L’œuvre ultime de Raoul Dufy : les cargos noirs

Une série animée par Jacques-Louis Binet, correspondant de l’Académie des beaux-arts
Avec Jacques-Louis Binet
Correspondant

Au soir de sa vie, le 7 mars 1953 à Forcalquier, Raoul Dufy peint une mer très sombre avec un gros paquebot noir surgissant d’un halo funèbre… symbole de la mort toute proche. Explications en compagnie de Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie de médecine et correspondant dans la section membres libres de l’Académie des beaux-arts.

« Pour une raison obscure, on a toujours voulu faire de Dufy un homme du plaisir » commence Jacques-Louis Binet. Car pour notre invité, si Raoul Dufy est certes un peintre qui n’aime pas le tragique, il demeure un artiste touché par une polyarthrite rhumatoïde invalidante avec laquelle il tente de vivre tant bien que mal. « Il a été un des premiers patients au monde traité par la cortisone. Le traitement en était à ses premiers essais. Cela ne l’a pas guéri, mais a prolongé sa vie dans des conditions acceptables. Il mourra cependant d’une hémorragie digestive, grande complication de la cortisone » rappelle Jacques-Louis Binet.

Raoul Dufy Les trois baigneuses, 1919
© Don de Mme Raoul Dufy, 1954 <br /> Musée des beaux-arts de Nancy

Raoul Dufy est très vite marqué par la couleur pure. « Il devient un seigneur de la couleur qu’il dépose en forme de bandes ; le plus souvent trois bandes verticales » précise-t-il.
A ses débuts, Dufy peint des paysages du sud, marqués par une certaine géométrie, puis se tourne petit à petit vers les mythes. Sa Grande baigneuse femme imposante prenant un bain sur une plage de Normandie deviendra dans le tableau suivant la déesse Amphitrite (petite fille de l'Océan) avec le port du Havre pour toile de fond. On remarque que déjà, les paquebots commencent à hanter les tableaux de Dufy.

Raoul Dufy, Amphitrite 1935



En 1937, le peintre se lance dans une grande création : La fresque de la fée électricité, réalisée en quatre mois dans le cadre de l’exposition universelle. Il fait appel à une centaine de peintres pour l’aider, dont son frère Jean. Le résultat est édifiant : une fresque de 10 mètres de haut pour 6 mètres de largeur [] représentant tous les âges de la connaissance, depuis l’homme préhistorique jusqu’aux savants contemporains. Les paysages sont dans les tonalités bleues et jaunes, couleurs de prédilection de l'artiste.

Raoul Dufy La Fée Électricité (partie gauche), 1937
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.



C’est à partir de cette année que les effets de la polyarthrite commencent à se faire ressentir, lui procurant des douleurs aux doigts. Mais il reste muet sur ses douleurs et poursuit son travail sans relâche. La couleur l’obsède. Il se fait constituer un médium pour une peinture plus fluide dont le résultat ressemble à l’aquarelle.
Le dessin se transforme. « Les vagues deviennent des points d’exclamation. La couleur se dissocie des formes ».
En 1952, un an avant sa mort, Dufy ressent le besoin de mettre l'accent sur la génération à venir. « Il remporte cette années là biennale de Venise, mais décide de partager le prix à deux jeunes peintres ».
Et très vite, les cargos qui apparaissaient jusqu’alors ponctuellement dans ses toiles, s’invitent systématiquement dans sa dernière année de travail. Jacques-Louis Binet remarque que ces cargos qui partaient le plus souvent, glorieux au début de ses toiles, rentrent au port, noirs, comme le signe du crépuscule de sa vie.
C’est dans La plage de Sainte-Adresseque l’on voit arriver le premier cargo noir, avant que ceux-ci n’envahissent toute sa production. Il n’en peindra pas moins de 22 avant sa mort en 1953.

Raoul Dufy Le Cargo noir, 1950
Centre Georges Pompidou.
Raoul Dufy, Le Cargo noir, 1952
Musée des Beaux-Arts, Lyon



La légende veut que le peintre connu pour ses toiles lumineuses, ait demandé « qui a éteint la lumière ? » au moment de mourir.

En savoir plus :

Consultez la série d'émissions consacrée à L’œuvre ultime dans l'art

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