Rencontre avec Muriel Mayette, administrateur de la Comédie-Française
À un an de la fin de son premier mandat à la tête de la Comédie-Française, Muriel Mayette est l’invitée de Jacques Paugam pour faire le point sur son activité et ses ambitions à la tête du premier théâtre de France. La comédienne et metteur en scène endosse avec caractère et audace ce poste-clé de la culture française auquel elle avait été, en 2006, propulsée à la stupéfaction générale.
Un coup de théâtre. La nomination « par surprise », en 2006, d’une femme au poste d’administrateur de la Comédie-Française (une première en trois siècles), de surcroît jeune et issue de la troupe, avait fait crisser beaucoup de mâchoires ! Choqué par l’éviction brutale de son prédécesseur Marcel Bozonnet, pourtant candidat à sa propre succession, le monde du théâtre et de la critique avait fait pleuvoir les attaques sur celle qui venait de se voir offrir la trente-neuvième place de la hiérarchie protocolaire de l’État.
Mais pas de quoi doucher l’enthousiasme ni l’audace de Muriel Mayette. La 477e sociétaire de la Comédie-Française ne connaît pas le profil bas et n’a pas été placée sur le devant de la scène pour faire de la figuration. « Si on ne met pas tout son cœur et toute son énergie pour proposer des réponses, ce n’est pas la peine d’endosser des responsabilités », dit-elle à Jacques Paugam. « J’ai été parfois blessée par une polémique qui n’avait pas grand intérêt, mais ça ne m’a pas empêchée de travailler ».
Rentrée à la Comédie-Française à 21 ans, Muriel Mayette est une femme de plateau, et a pour elle cette légitimité d’avoir grandi avec les acteurs et à travers les auteurs. « C’est ma grande force », avoue-t-elle. Artiste avant d’être administratrice, elle a dû apprendre à gérer une grosse machine et une équipe hétérogène : en plus de la troupe de soixante-huit comédiens, quatre cents salariés représentent vingt-deux métiers, des artisans aux administratifs.
« Le théâtre est un travail d’équipe. Je dirige cette maison comme un metteur en scène et le plus important est de partager ma passion avec eux ; s’ils sentent que le projet que l’on essaie de défendre les magnifie, tout le monde va dans le même sens. Il faut que chacun se sente responsable de la petite pierre qu’il ajoute à la pyramide, et pour cela il n’y a que ma passion et mon énergie ; je n’ai pas perdu une miette de cœur depuis que je suis administratrice de cette maison », déclare-t-elle.
Métissage et alternance
Et la « maison de Molière » (que Molière n’a jamais connue) a vu ses ambitions renouvelées, notamment sur le plan international. Muriel Mayette croit, et c’est là la ligne directrice de son travail, que la Comédie-Française a une responsabilité politique dans l’accompagnement du discours international de notre pays, ce qui passe par une visibilité retrouvée. Muriel Mayette entend bien pour ce faire multiplier les tournées à l’étranger, et est attachée à faire rentrer plus de grands classiques européens dans le Répertoire de la Comédie-Française, elle qui après s’être attaquée à Shakespeare en 2004 a adapté cette année le spectacle de Dario Fo Mystère Bouffe.
Un auteur contemporain, car « c’est très important, quand on a pour mission de donner un corps au répertoire classique, de penser à celui de demain » et de considérer ce que la modernité peut apporter à la tradition. La Comédie-Française a une obligation d’excellence en tant que premier théâtre de France, mais a aussi le devoir de proposer un éventail touchant tous les publics, abonnés et novices, en métissant les réponses esthétiques : c’est pourquoi le menu de ce début d’année propose aussi bien Aristophane que Tchekhov, aussi bien Musset que Pierre Desproges…
Muriel Mayette est bien sûr fascinée par les figures quasi-légendaires de l’institution comme Talma, Mademoiselle Mars, Mademoiselle Rachel, ou des monstres sacrés plus proches de nous comme Aumont, Duchossoy, Piat, Hirch ou Marielle, mais ne croit pas au déclin de la Comédie-Française. Pour elle, c’est la responsabilité des médias que d’avoir oublié trop longtemps les comédiens actuels, et on assiste d’ailleurs aujourd’hui à un retour progressif vers les acteurs de théâtre.
