Chopin vu par Chopin : ses amours et sa relation avec les autres musiciens (3/7)
Quelles étaient les relations de Frédéric Chopin avec les autres musiciens ? Qu’en était-il de ses amours ? Reste-t-il à Paris ? Comment évolue sa personnalité musicale ? Jean-Pierre Grivois continue de conter sa vie et son oeuvre à travers ses écrits, et notamment la toute première rencontre avec George Sand.
Quelles étaient ses relations avec les autres musiciens ?
Élevé par son premier professeur dans le culte de Bach, de Haydn et de Mozart, Frédéric Chopin a peu écrit sur les musiciens autres que ses contemporains. Pourtant, voici ce qu’il dit des musiciens passés : « Bach est un astronome qui découvre les plus merveilleuses étoiles. Beethoven se mesure à l'univers. Moi, je ne cherche qu'à exprimer l'âme et le coeur de l'Homme ». Il cite dans ses lettres de nombreux musiciens, en particulier des auteurs d’opéras dont il va voir les œuvres : Spontini, Rossini, Chérubini, Auber et Meyerbeer entre autres. Et puis il y a Bellini, né neuf ans avant lui, qui était devenu un de ses grands amis. Citons également quatre musiciens dont il fut très proche : Liszt, Mendelssohn, Schumann et Berlioz.
Liszt est né un an et demi après Chopin. Voici ce qu’en dit le compositeur dans une lettre : « Je vous écris sans savoir ce que ma plume barbouille parce que Liszt dans ce moment joue mes Études et me transporte hors de mes pensées honnêtes. Je voudrais lui voler la manière de rendre mes propres études ». Ce sont ces études qu’il lui dédiera. Liszt et Chopin auront une amitié constante, mais qui connaîtra des hauts et des bas à cause des femmes, tout particulièrement avec Marie d’Agoult et George Sand. Marie d’Agoult, l’égérie de Liszt avait également un penchant pour Chopin, ce qui créa quelques discordes entre Marie d’Agoult et George Sand, mais également entre Liszt et Chopin.
Le deuxième grand musicien dont il fut très proche fut Schumann, qui est né trois mois après Chopin. Schumann qui était également critique musical fait de nombreux commentaires sur les œuvres de Chopin dans sa revue musicale. Voici ce qu’il dit du musicien : « Les oeuvres de Chopin sont des canons enfouis sous les fleurs ». Dans une lettre, Schumann évoque sa rencontre avec Frédéric Chopin le 14 septembre 1834 : « Grande joie, nous avons passé ensemble une belle journée et je l’ai fêtée encore hier. Chopin m’a donné une nouvelle ballade. Elle est en sol mineur. De toutes ses œuvres, elle me semble la plus ingénieuse et la plus géniale. Je lui ai dit que c’est celle que je préférais. Après un long instant de réflexion, il s’est écrié avec conviction : "Cela me fait plaisir car c’est celle que je préfère aussi." De plus, il m’a joué toute une série de pages nouvelles : des études, des nocturnes, des mazurkas… Le tout incomparablement. On est ému rien qu’à le voir assis au piano, mais Clara est une virtuose bien plus encore, elle donne à ses compositions presque plus de valeur que lui-même. Imaginez-vous la perfection absolue, une maîtrise qui semble s’ignorer. »
Le troisième musicien à côtoyer Chopin n’est autre que Berlioz. Berlioz qui le surnomme « Chopinetto mio ». Les deux musiciens ne se vouaient pas de grandes affinités, mais ils sont restés tout de même très proches.
Quant à Mendelssohn, qui a un an de plus que Chopin, il voit le compositeur à Paris pendant l’hiver 1832. La dernière fois, Chopin n’avait pas osé lui parler quand il s’était rendu en Allemagne. Il lui rend visite avec Schumann.
Qu'en est-il de ses amours ?
Vous vous souvenez de Constance ? (cf. Chopin vu par Chopin : de l’enfance à l’arrivée à Paris (1/7)) Constance pour laquelle il avait un amour immodéré et platonique, un peu comme les poètes avaient un idéal féminin. Constance s’est mariée entre-temps, elle est loin et s’est mariée. Elle n’a connu que des malheurs dans sa vie puisqu’elle a dû quitter son mari pour non-consommation du mariage. Vient maintenant Marie Wodzinski dont le nom est immortalisé par la Valse Opus 69 n°1 en la bémol majeur dite « L’Adieu ».
