Jean-Léon Gérôme : Portrait "d’un pape" de l’Académie des beaux-arts du XIXe siècle
Jean-Léon Gérôme (1824-1904) oscille entre son désir de vérité archéologique et son imagination pour mettre en scène ses sujets d’histoire. Héritier ou novateur ? Edouard Papet, conservateur en chef au Musée d’Orsay présente ce peintre, membre de l’Académie des beaux-arts, qui connut le succès et les honneurs pour tomber plus tard dans l’oubli et le dédain de ce qu’on appelait péjorativement les peintres pompiers.
"J'aime mieux trois touches de couleurs sur un morceau de toile que le plus vif des souvenirs" écrit Gérôme dans ses Notes autobiographiques. On redécouvre depuis ces dernières années en Europe, la peinture et la sculpture de cet artiste "star" de la seconde moitié du XIXe siècle. Rendu impeccable, illusion du vrai pour des orients lointains, pour ses portraits et pour ses scènes de la Rome antique : trois champs qu'il explora abondamment et qui lui apportèrent la reconnaissance et l'aisance financière.
Cette citation de Proust en dit long sur la notoriété qui fut la sienne de son vivant : "Je crois que je mérite d’être un peu tranquille, j’ai eu quarante-cinq visites et sur quarante-cinq, il y en a eu quarante-deux qui ont parlé du tableau de Gérôme !" (Proust, Du côté de chez Swann, 1913)
Que raconte la peinture de Jean-Léon Gérôme ? Un académisme stérile du XIXe siècle ?
Peut-être avez-vous vu dans un dictionnaire d’autrefois ou durant votre jeunesse en cours de latin, la reproduction de son Cave canem ("Prends garde au chien"), prisonnier de guerre à Rome, une huile sur toile conservée à Vesoul, datant de 1886. Connaissez-vous les gladiateurs casqués de son célèbre Pollice Verso, Le pouce renversé de 1872 ? L’œuvre dans sa quasi-totalité est connue, popularisée par les manuels scolaires de nos grands-pères, par les dictionnaires et par le cinéma.
Pourquoi son œuvre est-elle si familière au regard d'aujourd'hui ?
De son vivant, il fit photographier ou graver ses peintures pour en assurer la plus large diffusion. Après sa mort en 1904, le cinéma, en particulier Hollywood, s'inspira de ses toiles de la Rome antique pour créer les décors de peplums. Mieux, la photographie lui servait aussi pour peindre à son retour les paysages, admirés en voyage, au Proche-Orient, en Syrie, en Palestine, en Égypte. Il confia ce soin à des amis, comme le sculpteur Auguste Bartholdi lors de son voyage en 1855 en Égypte et à son beau-frère Albert Goupil qui était son associé et réalisa la plupart des clichés en 1868 lors de son voyage en Égypte et en Asie mineure en passant par Jérusalem.
Jean-Léon Gérôme avait, en effet, épousé Marie, l’une des filles, d’André Goupil, grand marchand de son temps et fondateur de la Maison d’Édition d’art qui porte son nom.
Mais que dit au fond sa peinture d’histoire ? Que disent ses portraits, ses peintures d’Orient, son antiquité fantasmée ? Comment traite-t-il ces sujets « classiques » ? Reflet du goût de son époque ou invention créatrice ?
La peinture de Jean-Léon Gérôme est presque parlante, presque sonore tant les foules et les personnages sont parfois figés en train de crier bouche ouverte. En cela, elle est d’une étrange modernité. L'arrêt sur image est saisissant.
Si son travail fut très tôt apprécié, il connut dès ses débuts des commandes de l’État ; s’il fut reconnu comme le chef de file des peintres de l’Académie des beaux-arts opposé aux impressionnistes, il n’en demeure pas moins que la critique, de son vivant, ne s’est jamais gênée pour critiquer son œuvre, dire le scandale qu’elle y voyait ou son incompréhension.
Sa peinture est plus complexe qu’on ne l’a cru. Des artistes, des critiques et des historiens d’art l’interprètent aujourd’hui sous un angle nouveau. Le décor en point d’appui subtil, le goût de la miniature sur des grands formats, un sens de l’image, inconnu jusqu’alors en peinture, constituent quelques points d'entrée pour apprécier la peinture de Jean-Léon Gérôme.