Au service de la troupe
Le pari de la Comédie-Française, par le biais même de sa devise « Simul et singulis », est le choix d’une certaine pratique du métier de la scène : chaque comédien doit accepter que la vraie star soit la troupe, pas l’individu. La passion, subie et impérieuse, celle-là même qui s’est abattue sur Muriel Mayette à l’âge de 14 ans, reprend au passage une partie de son acception religieuse, celle de la souffrance et du sacrifice. « On ne grandit qu’en jouant, qu’en pratiquant ce métier à travers différentes écritures, en jouant même quand on n’a plus envie de jouer, malgré la fatigue ; dans la pratique des arts, il y a une forme d’ascèse obligatoire ». Car c’est la passion qui rend la vie passionnante, et qui la nourrit en la dévorant.
L’excellence constamment visée par la Comédie-Française rassemble saison après saison un public que la crise n’a jamais entamé et, avec ses 25 000 abonnés, de plus en plus fidèle. Trop fidèle peut-être. Trop sage, trop révérencieux. Le temps des broncas est révolu. Muriel Mayette ne se définit pas comme une provocatrice, mais est au bord de déplorer : « Il y a longtemps qu’on n’a pas eu de grand scandale. Regardez dans la société, c’est un peu ce qui se passe aussi, on ne réagit pas beaucoup. On se plaint un peu par derrière… Mais dire "Je ne suis pas d’accord", c’est donner la possibilité à l’autre de répondre, et c’est une façon de s’engager. »
Muriel Mayette savoure les succès sans étouffer les couacs, mais ne souhaite pas encore se retourner sur son travail, elle qui avoue qu’elle aimerait bien rempiler pour terminer le chantier. « Ce n’est pas l’heure des bilans. Je travaille, et j’ai une équipe extrêmement performante autour de moi, à commencer par la troupe. Je le dis sans forfanterie, peut-être que ma grande victoire c’est la solidarité de cette équipe ».
La magie du théâtre ?
Pour Muriel Mayette, le théâtre, par la dimension poétique et surréaliste de l’interprétation, est finalement « un des seuls endroits où l’homme a une chance de se voir lui-même ». Il existe entre la scène et le public un rapport archaïque, indépassable, qui ne sera mis en danger par aucun autre média.
« Dans ce temps qui nous est imparti sur la Terre, autant qu’il nous soit riche et qu’il nous fasse voyager dans l’imaginaire, et le théâtre contribue beaucoup à ce que ce voyage soit intéressant ; l’imaginaire est une dimension à ne pas négliger, pour réfléchir, se comprendre et vivre plus intensément les émotions que l’on ressent, pour avoir le courage de les aborder ».
En savoir plus :
Muriel Mayette, comédienne, metteur en scène et professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, est rentrée à la Comédie-Française en 1985, où elle est devenue sociétaire dès l’âge de 23 ans. Sa carrière d’actrice, mise entre parenthèses depuis sa nomination, s’est notamment distinguée par des rôles dans Huis Clos (Sartre), Les Bonnes (Genet) ou encore L’Avare (Molière).
Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres, elle a également à ce jour réalisé huit mises en scène. Nommée administrateur général de la Comédie-Française en août 2006, elle est la première femme à occuper la tête de cette institution tricentenaire.
Mises en scène :
- Clitandre (Pierre Corneille), 1996
- Chat en poche (Georges Feydeau), 1998
- Une Douche écossaise (Philippe Collas et Éric Villedary), 1998
- Le Conte d'hiver (William Shakespeare), 2004
- Le Retour au désert (Bernard-Marie Koltès), 2007
- Soirée René Char, 2007
- La Dispute (Marivaux), 2009
- Mystère Bouffe et fabulages (Dario Fo), 2010
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