Pourquoi les korès de l’Acropole sourient-elles ?
Les Korès, sculptures de jeunes filles de la Grèce antique, éclairent l’Acropole d’Athènes de leur sourire. Sur le thème « Sourires d’Europe et d’Asie », l’Académie des inscriptions et belles-lettres et la Société asiatique ont organisé une journée d’études. Alain Pasquier, correspondant de cette Académie, hélléniste et historien d’art, explique la spécificité de ce sourire de l’art archaïque grec.
Alain Pasquier, correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres où il a été nommé le 7 novembre 2003, est conservateur général honoraire du patrimoine. Il a longtemps été, au Louvre, chargé du département des antiquités grecques, étrusques et romaines. Il est donc à la fois historien de l’art et hélléniste, spécialiste de sculpture et de céramique grecques.
Le 15 janvier 2010, il a donné une communication devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres, intitulée « Pourquoi les Korès de l’Acropole sourient-elles ? »
Reprenons la définition du Dictionnaire de l'Académie : *KORÊ ou KORÉ n. f. XXe siècle. Emprunté du grec korê, « jeune fille ».
Statue de l'art grec archaïque représentant une jeune fille debout (on trouve aussi Corê ou Coré).
En accord avec notre invité, nous écrirons ici le mot Korè de la manière qui respecte sans doute le mieux la prononciation grecque.
Dans cette émission, nous le suivons jusqu'à Athènes, sur l’Acropole (ou plus exactement dans le nouveau musée où sont désormais les statues originales des Korès) en l'écoutant évoquer le sourire de ces gracieuses jeunes filles exhumées de terre, seulement dans les vingt dernières années du XIXe siècle, c’est-à-dire vers 1880, par les archéologues grecs.
On parle d’un « sourire archaïque » car ce sourire, ainsi que le démontre Alain Pasquier, spécifique aux artistes de l’Hellade du VIe siècle avant J.-C., n'apparaît que durant l'archaïsme. Car ce sourire est bien plus qu'un simple mouvement labial.
Bien sûr, beaucoup d'autres statues de la Grèce sourient ; les Korès n’ont pas de monopole du sourire… d’autres sculptures féminines et même masculines (les Kouros) offrent un sourire, des êtres fabuleux aussi, tels des sphinx. Mais celui des Korès est de loin, le plus gracieux et il est omniprésent sur les visages archaïques.
On peut d'ailleurs faire remonter les tout premiers mouvements du visage souriant dans la statuaire grecque, les premières lueurs... jusqu'au VIIe siècle av. J.-C. On en trouve en Crète, à Sparte, à Tarente. Certes l’art grec, comme tout art, a certainement subi des influences, s’est enrichi, a été fécondé d’influences diverses, notamment égyptiennes. Cependant, dit Alain Pasquier, « il ne me semble pas que l'on puisse réduire l'éclat du sourire du marbre cycladique à l'imitation de ces sourires saïtes plutôt réservés, où le traitement des commissures est par ailleurs bien différent. »
- Ainsi, au-delà des influences, « l’abondance, la constance et l’intensité du sourire dans la plastique hellénique, tout au long du VIe siècle av. J.-C. font de ce trait un phénomène vraiment grec ». S'il s'affiche à Samos, en Ionie, dans l'île de Thasos, ce sourire n’est pas propre à la région d’Athènes : « le sourire n'est d'aucune province, explique notre invité, il appartient au cœur même de l'archaïsme grec ».
Un sourire pour rendre heureux
Ce qu'il importe de bien comprendre, et notre invité s'explique clairement sur ce point, c'est que ce sourire ne traduit pas un état psychologique, ni le bonheur ni la satisfaction. « Le sculpteur d'une korè archaïque n'a pas pour but de créer une forme humaine qui révèle un caractère ou un état psychologique, passager ou non. L'intériorité n'est pas ce qu'il veut exprimer. Ce qu'il désire, c'est faire que l'objet qu'il crée à l'image d'une jeune fille ait l'aspect extérieur le plus agréable à contempler. Il ne cherche pas à sculpter une jeune fille heureuse mais à rendre heureux celles et ceux, dieux ou mortels, qui regardent la jeune fille de marbre que son ciseau a créée ». Comme l'aurait dit André Malraux, c'est un sourire « qui s'adresse à celui qui le regarde » (in Les voix du silence).
- Finalement, pourquoi ces Korès sourient-elles ? Pour « faire voir en vie et en beau » : c'est le sens du mot Agalma, qui, en grec, désigne les statues, les objets dont on se pare ou dont on s'enorgueillit, destinés à faire plaisir ou à honorer (définition du Dictionnaire Bailly). Parce que la beauté honore les dieux et fait plaisir aux hommes.