Objet d’art : un bureau plat de Boulle
A leur placage d’étain et d’écaille, à leur décor de rinceaux feuillagés et fleuris, à leurs bronzes dorés, on reconnaît ou l’on croit reconnaître les oeuvres de Boulle ! Est-ce si sûr ? Elles sont décrites par Bertrand Galimard Flavigny dans cette émission. L’expression : « c’est un Boulle ! » se dévoile ainsi au grand jour...
On les reconnaît, du moins, on pense les reconnaître, car ils sont recouverts partie d’étain et d’écaille et leur décor sont faits de rinceaux feuillagés et fleuris, sans oublier les bronzes ajoutés. L’expression : « c’est un Boulle ! » laisse croire que celui qui s’est ainsi exclamé, est un connaisseur. Rien n’est moins sûr pourtant, car Charles Boulle (1642-1732) eut des suiveurs notamment ses quatre fils Jean Philippe (1680 1744), Pierre Benoît (1683 1741), André Charles II (1685 1745) et Charles Joseph (1688 1745), sans compter les imitateurs.
Que sait-on de Charles Boulle ?
Les grands artisans sont de tous les grands hommes ceux dont la vie est le moins connue, écrivait Charles Asselineau (1820-1874), auteur d’une biographie consacré à cet « ébéniste de Louis XIV » dont la troisième édition parut en 1872. « Leur humble naissance, les lenteurs de l'apprentissage, l'obscurité du milieu où ils se meuvent les dérobent aux recherches de l'historien, et à moins qu'ils n'aient laissé des mémoires comme Palissy, ou qu'ils ne deviennent académiciens comme Bréguet, ils courent grand risque de passer pour fabuleux. C'est ce qui est arrivé à l'ébéniste Boulle, dont il y a peu d'années encore, malgré le goût croissant pour les objets d'art et de curiosité, le nom était pris pour un substantif. On disait : meubles de boule, comme on eût dit : meubles d'acajou ou de palissandre, et dernièrement encore, un romancier à la mode, décrivant les splendeurs d'un hôtel magnifique, y plaçait des meubles - en bois de boule. »
Toujours est-il que l’un d’eux, un bureau plat rectangulaire qui lui est attribué a été adjugé 210.000 €, à Drouot, le lundi 8 décembre 2008 par la svv Joron-Derem, présenté par Jean-Paul Fabre et le Cabinet Franc Saint Salvy. Ce meuble est en bois plaqué d'ébène en seconde partie d'étain et d'écaille, à décor de rinceaux feuillagés et fleuris. Il ouvre par trois tiroirs en ceinture dont le central en décroché. Il repose sur quatre pieds cambrés à sections triangulaires marquetés toutes faces. On remarque des ornements de bronze ciselé et doré tel représentant les masques d'Héraclite sur le tiroir central et de Dionysos sur les tiroirs latéraux. Les côtés sont centrés d'un large bronze à figure féminine couronnée et encadrée de feuilles d'acanthe ornées de perles. Les pieds sont sommés de masques de satyres dont la barbe enroulée marque la naissance de l'arrête des pieds. Les sabots de bronze sont en deux parties. Le plateau rectangulaire est centré d'un cuir doré au petit fer et encadré d'une marqueterie de cuivre et d'écaille. Il est ceinturé d'une lingotière sans écoinçon. Voilà pour la description qui ne peut laisser insensible tout amateur.
On connaît au moins sept bureaux du même type, dans les collections publiques, et présentés en vente aux enchères, tous attribués à Charles Boulle, car il ne signait pas ses productions. Lequel est celui payé cinquante mille livres par le fameux banquier Samuel Bernard, et que l'on croit perdu ? Boulle était le fils d’un ébéniste. Reçu Maître en 1665, il intégra la Manufacture des Gobelins en qualité de décorateur et sculpteur sur bois, ce qui lui permit de compenser son goût pour la peinture que son père lui avait refusé d’exercer. Il ouvrit en 1664 son premier atelier à proximité de Saint Germain des Prés qu'il conservera jusqu'en 1676. Son atelier comptait trente six artisans plus ses quatre fils et lui-même. Nommé premier ébéniste de la maison du Roi, par un brevet qui le qualifia à la fois architecte, sculpteur et graveur, il put s’installer, dès 1672, comme bon nombre d’autres artisans, dans les galeries du Louvre. Sa clientèle dépassa largement le cadre de la Couronne. On sait qu’il reçut des commandes du Grand Condé, du roi d’Espagne, des électeurs de Bavière et de Cologne, des ducs de Lorraine et de Savoie, et toute une clientèle privée et fortunée.
L’homme aimait l’art sous toutes ses formes, et d’une manière immodérée ; cette qualité ou ce travers, comme l’on voudra, lui coûtera sa fortune, malgré des revenus importants, et mettra en péril son atelier. Il fut sauvé de la faillite grâce à l'intervention personnelle du Roi. S’il sauva son atelier, il n’en fut pas de même pour ses collections dont une grande partie disparut au cours d’un incendie provoqué le 30 août 1720 par une vengeance qui s’était trompée d’adresse. « On fit de ce qui resta une vente publique qui dura fort longtemps », rapporte Asselineau. «On regrette surtout, dit Mariette, un magnifique recueil de dessins d'habits de théâtre de La Belle (della Bella) ; un manuscrit de Rubens, dont M. de Piles a beaucoup parlé ; un recueil de cent portraits de Van Dick, où toutes les épreuves étaient retouchées de la main de cet habile peintre, etc.»
Boulle mourut le 29 février 1732, dans son logement du Louvre, âgé de quatre-vingt-neuf ans et quatre mois. Il fut inhumé à Saint-Germain l'Auxerrois.
Sa marque, reconnaissable, c'est-à-dire les placages d'écaille de tortue ou de corne sont, combinés à du métal, souvent du laiton ou de l'étain, bien qu’on l’appelle « marqueterie Boulle », n’est pas de son invention. Elle provient de Florence et d’Augsbourg.