Singes et Dragons au Musée Condé de Chantilly : l’engouement français pour les arts de l’Asie, à la recherche de l’or blanc
Le prince de Condé, entrepreneur et mécène, propriétaire du château de Chantilly se passionna pour les objets d’art venus d’Extrême-Orient. Il constitua une exceptionnelle collection d’objets précieux et chercha le secret de l’or blanc dans les soubassements du château, celui de la porcelaine que seuls le Japon et la Chine possédaient. L’histoire de ce goût pour l’exotisme au XVIIIe siècle présenté par Nicole Garnier, dans le cadre de l’exposition Singes et dragons, la Chine et le Japon à Chantilly au XVIIIe.
La compagnie des Indes introduit en Europe par voie d’eau des objets venus de Chine et du Japon : meubles en laque, « indiennes », tissus de toute sorte et de porcelaines qu’elle diffuse en Europe à partir de la Hollande. Au XVIIIe siècle, « l’or blanc », c’est-à-dire la porcelaine, fait rêver les Européens. La France connaît alors un véritable engouement pour ces objets d’art précieux. La plupart des princes de l’entourage royal en acquièrent pour leur collection personnelle. C’est le cas du duc d’Orléans à Saint-Cloud, de Louis-Henri de Bourbon, prince de Condé (1692-1740), propriétaire de Chantilly.
Passionné par cet art venu d’ailleurs, le duc de Bourbon va jusqu’à fonder des manufactures pour créer des pièces tout à fait comparables, cherchant à découvrir le procédé de fabrication de la porcelaine, celui de la laque d’or et à imiter ces objets exotiques. Sa production est une des premières de France. On le sait grâce à l’inventaire après-décès du duc de Bourbon. Des trésors, tels que des cabarets précieux en laque de Chine et du Japon, des indiennes, des broderies rares, ornent à profusion les salons du château. La grande rareté de ces objets fait leur préciosité exceptionnelle que seuls les puissants du Royaume peuvent acquérir. Le roi Louis XV commande en 1739 pour sa collection par exemple, une paire de seaux à rafraîchir qui porte ses armes. Ce genre de pièces fabriquées en Asie pour servir en Europe, reprennent des formes utiles aux manières de table des royaumes d’Occident. A l’époque ces seaux servaient à rafraîchir les bouteilles pour les vins qu’on se devait de boire très frais selon la coutume en vogue. Le Japon conçoit donc des objets spécifiques pour un usage en Europe. Des assiettes, des couverts aux manches de porcelaine sont ainsi produits pour satisfaire les commandes, des objets totalement inexistants dans les usages d’Asie où baguettes et bols sont utilisés.
Entrepreneur, le duc fait construire un laboratoire pour percer le secret de l’or blanc, détenu par les Chinois et les Japonais. Dans les soubassements de son château, il fait aménager un endroit baptisé « l’Hôtel de Péquin » conformément à l’orthographe de l’inventaire après-décès, où il fait venir des chimistes et des artisans comme le porcelainier Cicaire Cirou pour éviter ses importations si coûteuses. Il n’y a jamais eu de vraie porcelaine à Chantilly car on n’utilise pas encore de kaolin, cette argile blanche qui permet d’avoir des parois dures, sonores et translucides qui font la réputation de la porcelaine. On parle pour celle de Chantilly, de « porcelaine tendre », un matériau plus opaque avec une pâte légèrement jaunâtre, couverte d’un enduit blanc qui imite la porcelaine. Rayable sous la pointe d’un couteau, on la qualifie de porcelaine tendre. Elle est produite de 1735 à la Révolution, dans des manufactures achetées par Cicaire Cirou ayant obtenu du duc, le privilège d’en fabriquer dans une rue de la ville baptisée « rue du Japon », aujourd’hui « rue de la machine » (du nom la fameuse machine construite par Jacques de Manse qui monte les eaux de la rivière Nonette pour alimenter les fontaines et bassins du château). La production décline assez rapidement suite à la découverte en 1766 d’un gisement de porcelaine, près de Limoges, utilisé par les manufactures royales de Vincennes et de Sèvres entraînant le déclin des manufactures de porcelaine tendre de Chantilly.
Le duc faisait copier par des artisans français les porcelaines de sa collection japonaise de « Kakiemon ».
