Fléau implacable et ère nouvelle pour la viticulture : la lutte contre le phylloxéra de la vigne en France

avec Jean-François Bazin, de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Dans le dernier quart du XIXe siècle, un puceron inconnu dévaste le vignoble français et ébranle l’économie nationale. Il est neutralisé -mais non détruit- quelques décennies plus tard grâce au foisonnement des recherches, des essais et des expérimentations menés par les savants et les viticulteurs. Le remède, comme le mal, est américain. Le phylloxéra reste à jamais le symbole d’une période dramatique, certes douloureuse, mais aussi glorieuse pour tous ceux qui réussirent l’exploit de faire renaître la culture de la vigne en France. Écoutez Jean-François Bazin, de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, membre de la Conférence nationale des Académies, sous l’égide de l’Institut de France, évoquer l’histoire de l’invasion du phylloxéra et de ses conséquences agronomiques, techniques, économiques et sociologiques.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : ecl769
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En France, un étrange dépérissement des vignes est signalé, vers les années 1863-1865, à Pujault, dans le Gard.

La maladie d’abord n’a pas de nom, précise Jean-François Bazin.

Jules Émile Planchon (1823 - 1888), botaniste français qui baptisa le puceron dévastateur

La découverte et l’identification de l’insecte responsable de la mortalité des vignes ont pris quelques années. C’est le professeur Jules Planchon qui, à Montpellier, a baptisé définitivement le puceron dévastateur : Phylloxéra vastatrix ( du grec phyllon, « feuille » et xeros « sec » et du latin vastatrix « dévastateur ») ; un insecte très complexe, à la fois ailé et souterrain qui se propage d’environ une trentaine de kilomètres par an. D’où peut bien venir ce parasite nouveau qui se développe si rapidement et si insidieusement ? On ne soupçonne pas encore les vignes américaines de la Côte-Est cultivées, en Europe, dans des jardins botaniques et dans plusieurs vignobles privés envahis par le phylloxéra. Ces vignes américaines, porteuses du puceron mais résistantes, ne présentaient pas de symptômes de dépérissement sur le sol européen. Il a fallu tout un cheminement scientifique pour comprendre qu’un vignoble indemne du phylloxéra pouvait introduire ce parasite sur les plants indigènes des autres contrées.


L’insecte maintenant identifié, il s’agit de trouver les moyens pour le détruire. C’est le point de départ d’une masse considérable de travaux scientifiques et expérimentaux soutenus, entre autres, par le gouvernement. Tâtonnements, tentatives diverses et variées, et querelles partisanes se sont multipliés pendant ces années d’efforts pour éviter la ruine du vignoble.

Phylloxéra (Daktulosphaira vitifoliae)



Les « submersionistes »



L’idée d’asphyxier le phylloxéra en inondant le sol tous les hivers fut un premier succès pour les régions proches du littoral ou de certaines rivières. La méthode de la submersion permit à des viticulteurs de sauver leurs exploitations. De même la vigne établie sur des sables résistait à l’insecte.

Pour les autres vignobles, le baron Thenard, chimiste, pensa à un insecticide déjà connu depuis longtemps : le sulfure de carbone- produit volatil et toxique pour l’homme.




Nymphe de Phylloxéra





Les « Sulfuristes » : un demi-succès




Le traitement au sulfure de carbone, coûteux, difficile et dangereux à réaliser, prolongea la survie de plusieurs milliers d’hectares mais n’enraya pas l’extension du phylloxéra. Le mal serait-il incurable ?
On parlait de plus en plus des vignes américaines. Les opinions étaient partagées : les plants américains seraient-ils une planche de salut ou une illusion sans lendemain ? Et quel danger pour la qualité des vins français ?


Les « Américanistes » ou « hybrideurs » : premiers succès des replantations avec les porte-greffes résistants, après 1880.




La réussite dans la voie de l’hybridation - création de porte-greffes américains et d’hybrides producteurs directs- permit, au fil des années, la reconstitution des vignobles. Cependant, les porte-greffes les plus utilisés car très résistants au phylloxéra (Riparia, Solonis, etc.) n’étaient pas toujours adaptés aux sols dans lesquels ils étaient plantés.
Dans les sols à teneur élevée en calcaire, les plants américains, atteints de chlorose ferrique, périclitaient à plus ou moins longue échéance. De nombreux départements étaient concernés. Beaucoup de viticulteurs charentais, notamment, virent périr de nouveau leur vignoble replanté à grands frais.

Racines couvertes de Phylloxera vastatrix



La région de Cognac



Les échecs répétés des variétés américaines dans les sols chlorosants de la région de Cognac, et particulièrement dans les meilleurs crus de la Grande et Petite Champagne, incitèrent négociants, viticulteurs, savants, à expérimenter une nouvelle hybridation. Le porte-greffe idéal pour les sols calcaires fut découvert, assez rapidement vers 1895, grâce à la mobilisation des toutes les énergies et de toutes les compétences.
En Charente, comme ailleurs, l’invasion du phylloxéra marqua un tournant décisif dans la société viticole.



Après avoir présenté des multiples péripéties qui ont ponctué la longue période de recherche des moyens de lutte, Jean-François Bazin évoque les bouleversements, de tous ordres, provoqués par « le choc du phylloxéra » : les innovations techniques, les nouveaux paysages, les institutions (syndicats viticoles, Écoles nationales d’Agriculture, Comités de Viticulture), les moyens d’information (journaux, revues techniques, congrès viticoles) et les profondes transformation des mentalités, les conflits de génération :

« Pour la première fois dans les vignes, le grand-père n’avait plus rien à apprendre à son petit-fils ! Tout a changé en très peu de temps !
De nos jours, le phylloxéra est toujours présent dans presque tous les sols où la vigne est cultivée, en France et dans le monde. Mais il vit et se développe sans dommages pour la plante sur les porte-greffes tolérants et résistants. »




Jean-François Bazin
© Canal Académie

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