Le GIEC : comment rétablir la confiance ?

Avec Hervé Le Treut, membre de l’Académie des sciences et Michel Petit correspondant de l’Académie des sciences
Hervé LE TREUT
Avec Hervé LE TREUT
Membre de l'Académie des sciences

Suite à la polémique sur le fonctionnement du GIEC, Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, Hervé le Treut, climatologue, membre du GIEC, accompagné de Michel Petit, spécialiste de l’effet de serre, et ancien membre du GIEC, reviennent dans cette émission sur le fonctionnement de cette institution indépendante, malmenée par les climato-sceptiques et répondent aux critiques qui leurs sont faites point par point. Ils abordent également l’épineuse question de la taxation de la consommation d’énergie polluante pour initier de nouveaux comportements plus responsables.

Cette émission a été enregistrée en mars 2010.


Fallait-il s’attendre à une telle crise de confiance envers le GIEC ?
- « Oui », répond le climatologue Hervé Le Treut, « elle était malheureusement prévisible, car les enjeux autour du GIEC sont croissants. Ils induisent un certain nombre d’actions pas toujours bien vécues, et les critiques grandissent ».
Créé à l’initiative du G7 en 1988, le GIEC répond au besoin des gouvernements d’une expertise internationale sur le climat, ceci afin de développer des politiques adéquats.

« Attention » précise Hervé Le Treut, « les constats du GIEC sont utiles à la prise de décisions politiques mais ne sont pas des prescriptions politiques, même si cela arrange quelques-uns d’entretenir la confusion. Au moment de Copenhague, la limite a d’ailleurs été franchie plusieurs fois… »

Réponses aux critiques faites au GIEC

Aujourd’hui cependant, des critiques portent sur le fonctionnement du GIEC : trop de personnel, des rapports remis tous les 6 ans, des erreurs de chiffres. A cela, Michel Petit répond énergiquement : « le GIEC n’existe pas, seul existent les rapports du GIEC. Ce n’est pas une entité, il n’y a qu’une dizaine de fonctionnaires détachés par l’OMM et le PNUE (Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l'environnement) qui s’occupent de faire fonctionner la machine ». « Quant aux rapports, ils sont rédigés par des scientifiques bénévoles, rémunérés par leurs organismes de recherche » explique Hervé Le Treut. La crédibilité de leurs conclusions n’est donc pas remise en cause par des financements privés.


Pour le rythme de remise des rapports, Michel Petit revient sur le fonctionnement même du GIEC : « Les rapports écrits font l’objet d’une double procédure de revue. La première version est envoyée à tous les experts connus et toute personne qui a des compétences scientifiques peut envoyer des remarques.
Une fois récupérés, les commentaires font l’objet de réponses de la part des auteurs. La deuxième version qui intègre ces remarques est renvoyée aux auteurs des commentaires ainsi qu’aux gouvernements. Ces derniers peuvent faire appels à leurs experts pour d’éventuelles faiblesses scientifiques. Tout ceci prend du temps »
.
Et Hervé le Treut de préciser « Les rapports du GIEC sont espacés avec raison tous les 6 ans parce qu’il faut un travail sérieux, approfondi. C’est aussi le temps des polémiques scientifiques ; en trois-quatre ans de discussions scientifiques, on arrive à savoir qui a tort et qui a raison ».

Sur la fameuse inversion de chiffre concernant la fonte des glaciers (il était écrit 2035 au lieu de 2350) Michel Petit reconnait cette erreur humaine : « Il est vraiment dommage qu’elle soit passée au travers des nombreuses relectures des quelque 3000 pages Mais cette date erronée ne figurait heureusement pas dans les conclusions principales. Cette erreur est malheureuse, nous le reconnaissons. Mais il s’agit là d’un épiphénomène qui a été monté en épingle » précise-t-il.


Le rôle de l’homme dans le réchauffement climatique


Avis aux climato-sceptiques, le message de Michel Petit est clair : « Dire que l’homme n’est pour rien dans le réchauffement climatique, c’est faire la politique de l’autruche ! »
Hervé le Treut l’explique : « Ce que dit précisément le GIEC, c’est qu’il y a 90% de chance pour qu’une part du réchauffement climatique soit imputable aux activités humaines. Autrement dit il n’y a que 10% de chance pour que l’on ne retrouve aucune trace des activités humaines dans les changements climatiques que nous sommes en train de vivre ».
Michel Petit emboîte le pas à son confrère : « Notre devoir, c’est de dire que l’avenir est entre nos mains. Les mesures à prendre ne sont pas irréalistes, il faut simplement accepter que notre rapport à l’énergie était emprunt jusqu'alors d’une dose d’irresponsabilité quant à l’avenir ».


Peut-on réduire nos émissions de gaz à effet de serre sans faire payer le contribuable ?

Des conséquences du réchauffement climatique découle des problématiques sociales, économiques, écologiques. « Reste à trouver un optimum entre toutes ces problématiques » selon Hervé Le Treut. « La taxe carbone est certainement indispensable d’une manière ou d’une autre, si on veut faire se développer des énergies de substitution. Le prix de l’énergie a toujours été trop bas, il faut une incitation forte. Il faut aussi distinguer le court terme du long terme : on parle « d’économie d’énergie ». Normalement, cette économie devrait aussi pouvoir permettre d’économiser de l’argent. »

Rétablir la confiance

Une commission scientifique indépendante vient d’être mise sur pied pour examiner les travaux et le fonctionnement du GIEC.
Cela ne rajoute-t-il pas du discrédit au fonctionnement actuel du GIEC ? « Au contraire » rebondit Michel Petit. « Cette commission est une excellente chose parce qu’elle arrivera à la conclusion que le GIEC travaille bien. Elle va atténuer l’influence néfaste qu'ont les climato-sceptiques auprès du grand public ».
Hervé Le Treut croit de son côté à l’éducation, « qui se déroule sur un temps long ». Et pour les derniers récalcitrants qui nient le rôle de l’humanité dans le réchauffement climatique « il deviendra de plus en plus évident au fur et à mesure que le temps passe. Ceux qui sont aujourd’hui sceptiques seront forcés de revoir leurs positions » conclue MIchel Petit.

Hervé Le Treut et Michel Petit (de gauche à droite)

Hervé Le Treut est spécialiste de la modélisation du climat, membre de l’Académie des sciences, directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace, membre du GIEC.

Michel Petit est spécialiste de l’effet de serre, ancien membre du Bureau du GIEC où il était responsable du groupe « Incertitudes scientifiques et risques climatiques ». Michel Petit est correspondant à l’Académie sciences.



En savoir plus :

Michel Petit, correspondant de l'Académie des sciences
Hervé Le Treut, membre de l'Académie des sciences

Ecoutez Michel Petit et Hervé le Treut sur le site de Canal Académie.
Ecoutez nos émissions sur la climatologie sur Canal Académie

Michel Petit, Qu'est-ce que l'effet de serre ? Ses conséquences sur l'avenir du climat, édition Vuibert, 2003
Hervé Le Treut, Nouveau Climat sur la terre. Comprendre, prédire, réagir, édition Flammarion, 2009

Site du GIEC, Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (en français)


A lire : l'article d'Hervé Le Treut dans la revue Projet n° 316, avril 2010 : l'Affaire climatique, au-delà des mythes et des légendes : http://www.ceras-projet.com/index.php?id=4307

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