Pour illustrer l’activité de la manufacture de laque créée à l’initiative du prince de Condé et plutôt réservée à son usage personnel, l’exposition présente un coffre de laque d’or, au décor de poules et coqs, actuellement conservé au musée Condé du Château de Chantilly : une très belle pièce de près de 2 mètres de long.
La manufacture d’indiennes, la troisième créée par le duc n’a pas pour but de vendre la production en raison de l’interdiction de fabrication qui pèse alors sur la fabrique de toiles peintes entre 1686 et 1759. Appartenant aux grands du royaume, probablement intouchable, le duc diffusait cette production rare auprès de ses proches et pour lui-même malgré la prohibition de l’indiennage qui prescrivait normalement la destruction des moules à imprimer.
Jean-Antoine Fraisse, peintre en toile (1680-1739), responsable de la manufacture d’indiennes, fournit aux porcelainiers de Chantilly les motifs à reproduire. Il grave sur bois ces motifs selon la technique habituelle des peintres sur étoffe de son temps. Il grave aussi en taille-douce sur cuivre, une soixantaine de planches de très grandes dimensions (3 mètres de long pour certaines sur 2 mètres de haut), en vue de la réalisation d’un livre précieux, intitulé Livre des Desseins chinois, probablement réalisées à la demande du duc de Bourbon en 1735.
L’exposition « Singes et dragons. La Chine et le Japon à Chantilly au XVIIIe siècle » présente deux exemplaires enluminés de cet album, l’un conservé au château de Chantilly et l’autre faisant l’objet exceptionnel d’un prêt de la Bibliothèque de France. Les Editions Monelle Hayot ont édité le fac-similé de cet ouvrage rarissime, réalisé à 13 exemplaires seulement, en son temps, dont trois exemplaires rehaussés de couleurs passées au pinceau, dans la collection Les inédits de Chantilly. Motifs floraux et scènes asiatiques, parfois improbables, comme une scène de repas où les personnages sont assis sur des chaises autour d’une table haute, parsèment l’ouvrage qui présente aussi l’histoire des trois manufactures du duc de Bourbon et les dernières restaurations menées au château.
En parallèle à l’exposition Singes et Dragons, la Petite Singerie est en cours de restauration grâce au mécénat du Groupe Panhard Développement et les visiteurs peuvent venir admirer la grande singerie du château de Chantilly. Une antichambre que le duc de Bourbon avait fait peindre par Christophe Huet en 1737 qui présente des personnages chinois, des animaux exotiques importés de Chine, et le duc de Bourbon sous les traits d’un singe se livrant aux plaisirs de la chasse à courre ou partant à la guerre. Le singe est son animal fétiche.
Pour clore le parcours de l’exposition, une pièce de soie brodée de près de 8 mètres de long et 2 de haut, acquise par le duc d’Aumale met un point final poétique à ce voyage dans le temps où l’Europe copiait l’Asie. Quarante et un dragons vous saluent, armés de cinq griffes symbolisant la puissance impériale en jouant avec une perle qui dynamise cette tenture cosmique, qui servait à l’un des palanquins de l’empereur de Chine.
Pour en savoir plus
- Exposition jusqu'au 2 janvier 2011 : Singes et dragons, la Chine et le Japon à Chantilly au XVIIIe
- Musée Condé de Chantilly
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h00 à 18h00
Horaires de basse saison (après le 1er novembre 2011) :
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h30 à 17h00
Tarif : 13€ (adultes)
Site gratuit pour tout enfant accompagné d’un adulte
Renseignements :
Tel.: 03 44 27 31 80
Site internet: www.domainedechantilly.com
Chantilly est à moins d’une heure de Paris et à vingt minutes de l’aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle ; autoroute : A1, sortie n°7 Chantilly en venant de Paris ; A1, sortie n°8 Senlis en venant de Lille, A16, sortie Champagne-sur-Oise ; train et RER : Gare du Nord SNCF Grandes lignes (25 minutes) ou Châtelet les Halles RER ligne D (45 minutes) (arrêt : Chantilly-Gouvieux).
- Livre de desseins chinois, d’après les originaux de Perse, des Inde, de la Chine et du Japon. Modèles de Jean-Antoine Fraisse pour les manufactures du duc de Bourbon , Editions Monelle Hayot, collection Les inédits de Chantilly, 2011