Elizabeth 1ère, l’Age d’Or
Elizabeth, l’Age d’or est le second film que Kapur consacre à la grande souveraine anglaise, Elizabeth 1ère, la Reine vierge, la dernière des Tudor, interprétée magistralement par Cate Blanchett. Dans quelle mesure ce film respecte-t-il l’histoire ou s’en détache-t-il ? Marie-Laure Massei, maître de conférences en anglais à l’Université de Paris est allée le visionner, nous offre des points de repère historiques en nous faisant partager son analyse.
Elizabeth: L’Age d’or fait suite au premier film de Kapur sur l’ascension de la puissante reine d’Angleterre, film qui avait été nominé aux Oscars après sa sortie en 1998. Elisabeth fut donc largement salué par la critique et par le public, pour sa déconstruction originale des conventions régissant le drame historique, ses prises de vues vertigineuses et sa mise en scène de personnages sanguins dans des décors de pierre austères.
Cependant, entreprendre une suite se révèle souvent un exercice difficile et périlleux, donc pourquoi ce deuxième film ? Comme s’en explique Kapur : « Je n’en avais pas absolument l’intention, mais l’envie était là. Conter une histoire revient à ouvrir une petite boîte de Pandore, on ressent forcément le besoin d’aller plus loin ».
Le choix d’un réalisateur indien, né dans l’Empire des Indes britanniques avant la partition, pour traiter de la figure typiquement anglaise d’Elizabeth, était un pari plutôt audacieux et inattendu. Kapur reconnaît d’ailleurs qu’il n’était pas le mieux à même de proposer une interprétation de l’histoire des Tudor : « N’aimant pas du tout l’histoire, je ne savais rien au sujet d’Elisabeth, si ce n’est qu’elle était surnommée la « reine vierge » et qu’elle avait vécu à la Renaissance ; j’ai donc été très surpris d’être contacté. Les producteurs ont pensé à moi parce qu’ils craignaient de retomber dans le film traditionnel en costume d’époque. Cela dit, je n’aurais jamais pu tourner un film sur Gandhi, par exemple. Cela fait trop partie de mon histoire personnelle. Et le même problème se serait sans doute posé pour un réalisateur britannique chargé de faire un film sur Elizabeth ».
Kapur a donc travaillé en étroite collaboration avec des scénaristes anglais pour ne pas perdre de vue la réalité historique, mais son regard décalé sur l’icône tant filmée et vénérée s’est bel et bien révélé inédit.
C’est grâce à son interprétation magistrale de la reine Elizabeth Ière, en 1998, que l’actrice australienne Cate Blanchett est devenue une star. Bien qu’elle ait longuement hésité à reprendre un tel rôle dans L’Age d’or, dont le budget était pourtant largement supérieur à celui du premier film, Kapur sut la convaincre de proposer une interprétation encore plus fouillée du personnage. Et comme l’affirme Blanchett : «Il est incontestable qu’Elizabeth avait une personnalité incroyablement complexe et fascinante. Si l’on prend en compte la dynastie d’actrices qui l’ont incarnée, sans parler de celles qui reprendront le rôle, on peut aisément faire un parallèle avec Hamlet. »
Quelques repères historiques :
Il est vrai que l’histoire familiale de la dernière souveraine Tudor apparaît pour le moins cruelle et mouvementée : en 1536, son père Henry VIII fit décapiter sa mère Anne Boleyn, sans doute injustement accusée d’adultère, d’inceste et de trahison. A l’époque, Elizabeth n’avait que trois ans. Ses premières années furent marquées par l’incertitude et parfois le danger. En 1537, à la naissance de son demi-frère Edouard, ses chances d’accéder au trône semblaient minces : elle se trouvait alors en troisième position, après sa demi-sœur, Marie, restée fidèle à la foi catholique et à Rome. Par ailleurs, dans un pays en proie à de vives tensions religieuses, les catholiques anglais ne voyaient pas en Elizabeth une héritière légitime, si bien qu’elle échappa de justesse à l’échafaud après une rébellion manquée contre la reine Marie, en 1554. A la mort de cette dernière, surnommée « Marie la sanglante » après qu’elle fit périr 300 protestants sur le bûcher, Elizabeth monta sur le trône, en 1558. Bien décidée à réunifier une nation divisée entre catholiques et protestants, la jeune reine tenta un compromis en fondant l’Eglise d’Angleterre, d’inspiration protestante et fit voter l’Acte de Suprématie en 1559.
Age d’or ou cage dorée ?
En 1998, Cate Blanchett incarnait Elizabeth I au tout début de son règne, alors qu’elle affrontait une cour de dangereux conspirateurs et apprenait le sens de l’abnégation.
