Objet d’art : Du tabouret à la duchesse, quand l’art de s’asseoir était codifié

Avec Bertrand Galimard Flavigny

Si le tabouret joua un grand rôle à la cour de Louis XIV, il fut aussi le prétexte d’une guerre... celle des tabourets justement, relatée par Saint-Simon. Les Duchesses se battaient et la duchesse devint un siège avec de bien curieuses formes. Elle demeure aujourd’hui un objet d’art présenté ici par Bertrand Galimard Flavigny qui se plait à relater ces histoires de sièges... que l’on doit écouter confortablement installé !

Émission proposée par : Bertrand Galimard Flavigny
Référence : carr611
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Il y avait les bancs et les chaises, puis les fauteuils, sans oublier les tabourets. Un siège cher aux duchesses. Certaines se battirent pour en obtenir un, afin de s’asseoir en présence de la reine. Demeurer debout, tandis que d’autres, des cousines parfois, étaient assises, était intolérable. Le duc de Saint-Simon se fit un plaisir de raconter la « guerre des tabourets ». Celle-là fut provoquée par Mme de Chevreuse qui s’asseyait, sans façon, devant la reine Anne d’Autriche, au Val de Grâce, ainsi que de temps à autres, sa belle-sœur, Mme de Guéméné. Or cette dernière devait demeurer debout au Palais Royal : « …elle ne voyoit point de différence entre le Val-de-Grâce et le Palais-Royal, ni pourquoi sa belle-sœur, assise devant toute là cour de la reine en un lieu, elle seroit debout en un autre… » Mme de Chevreuse réussit ainsi à « arracher le tabouret en plein partout pour la princesse de Guéméné ». Le tabouret joua un grand rôle à la cour de Louis XIV, ambassadeurs et courtisans n’ignoraient pas que le droit au fauteuil, à la « chaise à dos » ou au tabouret était strictement codifié.

Une chaise longue avec dossier

Est-ce pour cette raison que l’on appela certaines chaises longues, «des duchesses» ? Nous avons vu une duchesse en bateau en bois naturel (hauteur : 100 cm – Longueur : 194 cm – Profondeur : 81 cm) d’époque Louis XV. Celle-là a ceci de particulier qu’elle est sculptée de bouquets de fleurs et feuillages sur des traverses fortement moulurées et chantournées entre huit pieds cambrés terminés par des petits enroulements. Les traverses hautes des grands et petits dossiers sont sculptées d’agrafes et bouquets de fleurs.

Les ouvrages de référence, préfèrent la formulation de « duchesse non brisée, en gondole » pour désigner ce type de siège. Il se définit ainsi : « Chaise-longue comportant en face du dossier un « dossier » plus bas, éventuellement à retours, ou un deuxième dossier de même hauteur, également parfois à retours. Ce dossier bas est parfois amovible. Ce peut être un siège confortable ».

Du fauteuil, de la bergère, de la marquise et de la duchesse

Selon Françoise Deflassieux, les sièges, au XVIIIe siècle, donnèrent lieu à un délire d’imagination. A côté du plus classique fauteuil « à la reine », à assise large, dossier plat et garniture à châssis, apparut un ensemble de sièges qui allait du cabriolet un petit fauteuil étroit à dossier incurvé, à la bergère, en passant par les marquises et les duchesses (1). Ce dernier terme apparut dans le Dictionnaire de Trévoux, mais on ne le rencontra dans une vente qu’en 1750 et ainsi défini « Les chaises-longues prennent le nom de duchesses lorsque leur siège passe 5 pieds de longueur, et qu’on y fait à l’autre bout un espèce de petit dossier de 12 à 15 pouces de hauteur. » Nous ignorons si cette « duchesse à fond de canne » que nous avons sous les yeux correspond à ces critères, toujours est-il que si le haut dossier est bien droit, elle est munie d’un bout-de-pied fortement mouvementé. D’époque Régence, elle est en bois sculpté et doré, d’acanthes, de cuirs, de fleurettes ; les réserves sont en croisillon, et la vannerie est simulée. Elle repose sur six pieds cambrés à enroulement. Pour couronner le tout, sa garniture est en moquette de soie à motif de fourrure de tigre de la maison Le Manach. Une fourrure qui aurait peut-être ravi une authentique duchesse, mais serait davantage dans le goût des années vingt.

Quand bergère et tabouret se rencontrent...

Revenons aux sièges, la duchesse devient brisé lorsque le siège est divisé en deux parties égales et constitué soit de deux fauteuils à fond allongé, soit d’un fauteuil à dossier normal et à fond normal ou allongé et d’un fauteuil à dossier très bas et siège allongé ou très allongé, le fauteuil bout de pied. Ce fauteuil « bout de pied », séparé de l’ensemble, ressemble bigrement à un tabouret. Nous y voilà. La duchesse brisée serait en fait formée d’une bergère et d’un tabouret. Il arrive que l’on découvre dans des catalogues des Tabourest de pied. Tout seuls ! Sans duchesse, et nous pouvons dire qu’aucune duchesse ne s’est assise dessus.

Duchesse de Malborough avec son fils
Giovanni Boldini<br /> 1906, Metropolitan Museum New-York



La duchesse aux belles formes

Les duchesses, les sièges naturellement, appartiennent à une grande famille. Le tome consacré au Mobilier domestique de L’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France (2) énumère une douzaine de formes différentes : la duchesse brisée en trois ; la duchesse ne présentant qu’un accotoir ; la duchesse à rampe dont les deux dossiers sont joints par un accotoir prolongé (horizontalement) ; la duchesse dont le fauteuil est une guérite ; la duchesse crapaud, pompadour, anglaise concave, lambrequin, et même bébé ! Quoiqu’il en soit les spécialistes assurent que « ce peut être un siège confortable ».

Texte de Bertrand Galimard Flavigny

(1) Guide des meubles de style, Solar, 2004.
(2) Imprimerie nationale, 1987.

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