De son retour de Carlsbad, Chopin passe par Dresde, accueilli par la famille d’un vieil ami de classe, où il s’éprend pour une pianiste du nom de Marie. Il semble qu’il y ait un projet de mariage, mais les parents de la jeune femme s’y opposent. Étrangement, il n’y aura aucune lettre de Chopin à propos de cet amour. Il écrit à la place à sa mère où il surnomme Marie « Mon secrétaire ». Voici ce qu’il écrit : « Je n’envoie pas d’autre autographe au Secrétaire afin de ne pas alourdir la lettre. Au début de l’hiver je lui en adresserai d’autres nouvelles avec la musique. Je n’ai garde d’oublier mes pantoufles et je joue en pensant à l’heure grise. »
On dit d’une des mélodies de Chopin : la mélodie Opus 74 n°14 dite « L’anneau » qu’elle serait dédiée à Marie. En voici le texte, qui est un poème de l’ami poète Stefan Widwiki : « Au temps des tristes berceuses de nourrices, je t’aimais déjà. Sur ton petit doigt gauche, je passai un anneau d’argent. D’autres choisirent des filles, moi j’attendis patiemment. Puis, un jeune étranger s’en vint, malgré l’anneau que je t’avais donné. On invita des musiciens. Aux noces, je chantais. Tu devins la femme d’un autre. Malgré mon fidèle amour, maintenant des filles rient de moi et amèrement je pleure, ma Constance ne servit de rien. En vain, ai-je donné un anneau… »
Il y a également un autre amour de Chopin qui a donné beaucoup d’exégèses. Il s’agit de son amour pour la Comtesse Potocka. Cette dernière était une des femmes les plus en vues de Paris et était d’une immense beauté. On a découvert une multitude de lettres à son égard qui se sont avérées être des fausses. Donc personne ne sait ce qui s’est réellement passé entre eux deux, mis à part qu’elle était une bonne pianiste et que Chopin lui donnait des leçons. Sur ses talents de séducteur, voici une anecdote que Chopin raconte dans une lettre à son ami Tytus quand il arrive à Paris en décembre 1831 : « Voici que je rencontre la jeune pupille dans l’escalier, elle manifeste la plus grande joie, m’invite à entrer chez elle disant qu’il n’y avait en cela aucun mal. Monsieur Pixis n’est pas là, ajoute t-elle, reposez-vous, il ne tardera pas. Une sorte de tremblement nous prend tous les deux. Je m’excuse sachant que le vieux est jaloux, je lui dis que je reviendrai un autre jour (…) Et cependant, qu’en toute innocence, nous nous parlons ainsi avec douceur dans l’escalier, Pixis survient. Il braque son regard à travers de grosses lunettes pour voir qui là-haut parle à sa belle. Il se hâte le pauvre. Bientôt, il s’arrête devant moi disant brusquement bonjour, puis se tournant vers elle. "Qu’est-ce que vous faites ici", ajoute t-il. (…) Et moi de même, j’ajoute avec un sourire, l’air de rien, qu’elle est sortie de sa chambre bien légèrement vêtue. (…) »
Chopin reste t-il ancré à paris ?
