L’eau dans le monde : utilisation et répartition dans les décennies à venir
« Nous avons l’eau en partage, pour le meilleur et pour le pire ». Voici ce qu’écrit Erik Orsenna dans la préface du livre de Ghislain de Marsily, L’eau, un trésor en partage. L’eau est-elle devenue un trésor convoité ? Parlerons-nous prochainement d’une guerre de l’eau ? Cette émission vous propose de vous intéresser aux enjeux politiques de l’eau et aux solutions qui peuvent êtres esquissées pour une meilleure gestion de cet or bleu, le tout en compagnie de l’auteur Ghislain de Marsily, membre de l’Académie des sciences.
L’eau suit un cycle en trois étapes sur Terre : évaporation, condensation, précipitation ; une boucle sans fin. De ce fait, on ne perd pas d’eau sur Terre.
« Si on va dans le détail », observe Ghislain de Marsily, « les rayonnements du soleil sont capables de décomposer la molécule et de séparer hydrogène de l’oxygène dans la très haute atmosphère. L’hydrogène, très léger, quitte l’atmosphère de la Terre et disparaît. Par ce mécanisme, on peut dire que des quantités infimes d’eau quittent la Terre ».
L’eau sur Terre se répartit sous les trois formes suivantes :
- la condensation, les nuages : 65 % des précipitations se retrouvent par évaporation dans l’atmosphère. Il faut aussi prendre en compte l’évapotranspiration (ndlr : transpiration de la végétation).
- les écoulements qui représentent 32 % des eaux. Les écoulements existent sous deux formes :
- le ruissellement : en cas de grosses pluies, l’eau forme des rigoles et finit par s’infiltrer dans le sol superficiel. C’est là que les racines des végétaux puisent leur eau.
- les écoulements : dans les zones tempérées, il y a plus d’eau que ne peuvent consommer les plantes. Cette eau finit par s’écouler dans les nappes souterraines ou rejoindre les rivières.
- la glace : 3 % des précipitations se retrouvent en Antarctique et au Groenland sur les glaces de terre.
On sait que les océans représentent 96,7 % de l’eau sur Terre, ensuite ce sont les glaces qui représentent 2,2 % de l’eau. Ensuite seulement arrive les eaux souterraines qui ne constituent que 1,1 % de l’eau contenue sur la planète. Sur ces 1,1 % la moitié de ces réserves est de l’eau potable.
Quant aux immenses lacs d’eau douce comme le Léman ou le lac Baïkal, ils ne représentent qu’un 1 % des eaux souterraines.
Si on ne perd pas d’eau, si nos réserves semblent colossales, il semble cependant que l’on parle de « pénurie » d’eau. « C’est une pénurie qui n’est pas la conséquence de la diminution de nos ressources en eau, mais une croissance de nos besoins alimentaires » précise Ghislain de Marsily. « On estime que nous serons 9 milliards en 2050. Nous allons exacerber tous les problèmes d’accès en eau, à la nourriture, en espace, en énergie ».
« L’alimentation ne sera certainement plus produite localement », résume notre invité. Des pays entiers vont se transformer en greniers à blé pour pouvoir nourrir une bonne partie de la population mondiale. Car les cultures devront voir le jour là où il y a un accès à l’eau et des sols pour produire. Ces greniers pourraient être l’Amérique latine, la Russie, les pays de l’OCDE et une partie de l’Afrique. « Mais il faut être clair, nous allons saccager la planète. Nous allons défricher les forêts, développer les cultures intensives… »
L’Asie sera certainement le continent qui va le plus souffrir d’ici 2050. Représentant la moitié de l’humanité, d’ici 2050, le continent n’aura plus assez de ressources (eau et sol) pour alimenter sa population.
Tensions liées à l’eau
En 2010, les tensions liées à l’accès à l’eau sont déjà palpables. Ghislain de Marsily a distingué dans son ouvrage trois types de « guerre de l’eau » :
- Guerre de l’eau entre États :
L’exemple le plus parlant est celui du conflit qui oppose l'Égypte à l'Éthiopie. L'Égypte a construit le barrage d’Assouan sur le Nil, mettant de ce fait un lac artificiel sur pied : le lac Nasser.
Ce lac se remplit à partir des eaux du Nil bleu qui vient de l'Éthiopie. Mais aujourd’hui, les deux pays ont doublé leurs populations et leurs besoins depuis les années 1960. Les Éthiopiens voudraient construire en amont des barrages pour leur irrigation. Mais les Égyptiens ont fait savoir depuis des années que tout barrage construit en Éthiopie serait une déclaration de guerre.
Une initiative récente des Nations unies pourrait dénouer ce conflit latent. L’eau actuellement stockée à Assouan est en plein désert. Conséquence : 10 km3 d’eau disparaissent sous forme d’évaporation. Il pourrait donc se construire des barrages en altitude en Éthiopie. L’eau s’évaporerait moins. Les Égyptiens seraient les constructeurs du barrage et profiterait de cette eau et les Éthiopiens pourraient exploiter le « surplus » qui s'évaporait jusqu'alors à Assouan.
- Guerre civile liée à l’eau, l'exemple du Darfour :
« La crise du Darfour a bien sûr des causes multiples, mais parmi elles, il existe un confit ancestral : celui entre éleveurs nomades et éleveurs sédentaires. Les uns et les autres ont besoin d’accéder à la terre, aux pâturages, à l’eau. »
- « Guerre » liée aux grandes migrations environnementales :
« En Afrique subsaharienne, les populations du Sahel sont assez habituées à ces déplacements. Mais les tensions sont exacerbées quand la population a augmenté » observe Ghislain de Marsily. Ce scénario pourrait être appliqué prochainement au Bangladesh, pays extrêmement surpeuplé, dont les ¾ de la population vit à 1 mètre en-dessous de la mer.
Les solutions
Pour éviter les catastrophes, il est urgent de « moins gaspiller » dans les pays développés. « Nous autres les Européens, gaspillons 30 % de la nourriture qui nous est proposée ».
Autre constat : les pays développés consomment trop de protéines animales (viande, œufs, laitages). « Pour que l'on soit dans un monde équitable il faudrait qu’on soit à 500 kcal de produits d’origine animale par habitant dans le monde. Or dans les pays industrialisés nous consommons actuellement 1000 kcal et dans les pays en voie de développement seulement 300 kcal ».
Si Ghislain de Marsily attache de l'importance à la consommation de produits animaux, c'est parce que certains sont très gourmands en eau : « Comptez 13 000 litres d'eau par kilo de bœuf alors qu'il faut 1000 litres d'eau pour 1 kg de farine ».
La dernière partie de l'émission est consacrée aux techniques, utopiques ou moins, pour augmenter nos ressources en eau.
Écoutez les explications détaillées de Ghislain de Marsily avec un regard à la fois géopolitique, géologique et géographique de la problématique de l'eau dans les décennies à venir.
Ghislain de Marsily est géologue de formation, professeur émérite à l'université Pierre et Marie Curie - Paris Universitas et à l'École des Mines de Paris. Il intervient sur les questions de l'eau auprès des instances internationales et de nombreux gouvernements.
Ghislain de Marsily est membre de l’Académie des sciences, auteur de L’eau, un trésor en partage, paru aux éditions Dunod en 2009.
En savoir plus :
- Ghislain de Marsily, membre de l'Académie des sciences
- Ghislain de Marsily sur Canal Académie
- L'eau sur Canal Académie
Ghislain de Marsily, L'eau, un trésor en partage, éditions Dunod, 2009