Edouard Papet, conservateur en chef, chargé de sculptures au musée d'Orsay, un des trois commissaires de l’exposition Jean-Léon Gérôme, l’histoire en spectacle qui se déroulait jusqu’au 23 janvier au musée d’Orsay à Paris évoque, dans cette émission, la formation du peintre, "enfant chéri" de son maître Delaroche qu'il accompagna en Italie pour un long séjour. À son retour en France, le jeune peintre de 23 ans, s'affirma d'emblée comme le chef de fil d'une nouvelle École, les néo-grecs, qu'illustre son tableau de jeunesse très remarqué, au salon de 1847, Jeunes Grecs faisant battre des coqs dit aussi un combat de coqs, daté de 1846. Ce tableau lui ouvre les portes des commandes de l'État et signe son goût pour un sens de la beauté héritée de Raphaël et d'Ingres.
Les néo-grecs avaient un intérêt pour l'antique, renouvelé par le désir de faire vrai en s'appuyant sur l'archéologie, prétexte à peindre des scènes de genre séduisantes et érotiques.
Le souci de théâtralisation s'observe également dans sa peinture orientaliste. Les sujets sont très colorés. Il accorde une grande place au décor et aux arts décoratifs, soucieux de réaliser des ambiances au plus proche de la réalité. Mais il prend une totale liberté avec ses sujets. Les scènes représentées sont improbables et de l'ordre du fantasme, de l'humour ou de l'imagination et reflètent assez les préjugés de son temps quant aux sujets de l'Empire ottoman : hommes féroces, femmes lascives.
Cet art de l’illusion du vrai, Jean-Léon Gérôme l’a appliqué en sculpture, qu’il a découverte sur le tard, vers 54 ans, fortune faite, qu’il a utilisée comme miroir de son œuvre entre peinture et sculpture. Par ses thèmes de peinture, tels que Dans l’atelier, Pygmalion et Galathée (1890, New-York, Metropolitan museum of arts), La fin de la séance (1886), sa peinture-manifeste Sculpturae vitam insuflat témoigne de sa volonté de ne pas se répéter et de se lancer dans la sculpture, à un âge où il n'a plus rien à prouver. En se donnant pour enjeu de faire une sculpture de la polychromie, il prend part à un débat en cours depuis sa jeunesse, sur la polychromie des œuvres antiques et défend l'idée peu suivie d'un sculpture de la polychromie. Une position audacieuse dont sa toile Tanagra, entend défendre la position en montrant une scène de l'antiquité située dans un atelier de figurines que l'artiste a toutes fait figurer en couleurs. On peut voir dans l'exposition, sa statue en marbre polychrome, du même nom que son tableau, Tanagra (1890, 154,7 x 56 x 57,3 cm Paris, Musée d’Orsay), ainsi qu'un plâtre peint, avant 1903, du nom de Corinthe, une de ses dernières œuvres. La mise en relation des toiles sur ces thèmes en provenance des États-Unis où Gérôme connut un succès qui ne s'est jamais démenti contrairement à l'accueil que l'on fit à sa peinture en France et en Europe, au cours du XXe siècle, avec ses œuvres sculptées, montrent sa capacité à se renouveler.
Pour en savoir plus
- Musée d'Orsay, Exposition : Jean-Léon
Gérôme, L'Histoire en spectacle , du 19 octobre 2010 au 23 janvier 2011
Musée d'Orsay, fermé le lundi.
1, rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris
Transports
Bus : 24, 63, 68, 69, 73,83, 84, 94
Métro : ligne 12, station Solférino
RER : ligne C, station Musée d'Orsay
Taxis : rue de Solférino et quai Anatole-France
Parcs de stationnement : Deligny, Louvre, Montalembert
Station Vélib' : n°7007, 62 rue de Lille
Catalogue de l'exposition, Jean-Léon
Gérôme, L'Histoire en spectacle
Article de la Revue Art Absolument (n°38) : Jean-Léon Gérôme Musée d'Orsay