'empire byzantin, recueillit la précieuse relique.
Une trentaine d'années plus tard, la situation financière catastrophique de Baudouin II, empereur latin de Constantinople, le poussa à mettre la couronne d'épines en gages auprès des Vénitiens -les gens les plus riches de l'époque.
Saint Louis l'acheta à grand prix aux Vénitiens. La translation en France de la relique, symbole de pouvoirs impériaux, devint le support d'un message théologico-politique d'une audace déconcertante. Elle apporta un nouvel éclairage sur le personnage de Louis IX et sur son idéologie royale. Avec une grande solennité, il l'accueillit à Villeneuve-sur Yonne. Puis, en procession, il la ramena avec son frère Robert d'Artois à Paris et la déposa à Notre-Dame, en attendant la fin de la construction de la Sainte-Chapelle.
La supériorité morale de la France capétienne
Situés dans la demeure privée de Louis IX, la chapelle palatiale et son trésor témoignaient de sa suprématie dans son royaume et hors du royaume.
Tout à la fois signe de son investiture, illustration de son prestige, vitrine de son pouvoir sacral, symbole de son autorité morale et enseigne de son charisme, la Sainte-Chapelle fut, pour Saint Louis, un extraordinaire élément de propagande.
Il s'imposait, ainsi, comme le « leader » de la chrétienté au moment où le dernier avatar de la Querelles des Investitures affaiblissait, un peu plus, la papauté et le Saint Empire Romain Germanique.
Le roi de France agissait comme s'il était directement inspiré par Dieu et comme chef effectif de la chrétienté. Á la tête du royaume d'Occident le plus puissant, le plus peuplé, le plus riche de l'époque, Louis IX lança une croisade, sans l'accord du Pape. En 1248, deux mois après la cérémonie de la translation de la couronne à la Sainte-Chapelle, il partit vers Jérusalem. Ce roi, grand chrétien et profondément attaché à l'Église, n'était pas, pour autant, le serviteur de l'Église de Rome.
La religion royale, et gallicane, du souverain se manifesta de nouveau à propos de la liturgie qu'il souhaita attacher à la Sainte-Chapelle.
André Vauchez insiste sur l'aspect novateur de la démarche de Saint- Louis : « Le geste du roi est étonnant -même pour le Moyen Age! Jamais auparavant un souverain temporel n'avait institué, de lui même, une fête liturgique historique pour commémorer l'inauguration de sa chapelle et commander des offices liturgiques, spécifiques, pour ses fêtes religieuses! Le clergé a collaboré, bien sûr ; mais il n'a fait que répondre à la demande du monarque. Lors de l'ostention de la couronne d'épines, le roi est en-tête et le clergé l'accompagne. Louis IX, officiant du rite, est l'unique intermédiaire entre Dieu et le peuple.
Ce geste royal affirme la revendication d'autonomie de la monarchie française par rapport à la papauté -discours qui ne pouvait évidemment pas plaire à la Curie romaine !
« Royauté sacrée et sainteté royale », c'est l'image que Saint Louis veut donner de la couronne de France. »
Des vitraux uniques au monde
Louis IX, roi mystique, voulut un lieu d'intense lumière pour honorer le culte de la couronne d'épines et insérer son arrivée à Paris dans une perspective biblique de longue durée.
Les verrières de sa « châsse de lumière » illustrent d'une part sa dévotion pour la Passion du Christ et pour l'histoire du Salut, tel qu'il est annoncé dans les Livres de l'Ancien Testament, d'autre part sa volonté de se situer dans la continuité historique de la dynastie capétienne, élue de Dieu.
Bien qu'un tiers des vitraux originels aient disparu, et n'aient jamais été remplacés par des modules identiques aux originaux, on peut encore suivre le message général du cycle iconographique qui se déroule sur les quatre côtés de l'édifice.
On reconnaît une unité dans la volonté de représenter la première et la seconde venue du Christ.
Dans ces vitraux, l'arrivée de la relique en France est figurée après les verrières de l'abside dédiées à la Passion et avant celles de la rosace occidentale évoquant l'Apocalypse.
Selon l'Apocalypse de Saint Jean, le Christ doit redescendre, à la fin des temps, sur terre et récupérer à Jérusalem sa couronne, symbole le plus éclatant de sa royauté.
La référence à l'Apocalypse donna une dimension eschatologique à la Sainte-Chapelle. Là, encore ce n'est pas un hasard !
Saint Louis changea la légende au profit de la France, et de ses monarques, et innova en donnant à Paris une centralité égale à celle de Jérusalem.
Le Christ, en effet, viendrait à Paris frapper à la porte de la Chapelle royale pour reprendre sa couronne auprès du roi de France du moment.
Rome ne cautionna jamais cette version franco-française, détournée du texte de Saint Jean.
Quand, en 1297, à l'occasion de la canonisation de Saint Louis demandée par Philippe le Bel, le pape Boniface VIII fit l'éloge des qualités humaines et chrétiennes du saint roi, il célébra ses vertus, son sens de la justice, son soutien accordé à l'Église contre les hérétiques, mais il n'évoqua pas le cas particulier du sanctuaire royal de la Sainte-Chapelle !
La couronne d'épines et la naissance d'un nouveau modèle iconographique
Au Moyen-âge, le Christ crucifié n'était pas encore caractérisé par la couronne d'épines, mais par une simple auréole, selon le modèle byzantin, dominant même en Occident.
Aujourd'hui, la représentation du Christ en croix, ceint de la couronne d'épines, nous apparaît banale car aux époques modernes et contemporaines, ce modèle triompha des autres avec une telle force
qu'il ne laissa presque aucun espace aux autres modèles.
Mais vers 1240, il était encore presque inconnu.
Si les historiens de l'art n'accordèrent pas grande attention au changement radical iconographique produit par la translation en France de la couronne d'épines, c'est parce qu'il s'est produit dans une période d'évolution de la sensibilité religieuse qui conduisit à un succès généralisé de la thématique de la Passion et de l'humanité du Christ.
Au milieu du XIII° siècle, au modèle du Christ-triomphant, dominant dans les siècles précédents, on substitua celui du Christ-souffrant, yeux fermés, expression douloureuse sous la couronne d'épines, parfois larmes de sang.
André Vauchez conclut en notant que, là encore, il faut saluer le discernement politique de Saint Louis qui sut cueillir cette inflexion remarquable de la sensibilité et la mettre à profit.
Chiara Mercuri, née à Rome, a fait des recherches tant en Italie qu'en France dans le domaine de l'histoire sociale et religieuse de Moyen Age, elle a publié de nombreuses études et collabore actuellement au magazine « Medioevo ».
Saint Louis et la couronne d'épines, Histoire d'une relique à la Sainte Chapelle est traduit de l'italien par Philippe Rouillard et édité chez Riveneuve Editions.