Dans L’Age d’or, la reine charismatique est devenue une habile politicienne, qui jouit d’un pouvoir quasi-absolu et excelle dans le trait d’esprit. Alors âgée de 52 ans, elle en paraît pourtant 30, mais il s’agit là, certainement, d’une heureuse allusion au fameux « masque de jeunesse » que les peintres officiels se devaient d’utiliser dans leurs portraits, pour promouvoir l’image d’une reine sur laquelle le temps n’avait aucune prise ?
En 1585, Elizabeth se trouve confrontée au danger, risquant de perdre son pays, sa couronne, et peut-être la vie, au profit de sa cousine Marie Stuart, reine d’Ecosse (jouée par Samantha Morton), qui, soutenue par les catholiques, conspire depuis sa prison. L’Angleterre est également sous la menace d’une invasion espagnole, puisque le roi Philippe II (dont l’interprétation par Jordi Molla frise la caricature) envoie son Invincible Armada à l’assaut des côtes anglaises. Le roi d’Espagne entend tout simplement forcer le royaume de sa première épouse, Marie Tudor, à réintégrer le camp des puissances catholiques, d’où cette présentation manichéenne de la situation, qui a d’ailleurs suscité quelques réactions au Vatican : « L’Angleterre est asservie au démon, nous avons le devoir de l’en libérer ».
Femme et Reine à la fois
Malgré cette intrigue passionnante, on a malheureusement le sentiment qu’Elizabeth I est plus préoccupée par ses problèmes personnels que par ce moment décisif dans l’histoire du royaume. Dans le film de 1998, le thème principal était celui de la virginité de la reine : le réalisateur explique qu’il avait décidé de l’aborder moins comme un fait historiquement prouvé que comme une posture politique, afin de préserver l’indépendance de l’Angleterre face aux autres nations européennes.
Dans L’Age d’or, ce thème récurrent de la vestale auto-proclamée n’est pas remis en question, mais il se trouve relayé par un autre questionnement sur la difficulté d’être une icône vivante, lorsque la personne privée, le rôle constitutionnel et la nécessaire incarnation de la nation ne sont censés faire qu’un, malgré leurs exigences parfois opposées. La dernière réplique de la reine illustre ce dilemme : « Célibataire, je ne suis assujettie à aucun maître ; sans héritier, je suis une mère pour mon peuple. Seigneur, donnez-moi la force de supporter cette liberté écrasante ».
Petites histoires
Malgré la présence d’acteurs prestigieux et confirmés, tel Clive Owen qui joue Sir Walter Raleigh et, pour la deuxième fois, Geoffrey Rush dans le rôle du rusé conseiller espion Sir Francis Walsingham, le scénario est quelque peu décevant : on a accordé trop d’importance à l’intrigue secondaire, à savoir la petite histoire d’amour entre le fringant Raleigh et Bess Throckmorton, jouée par Abbie Cornish. Charmée par l’explorateur intrépide, dont la virilité et l’ardeur tranchent avec la personnalité insipide des prétendants de la cour, Elizabeth encourage sa dame d’honneur à se lier d’amitié avec lui, ce qui revient à le séduire par procuration. Dans cette histoire de désir triangulaire, la blondeur et la rondeur de Bess sont évidemment symboliques de tout ce qu’Elizabeth I a dû refouler pour façonner son image de reine vierge corsetée. On est peu convaincu par les séquences qui s’attardent sur une souveraine consumée par son attirance pour Raleigh, se demandant ce que deviendrait l’Angleterre si elle venait à céder à son désir. Par ailleurs, tout cela n’a guère de fondement historique.
Et l’Histoire dans tout cela ?
Si certaines scènes font bien référence à des faits avérés, comme le discours de la reine à ses troupes à la veille du combat contre l’Invincible Armada, ou les scrupules qui la tracassèrent avant qu’elle ne consentît à l’exécution de Marie Stuart, une fois sa trahison prouvée, aucun élément historique n’étaye la thèse d’une liaison amoureuse entre la reine et l’explorateur. Le favori d’Elisabeth, et apparemment l’amour de sa vie, fut Robert Dudley, qui apparaît dans le premier film de Kapur sous les traits de Joseph Fiennes. Il n’est pas certain non plus que Raleigh ait vaincu les 130 bateaux et les 20 000 soldats de l’Invincible Armada à lui seul, comme cela semble être le cas dans le film. Cette grande victoire de l’Angleterre en 1588 est plutôt due aux erreurs de commandement des Espagnols et au déchaînement providentiel d’une tempête, mais il est vrai que, dans le film, Elizabeth se vante de pouvoir commander au vent… !
