Frédéric Vitoux, de l’Académie française, et la mémoire émotionnelle
Frédéric Vitoux, de l’Académie française, était présent au Festival de Fès 2010 et intervenait lors des rencontres culturelles. Le thème qu’il avait choisi pour l’occasion : La mémoire émotionnelle.
Cette émission a été enregistrée en juin 2010 au Festival de Fès. Au micro de Canal Académie Frédéric Vitoux évoque le thème de la mémoire émotionnelle autour du voyage initiatique.
Les souvenirs de Frédéric Vitoux ne laissent pas indifférents. Les auditeurs qui écouteront cette émission se reconnaitront certainemen car, tous, nous retrouvons à travers nos émotions des souvenirs clés de nos vies. Des moments si particuliers qu'ils ont changé une partie de nous à un instant précis. Nous pouvons donc aussi parler de voyage intérieur. Telle est la raison du choix de ce thème par l'académicien qui revit avec nous son entrée à l'Académie, le souvenir de son grand-père, évoque aussi la démarche de l'écrivain ou se remémore ses rencontres avec Claude Lévi-Strauss.
- «Le chemin mystérieux va vers l'intérieur. C'est en nous sinon nulle part qu'est l'éternité avec ses mondes, le passé et l'avenir.»
Cette citation du grand poète allemand Novalis fait écho à la pensée de Frédéric Vitoux. Comme il le dit lui-même : «Ce qui m'intéresse c'est ce travail, ce désir des écrivains de faire un pas de côté; de regarder derrière eux pour savoir d'où ils viennent.»
Un voyage affectif
Pour savoir ce qui se cache derrière nous, ne devons-nous pas faire appel aux sentiments ? Ecrire le présent, n'est-ce pas faire appel à la mélancolie ? «Je crois que l'écrivain regarde beaucoup derrière lui. C'est ce regard rétrospectif qui me touche. On peut être un grand écrivain d'avenir en étant un nostalgique inguérissable. J'ai d'ailleurs évoqué sur ce point plusieurs fois Céline sur Canal Académie, un des écrivains les plus novateurs dans la forme, dans le style, dans la puissance compassionnelle. En même temps c'était un homme qui n'était pas de l'avenir, totalement mélancolique, nostalgique. Le monde idéal avait juste précédé sa vie !»
Aussi Frédéric Vitoux n'hésite-t-il pas à noter que les plus grands romanciers (Balzac, Stendhal, Chateaubriand) ont tous été des mélancoliques inguérissables.
Le souvenir et les livres
Pour illustrer ses propos l'académicien prend pour exemple son livre Grand hôtel Nelson, forme d'enquête à partir d'objets, de livres, d'archives et qui devient ensuite une fiction. Il y rassemble les traces d'un homme qu'il n'a pas connu et dont il cherche les pièces de l'existence. «Je recompose un puzzle où je mets en mouvement mon grand-père. Tout cela est du voyage, un voyage qui cherche à me relier.» Le souvenir de nos proches nous apparaît parfois viscéral. Il sert à mieux nous comprendre.
Le souvenir à l'Académie
«J'ai toujours voulu embrasser une carrière littéraire. De là à entrer à l'Académie ! Je n'en reviens pas, je suis un imposteur ! A chaque séance je me demande ce que je fais parmi toutes ces personnes illustres. Je pense à mon père qui s'interrogeait et s'inquiétait sur mon avenir littéraire. Il disait qu'un bestseller c'est empreint de malentendu et qu'un prix littéraire, cela s'oublie... Non vraiment, pour mon père la consécration d'un écrivain c'était l'Académie. Dès mon premier livre il n'arrêtait pas de me bassiner : quand tu seras à l'Académie française, ce qui ne saurait tarder... Il avait vraiment cette obsession ! J'avoue que juste après "L'ami de mon père" je commençais à y penser. Lorsque le téléphone a sonné je jour J j'ai tout de suite pensé à mon père et à ses mots. Je me sens très intimidé parmi les grandes figures de l'Académie. Je ne reste pas indifférent d'être aux côtés d'un de ses membres.»
Sur la salle des séances de l'Académie française :
- «J'ai le sentiment de pénétrer dans un lieu immobile, hors du temps, qui a gardé le sens des cérémonies, des codes, des usages. On se donne la parole, on se vouvoie même si on se tutoie en sortant de la séance. Ce point fixe est le meilleur belvédère pour observer le temps et son évolution. Il faut des points fixes dans une société pour mieux observer le mouvement. J'ai le sentiment d'être dans un lieu tel, loin des frivolités et que, depuis ce lieu, j'observe bien.»
Le souvenir et Lévi-Strauss
Claude Lévi-Strauss était un homme à l'Académie parmi les plus silencieux. Il ne prenait pas délibérément la parole. Il était un peu un observateur de nos débats et de nos discussions sur les mots, sur les définitions. Mais quand il y avait un problème, il avait toujours le dernier mot. Nous nous disputions et à la fin nous nous tournions vers lui et nous lui demandions son point de vue. Il prenait la parole et tout le monde s'inclinait. En 2 ou 3 phrases, il faisait taire tous ceux qui s'étaient déchirés. Il avait le sens de la synthèse et tout le monde disait : merci monsieur le professeur !
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