Les secrets de la transplantation de bronche, première mondiale réalisée en France

avec les professeurs Emmanuel Martinod et Alain Carpentier, président de l’Académie des sciences
Alain CARPENTIER
Avec Alain CARPENTIER
Membre de l'Académie des sciences

La greffe d’une bronche artificielle sur un homme est une première médicale mondiale, réalisée en France en octobre 2009 par le jeune professeur Martinod et son équipe. Prudent d’observer les effets de cette opération à moyen terme, le chirurgien a attendu 15 mois avant d’en faire part au grand public. C’est en compagnie du professeur Alain Carpentier qui l’a soutenu dans ses 14 années de recherche que le professeur Martinod évoque dans cette émission les différentes étape de son aventure.

_ A la base de cette aventure médicale, il y a une rencontre : celle de deux chirurgiens visionnaires que sont le professeur Alain Carpentier, mondialement reconnu pour la réussite des bioprothèses cardiaques[[ L’invention révolutionnaire des bio-prothèses cardiaques ]] et l’élaboration du cœur artificiel[[ Cœur artificiel : le concepteur vous dévoile ses secrets ]] et le jeune chirurgien Emmanuel Martinod. « A l’hôpital Georges Pompidou (ndlr : où officie le professeur Alain Carpentier) nous greffons des cœurs, des reins, des poumons. J'ai été surpris lorsqu'un jour, un jeune et fringant chirurgien est venu me voir dans mon laboratoire de sciences biochirurgicales. Il m’a dit, “j’ai un projet mais personne n’y croit”. Il cherchait à remplacer un petit segment de trachée et de bronche, généralement affecté dans le cancer du poumon, par un morceau d'artère ». Le projet d’Emmanuel Martinod séduit Alain Carpentier qui lui ouvre ses portes alors que tous les autres laboratoires refusaient d’accueillir le projet du chirurgien. Les deux chirurgiens visionnaires s'entendent à merveille !

Cette transplantation de bronche est l’aboutissement de 14 années de d'études intensives menées par le professeur Martinod et son équipe. Les chercheurs travaillent à partir d’une bibliographie de 50 années de recherche. De nombreuses équipes, avant celle du professeur Martinod, se sont essayées, en effet, à trouver un substitut idéal à la trachée et aux bronches. Hélas, sans résultat.
L’équipe persévère, travaille sur l’animal et les résultats sont au rendez-vous. « Lorsque la brebis a survécu à la première nuit, ça a été un miracle pour nous ; qu’elle survive jusqu’à trois ans fut un deuxième miracle. Et puis nous avons constaté à notre grande surprise que les tissus se transformèrent. On a vu se régénérer un épithélium et puis, "cerise sur le gâteau", on a observé la régénération de cartilage. L’individu lui-même réparait la structure remplaçant la trachée constituée d’un morceau d’aorte ! » nous raconte le chirurgien. La dernière étape a été le remplacement de bronche dont le mécanisme de régénération se trouve être similaire à celui de la trachée.

La régénération de l’épithélium, couche la plus interne, est en contact avec l’air. « On comprend très bien cette transformation parce que la régénération se fait à partir des berges de la trachée ou des bronches » nous explique l’intéressé.
Mais la régénération du cartilage semble pour sa part plus mystérieuse : « Nous avons encore beaucoup de travaux en cours sur ce sujet. Nous pensons que la régénération de cartilage se fait à partir de cellules souches de l’individu, attirées par l’intermédiaire de signaux et de réactions inflammatoires » complète Emmanuel Martinod.


Tout de suite, les applications cliniques sont envisagées. Le professeur Martinod commence à rédiger un protocole. Mais le cours de l’histoire s’accélère par l’arrivée d’un patient. « On a vu cet homme de 78 ans en consultation. Il avait un cancer du poumon très important et était pratiquement condamné. Il ne voulait pas de pneumonectomie (ablation du poumon). On a alors envisagé l'éventualité de préserver une partie du poumon en mettant bout à bout les deux bronches, même si cela restait techniquement très difficile ».
Cadre légal oblige, le professeur Martinod prévient l’Agence de la biomédecine de l’éventuelle opération qu’il pourrait mener, comportant un substitut de bronche et de trachée pour ce patient. En trois semaines, une autorisation à titre exceptionnelle est délivrée par l’AFSSAPS [] au lieu de l'année et demie habituelle.

« C’est pendant l’opération que nous avons décidé d’utiliser cette nouvelle technique » précise Emmanuel Martinod. Et aujourd’hui, deux ans après l’opération, le patient initialement condamné est toujours en vie, à son domicile. Il poursuit son traitement anti-cancer. A ce jour, aucune métastase n’est observée.

Attention cependant précise Emmanuel Martinod : « Il ne s’agit pas d’un nouveau traitement du cancer du poumon. Il s’agit d’une intervention qui va diminuer la mortalité du cancer ».
Elle ne dispense pas de traitement radio et chimiothérapie.
Après l’annonce au public de la réussite de l’opération la liste de candidats à l’intervention s’allonge. Pourtant, toutes les personnes touchées par un cancer broncho-pulmonaire ne peuvent pas forcément prétendre à figurer sur la liste : « Même si nous analysons tous les dossiers, l’opération s’adresse uniquement aux personnes ayant des tumeurs très centrales dans le poumon ». Le professeur Carpentier constate cependant que « le nombre de cancer broncho-pulmonaire augmente dramatiquement parallèlement au développement du tabagisme ; le nombre de candidats potentiels à cette nouvelle opération augmentera ».

Aujourd’hui, l’équipe du professeur Martinod repart sur le programme de transplantation de trachée. « C’est un domaine où il y a beaucoup de malades, parfois jeunes. J’ai vu récemment une patiente de 20 ans condamnée à vivre avec une trachéotomie (avec une ouverture dans sa trachée), c’est impensable ».

Ecoutez les explications détaillées des Professeurs Carpentier et Martinod au cours de cette émission.


Emmanuel Martinod et Alain Carpentier
© Canal Académie






Le Professeur Emmanuel Martinod est chef du service de chirurgie thoracique et vasculaire de l’hôpital Avicenne de Bobigny (AP-HP), Université Paris 13

Le Professeur Alain Carpentier est Président de l’Académie des sciences. Il a soutenu le professeur Martinod dans ses recherches au sein de sa fondation. Alain Carpentier est professeur émérite à l’Université Pierre et Marie Curie Paris VI. Chirurgien des hôpitaux de Paris, il office au département de chirurgie médico-vasculaire et de transplantations d’organes à l’hôpital Georges Pompidou. Il est à l’origine des bio prothèses valvulaires cardiaques et à l’origine du cœur artificiel.

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