Si la critique anglo-saxonne s’est montrée peu enthousiaste dans l’ensemble, certains journalistes sont allés jusqu’à écrire que dans ce film, c’est l’histoire qui a été brûlée sur le bûcher hollywoodien : il est certes toujours difficile d’évoquer tant d’événements majeurs en à peine deux heures, tout en satisfaisant aux exigences du genre, mais de tels raccourcis historiques conduisent à des erreurs. Ainsi, malgré les apparences, il n’y a pas de lien causal direct entre l’exécution de Marie Stuart et la tentative d’invasion espagnole.
Par ailleurs, le film relate des événements compris entre 1585 and 1588. Or, l’histoire d’amour entre Bess Throckmorton and Raleigh est bien postérieure, puisque c’est seulement à la fin de l’année 1591 que la dame d’honneur de la reine découvrit qu’elle était enceinte, ce qui précipita son mariage secret avec Raleigh. Cette union ne fut connue de la reine qu’en mai 1592 et dans la mesure où cette dernière n’avait pas donné son consentement aux époux, Raleigh fut arrêté et emprisonné, tombant pour cinq années en disgrâce.
En outre, le commentaire final est trop manichéen, qui annonce sans plus de nuances que l’Angleterre entre alors dans une période de paix et de prospérité. Comme l’explique l’historien François-Joseph Ruggiu dans L’Angleterre des Tudor aux premiers Stuart : « Le mythe de la bonne reine Bessie, victorieuse de l’Invincible Armada, est en fait une création de la première moitié du XVIIe siècle et Elizabeth n’a pas échappé aux contestations en particulier dans les années 1590, alors que le pays était durement frappé par une crise économique et une succession de mauvaises récoltes ».
La tragédie historique de Shakespeare, Jules César, qui date de 1599, traduit justement, bien qu’en les transposant, les doutes, les incertitudes et les angoisses des Elizabétains à la fin des années 1590.
Enfin, la scène la moins réussie est, sans conteste, celle de la bataille navale, car l’Invincible Armada se détache un peu trop distinctement sur fond d’images de synthèse, ce qui confère au film un côté science-fiction très anachronique. Cate Blanchett ne s’émeut pas d’un tel manque de réalisme, pourtant dommageable à un film à vocation historique : « Cela le rend plus accessible », réplique-t-elle avec tact, « et lui apporte une dimension onirique ».
Le film a nécessairement pâti de ces négligences, d’autant plus si on le compare à l’adaptation télévisée très réussie, car bien plus sobre et plus fidèle à la réalité, diffusée au Royaume-Uni en 2006, avec la grande Helen Mirren dans le rôle titre.
Un plaisir esthétique réel :
Néanmoins, reconnaissons que L’Age d’Or reste un magnifique film, qui procure un réel plaisir esthétique, tant les costumes, les décors et les images ont été soignés. Blanchett donne une fois de plus la mesure de son talent : voilà une actrice inspirée qui semble vraiment incarner cette reine tout en contrastes, digne fille de Henry VIII et de la Renaissance, à la fois toute puissante et vulnérable, tragique au cœur même du triomphe, pleine de majesté, mais aussi de fragilité, tandis qu’elle ondule sur les dalles en pierre glaciales, un voile diaphane soulignant ses épaules. Cette actrice a su rendre le sentiment poignant de solitude au cœur du pouvoir, ainsi que la distance et le détachement caractéristiques des portraits officiels, où Elizabeth I apparaît hiératique et énigmatique. On se délecte de ces plans qui mettent en valeur les moindres détails de sa tenue, faisant immanquablement écho, par exemple, au fameux Ditchley portrait.
Hillary, héritière d’Elisabeth I ?
Il n’est pas si surprenant de constater que l’histoire d’une reine décédée il y a plus de 400 ans continue de fasciner Hollywood : là-bas, dans les anciennes colonies, en Virginie par exemple, dont le nom est un hommage vivant à la reine vierge, les Américains se passionnent pour le destin d’une autre femme, Hillary Clinton, dans sa course à la présidence. « Elisabeth est vraiment la première femme à avoir dirigé un pays seule, sans époux, dans l’histoire moderne », explique Susan Ronald dans son livre, The Pirate Queen. Par son éducation humaniste, son intelligence, sa force et son caractère indomptable, elle a su présider à l’expansion de l’Angleterre. De nombreux observateurs politiques américains comparent Elizabeth et Hillary : cette dernière aurait peut-être bien fait de s’inspirer des discours de la souveraine, où le lyrisme se met au service de l’énergie et de la détermination, pour insuffler le courage au peuple anglais, comme par exemple, à la veille du combat décisif contre l’Armada :
« Je sais bien que j’ai le corps d’une frêle et faible femme, mais j’ai le cœur et le courage d’un roi, et d’un roi d’Angleterre qui plus est ! » Qu’Elizabeth I eût l’étoffe d’un roi, cela est incontestable, mais elle n’en resta pas moins femme…
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