Les pastels ont une famille, une maison et quelques secrets de fabrication !

Reportage dans "la Maison du Pastel" à Paris, en compagnie de Pierre-Edouard, de l’Académie des beaux-arts
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

La Maison du Pastel est à la fois un lieu de mémoire, un laboratoire et un refuge pour les artistes pastellistes. Depuis 1720, on y fabrique et on y vend des pastels uniques au monde, résultats d’un savoir-faire bien gardé et d’une énergie familiale sans cesse renouvelée. Canal Académie vous convie à la découverte de cette histoire, en compagnie d’Isabelle Roché, qui a repris les clés de la Maison il y a onze ans, et du sculpteur Pierre-Edouard.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : carr785
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La Maison du Pastel est un conservatoire des traditions situé en plein cœur de Paris. La magie du lieu opère encore et toujours, avec ses calligraphies, ses boîtes et son mobilier d’époque. Des artistes du monde entier y sont venus s'approvisionner en pastel. L'artiste anglo-français Paul Maze, assez renommé sur la scène artistique parisienne à partir de 1918 et connu pour avoir enseigné la peinture à Churchill, visitant la boutique de la Maison du Pastel en 1932, conduit par Vuillard, décrivit sa visite comme ayant été « amené par Dieu à rencontrer Dieu ! ». Le décor n'a pas changé, quand on pousse aujourd'hui la porte de cette « maison » qui a su se préserver des travers de notre société de consommation.

Sélection de coffrets de pastels
© Maison du Pastel



La Maison du Pastel n’a pas toujours occupé les locaux de la rue Rambuteau, mais elle est établie dans le Marais depuis 1766. Le premier atelier de ce qui devint par la suite la Maison du Pastel était implanté à Versailles au début du XVIIIe siècle, le grand siècle du pastel, et en particulier du portrait, alors très en vogue à cette époque.

C’est le temps de la Vénitienne Rosalba Carriera qui, de passage à Paris en 1720-1721, rencontra un franc succès avec ses portraits au pastel. Mais s’il ne fallait citer qu’un nom, ce serait celui de Maurice Quentin de la Tour (1704-1788), qui s’imposa comme le maître du genre. Ses tableaux, souligne Isabelle Roché, l'actuelle gardienne de ce temple, gardent la même fraîcheur qu’à l’origine. Le pastel a ceci de particulier qu’il parvient à rendre le grain de la peau et demeure donc une technique idéale pour le portrait.

Isabelle Roché préparant la recette du pastel
© Maison du Pastel


Isabelle Roché, ingénieur de formation, préside aujourd'hui aux destinées de cette auguste maison. Elle est la petite cousine des sœurs Roché, qui ont dirigé pendant de longues années l'atelier et la boutique. Elles avaient succédé à leur frère Henri, médecin de son état, qui avait lui-même succédé à son père, prénommé Henri lui aussi, à la tête de l’entreprise familiale. Depuis près de 150 ans, le destin de la Maison du Pastel est donc étroitement lié à celui de la famille Roché.

Ancien élève de Pasteur, Henri Roché « Ier » se prit de passion pour le pastel par l’intermédiaire de son maître, qui pratiquait lui-même cet art et l’introduisit dans le milieu. Il le présenta en particulier à un artisan de la Maison Macle, ancêtre de la Maison du Pastel, spécialisée dans la fabrication des pastels. Abandonnant sa pharmacie, Henri Roché racheta la Maison Macle et travailla alors en étroite collaboration avec l’artisan aux multiples secrets de fabrication. Henri Roché fils, médecin, s’associa aux travaux de recherche entrepris par son père et, en 1925, prit sa succession.

Découpe des pastels au massicot
© Maison du Pastel


Il existe plusieurs types de pastels. Les pastels durs, demi-durs et tendres. La Maison du Pastel fabrique exclusivement des pastels secs, considérés comme les meilleurs, grâce à leur qualité dont les secrets de fabrication sont bien gardés et se transmettent au sein de la famille Roché de génération en génération. Celles-ci maintiennent le choix d'une fabrication artisanale : un choix audacieux par les temps qui courent. Ils ne sont plus que deux fabricants en France à faire des pastels à la main, précise Isabelle Roché. La fabrication de bâtonnet de pastel réclame des pigments de poudre (pour la couleur), auxquels on ajoute du liant permettant à cette poudre de tenir sous la forme d’un bâtonnet. Pour le blanc, on utilise des charges, c’est-à-dire des argiles, qui permettent d’obtenir différents tons d’une même nuance.

Collection de 1930
© Maison du Pastel


Le secret de fabrication du pastel réside dans le liant, particulier à chaque artisan ; sachant que la base, c'est-à-dire les pigments, est la même partout. Aux yeux des connaisseurs artistes ou collectionneurs, le véritable pastel est le pastel sec en raison de sa texture, car il offre une couleur pure, cependant que le pastel gras (à base de cire), plus répandu commercialement, modifie la couleur. Il est d’ailleurs beaucoup plus récent. De plus, explique le sculpteur Pierre-Edouard, la lumière rentre dans le pastel sec. Elle ne luit pas comme la peinture à huile. Le pastel est selon lui « de la peinture », même si ça reste du dessin. Mais un dessin technique de dessinateur, pas un art d’amateurs.

Pâte à pastel après pressage
© Maison du Pastel


Cette fabrication traditionnelle a un coût. Ainsi, les pastels de la Maison de la rue Rambuteau sont cinq fois plus chers que ceux de l’industrie. La grande époque de la Maison du Pastel, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, se mesure à la profusion des nuances. De 150 nuances de pastels dans les années 1860, la Maison Roché en a proposé à la veille de la Seconde Guerre mondiale quelques 1650. En 1937, lors de l’Exposition internationale de Paris, le docteur Henri Roché obtint une médaille d’or pour sa collection de pastels. Quand Isabelle Roché a repris la Maison il y a 11 ans, il ne restait plus grand-chose de ces nuances. Mais son travail a fini par porter ses fruits : près de 600 nuances sont aujourd’hui proposées.

Poinçon "ROC" de la Maison Roché
© Maison du Pastel


La Maison du Pastel a eu pour clients des peintres aussi célèbres que Degas ou Redon. Isabelle Roché, qui s’inscrit résolument dans son temps tout en perpétuant une tradition vieille de trois siècles, attend beaucoup de la nouvelle génération de pastellistes et espère qu’un nouveau Degas redonnera ses lettres de noblesse au pastel. Pour l'heure, les grands pastellistes, Sam Szafran et Barbâtre, ne dessinent qu'avec eux. En attendant, une chose est sûre pour Pierre-Edouard, le pastel, qu'il a largement expérimenté plus jeune, est irremplaçable. C’est donc à ses yeux une technique et un art chargés d'avenir.

Logo de la Maison du Pastel
© Maison du Pastel




Pour en savoir plus

- Le site de la Maison du Pastel
- La société de pastellistes de France



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