Après deux ans passés à Paris, Frédéric Chopin se met à voyager beaucoup. Il parcourt ainsi Bruxelles en juillet 1833 et se rend à Touraine en août 1833, où il est invité grâce à un ami violoncelliste, Auguste Franchome, chez les Forest dans une propriété qui s’appelait le Coteau. Pour les remercier de leur invitation, il leur écrit ceci en septembre 1833 :
« Dis, mon enfant, à toute la maison de Côteau, que je n'oublierai jamais mon séjour en Touraine, que tant de bonté laisse une reconnaissance éternelle. On me trouve engraissé et bonne mine. Et je me porte à ravir grâce aux voisines du dîner qui m'ont prêté des soins vraiment maternels. Quand j'y pense, tout cela me paraît un songe si agréable, que je voudrais dormir encore... »
Souffrant en 1835, Chopin va passer une longue cure à Enghien, avant d'aller rendre visite à ses parents à Carlsbad en Tchéquie, en août de la même année. Il revient par Dresde et Leipzig et passe également par Cologne, Coblence, Dusseldorf et Heidelberg. Il voyage donc beaucoup et se rend à Londres en 1837. Voici ses impressions sur la capitale britannique : « Je suis bien reconnaissant à Kosmian. Sans lui, je ne connaîtrais rien de Londres. (...) Que tous les diables t'emportent pour m'avoir affirmé qu'ici la boue était sèche. Elle est grise, la boue d'ici ! (...) Tu peux dire à Jeannot qu'il est facile de s'amuser ici raisonnablement à condition de ne pas y rester trop longtemps. Que de choses énormes ! (...) Les Anglais, le home, les palais, les voitures, la richesse, le luxe, le décor et les arbres, tout à commencer par le savon pour finir par les rasoirs, tout ici est extraordinaire et pourtant uniforme, tout est bien élevé, tout est lavé et relavé (...). »
Comment évolue sa personnalité musicale ?
Voici la façon dont il en parle à son ancien professeur Joseph Elsner, qui lui recommande de composer des opéras polonais. « En 1830, je me rendais certes compte de tout ce qui me manquait, je savais quel chemin j'avais encore à parcourir si je me laissais tenter par un des exemples que vous m'aviez proposés. Cependant, je me disais alors que je me rapprochais de lui, ne fût-ce qu'un peu, et à défaut d'un Lokietek, un Laskonogi sortira de ma cervelle. Mais, j'ai perdu tout espoir de ce genre. Je suis contraint de m'ouvrir une voie dans le monde comme pianiste et de remettre à plus tard les perspectives artistiques plus hautes que vous préconisez à juste titre dans votre lettre. Pour être un grand compositeur, il faut posséder une immense expérience. Comme vous me l'avez enseigné, on acquiert celle-ci en entendant non seulement les œuvres des autres mais surtout les siennes ! »
Première rencontre avec George Sand
Voici ce que dit Chopin de George Sand au courant de l'année 1836 : « J’ai fait connaissance d’une grande célébrité : Mme Dudevant, connue sous le nom de George Sand ; mais son visage n’est pas sympathique et ne m’a pas plu du tout. Il y a même en elle quelque chose qui m’éloigne ». Il dit à Liszt qui le raccompagne chez lui : « Quelle femme antipathique cette Sand ! Est-ce vraiment une femme ? Je suis prêt à en douter. »
Comment l'union est-elle née entre George Sand et Frédéric Chopin ? Cela sera le sujet de notre prochaine émission.
En savoir plus :
Frédéric Chopin est né le 1er mars 1810 à Zelawova Wola dans le Duché de Varsovie, actuelle Pologne. Il est mort le 17 octobre 1849 à Paris à l’âge de 39 ans. C’est l’un des plus grands compositeurs de musique romantique du XIXe siècle. Il est notamment connu pour sa virtuosité au piano puisqu’il n’a pratiquement composé que pour cet instrument. Toujours en quête de retranscrire le chant italien au piano et violoncelle, il est également connu pour être l’un des pères de la technique pianistique moderne avec Liszt. On lui doit ce grand phrasé de notes infinies, qui a influencé nombre de compositeurs : Fauré, Ravel, Debussy, Rachmaninov ou encore Scriabine.
Extraits musicaux écoutés lors de l’émission :
- Étude Opus 10 n°1 en Do Majeur
- Ballade Opus 23 en sol mineur
- Valse Opus 69 n°1 en La bémol Majeur dite « L’Adieu »
- Mélodie Opus 74 n°14, « L’anneau »
- Mazurka Opus 7n°2 en la mineur
- Scherzo Opus 31 en si bémol mineur
La série Chopin vu par Chopin :
Chopin vu par Chopin : de l’enfance à l’arrivée à Paris (1/7)
Chopin vu par Chopin, de son arrivée à Paris à son succès (2/7)
Chopin vu par Chopin : sa tumultueuse relation avec George Sand (4/7)
Aspects de Chopin, un livre du célèbre pianiste Alfred Cortot