Jean-Robert Pitte raconte Le Corbusier et la Charte d’Athènes
Dans son "Histoire du paysage français", devenue un classique, Jean-Robert Pitte consacre un chapitre intitulé "Vers un paysage banal ?" à l’apport architectural de Le Corbusier, et, surprise, se tient loin des habituels concerts de louanges. Il s’en explique dans cette émission rappelant les arguments avancés par quelques urbanistes "progressistes" et leur manifeste désormais connu sous le nom de "Charte d’Athènes". Selon notre invité, cette vision totalitaire de la société a modelé le paysage urbain à une certaine époque et ses conséquences ne sont pas encore effacées...
L'Histoire du paysage français de Jean-Robert Pitte est sans cesse rééditée. Elle vient de l'être pour la 5ème fois, tout récemment en 2012, dans la collection Texto. La première édition avait été rédigée par le jeune géographe, poussé par son éditeur Denis Maraval, en 1983. Un livre qui va donc bientôt fêter ses... trente ans ! L'auteur explique dans cette émission pourquoi et comment il a conçu cet ouvrage qui offre une synthèse de l'histoire du paysage de la France hexagonale, et qui allie donc géographie et histoire. Loin d'un simple descriptif, c'est aussi un livre engagé. Et dans la préface de la 5ème édition, Jean-Robert Pitte rappelle quelques convictions qui lui sont chères, d'abord celle que les paysages, comme les civilisations, sont impermanents et même mortels, ils évoluent non seulement au gré des saisons ou des siècles, mais au gré des savoir-faire, des goûts, des modes... Sa réflexion le conduit, constatant un "désenchantement des paysages" aboutissant à l'indifférence, à une distinction sacré-profane, et à une observation d'autres valeurs qui continuent à nourrir la société française (la liberté individuelle dans le respect de celle d'autrui, le sens de la famille, le souci de la transmission, le service aux plus faibles, la recherche du mieux-être, etc).
Les paysages portent les traces, heureuses ou moins bonnes, des idéaux (ou des idéologies) qui traversent la société. "Ce livre, écrit-il, tente de le montrer de manière parfois engagée ; je n'ai pas varié. Que telle ou telle des réalisations de Le Corbusier soient désormais inscrites au patrimoine de l'humanité par l'UNESCO, ne me dissuade nullement de penser que la Charte d'Athènes est la pierre fondatrice de l'absurde politique des grands ensembles construits après-guerre et que l'on paie très cher socialement aujourd'hui. Ils ne s'appellent plus cités, mais zones urbaines sensibles, et encore s'agit-il d'une litote ! Qui nous délivrera des chantres du meilleur des mondes et des aménageurs de paradis sur terre ?"
- Il y eut d'abord un dogme cubiste : "la peinture cubiste (1900-1920 pour la grande époque de ce mouvement) préfigure la révolution des formes en architecture et en urbanisme. Deux architectes célèbres en leur temps comme aujourd'hui et toujours âprement controversés, les illustrent : l'allemand Walter Gropius et le Suisse Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier...
Ecoutez Jean-Robert Pitte rappeler quelques éléments fondamentaux de la vie et des conceptions de l'architecte : Né en 1987, à La Chaux-de-Fonds en Suisse, Le Corbusier a commencé par beaucoup voyager, et par contruire, en 1932, le pavillon suisse de la Cité universitaire de Paris, puis le Centre Soyouz de Moscou et diverses maisons individuelles. Pour lui la lumière doit être traitée comme un matériau, il affectionne les pilotis, les planchers en béton armé, les toitures en terrasse. Jusque là, tout ne va pas trop mal... mais en 1925, l'architecte exprime pour la première fois ses conceptions radicales en matière d'urbanisme. Avec le plan Voisin, il conseille de raser la plus grande partie de la rive droite de la Seine et d'édifier des tours immenses. En 1935, il publie La Ville radieuse, où il expose ses idéaux urbains.
- Comme d'autres architectes européens partagent ses conceptions, à
eux tous ils fondent les Congrès internationaux d'Architecture moderne (CIAM), en 1928. Le Corbusier en est l'un des pères fondateurs. La réunion d'Athènes en 1933 aboutit à la rédaction d'un manifeste de l'urbanisme progressiste et rationaliste: la fameuse Charte d'Athènes. Le Corbusier le publiera anonynement à Paris en 1941 avec une préface de Jean Giraudoux (dont Jean-Robert Pitte explique l'aveuglement en quelques mots).
Quoiqu'il en soit, voici publiée "l'internationale" de l'urbanisme ! Avec la négation des différences culturelles, un nivellement social et même, sous-tendu, un mépris de l'individu. A la traditionnelle "maison", vocable démodé, Le Corbusier substitue "la machine à habiter" censée convenir à tout le monde. Une utopie que Jean-Robert Pitte dénonce. Le problème vient de ce que la réalité -c'est à dire l'énorme besoin de constructions rapides après la guerre- a finalement rejoint l'utopie... et cela s'est fait sentir jusque dans les années 1970. Un style désormais international est imposé... et notre invité de donner quelques exemples où ces dogmes appliqués ont causé des dégâts irrémédiables (Brest, Le Havre, Boulogne, St Dié, etc...).
- A noter que Jean-Robert Pitte développera dans d'autres chroniques Géographie plusieurs autres chapitres de son Histoire du paysage français.
- Ecoutez d'autres émissions :
- Géographie la chronique animée par Jean-Robert Pitte
- Le génie des lieux, le credo du géographe Jean-Robert Pitte
- Frontières naturelles, frontières politiques, le point de vue du géographe Jean-Robert Pitte
- Les villes, espaces d’urbanité
- Frontières naturelles, frontières politiques, le point de vue du géographe Jean-Robert Pitte