Parcours et oeuvres de la philosophe Simone Weil (3/4)
Dans sa biographie de Simone Weil, Sylvie Courtine-Denamy rappelle quelques uns des qualificatifs peu amènes dont ses contemporains l’affublèrent : La vierge rouge, monstrum horrendum, Lazare, la Martienne, Dirty. On a voulu voir en elle, qui femme de génie, un Ezéchiel, ou un Isaïe féminin, qui, une possédée, une sainte, une folle, et pour les plus généreux, une mystique ». Bertrand Saint-Sernin, Florence de Lussy, et Sylvie Courtine-Denamy nous donnent chacun leur vision du personnage qu’était la philosophe Simone Weil.
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Née à Paris en 1909 dans une famille juive non pratiquante, Simone Weil étudie au lycée Henri IV avec le philosophe Alain. Suivant le modèle de son frère, brillant mathématicien, elle entre à l'Ecole normale supérieure et passe son agrégation de philosophie en 1931. Elle enseigne ensuite au Puy, à Roanne et à Saint-Étienne, où elle se rapproche de la classe ouvrière. Elle écrit ses premiers essais (Oppression et liberté) en confrontant sa conception du marxisme avec la réalité du travail qu'elle expérimente ensuite dans les usines Alsthom et Renault. Toujours en quête d'absolu, Simone Weil rejoint le Front républicain espagnol en 1936 et connaît sa première révélation mystique à l'abbaye de Solesmes, deux ans plus tard. Dès lors, elle veut comprendre la volonté de Dieu et l'articuler intellectuellement avec ses propres expériences religieuses. Elle donne dans Pensées sans ordre concernant l'amour de Dieu une interprétation mystique de la religion chrétienne, pleine de son désir de sacrifice. En 1942, forcée de se réfugier aux Etats-Unis, Simone Weil refuse de quitter ses compatriotes et revient aider les Forces françaises libres en Angleterre. Atteinte de tuberculose, elle s'éteint à 34 ans dans un sanatorium anglais à Ashford le 24 août 1943.
Ecoutez dans cette émission, la troisième d'une série de quatre, Florence de Lussy, Sylvie Courtine- Denamy et Bertrand Saint-Sernin.
Sylvie Courtine-Denamy a écrit :
« Certains ont avoué être fascinés par sa laideur, d’autres au contraire, les mêmes parfois, lui accordent la grâce de la beauté. Femme d’exception, devenue « objet de culte » ses opinions catégoriques, ses outrances, son désir passionné de vérité, son ironie mordante, ses sarcasmes parfois, mais aussi la douceur de son autorité naturelle, séduisent autant qu’ils dérangent, irritent, indignent. Pour certains, elle fut une lumière, une référence. Dotée d’un formidable appétit de savoir, la tête aussi bien faite que pleine, aucun domaine – philosophie, politique, histoire, science, religion, art, langues et questions sociales – n’échappent à ses investigations»
Nous évoquons ici la philosophe française dont on célèbre en ce début d’année 2009 la date-anniversaire de la naissance : Simone Weil.
Simone Weil élève du philosophe Alain
Simone Weil fait ses études au lycée Fénelon puis à Victor Duruy. Elle obtient son bac à 16 ans. Elle prépare de 1925 à 1928 son concours d’entrée à l’école normale supérieure, au lycée Henri IV ; elle est l’élève d’Alain : le philosophe Alain de son vrai nom Emile Auguste Chartier qui a beaucoup enseigné, il a été avant tout un professeur. Alain a vécu la Grande guerre, la première guerre mondiale avant qu’elle ne commence, il a milité pour le pacifisme ; une fois la guerre déclarée, sans renier ses idées il s’est engagé pour faire ses devoirs de citoyen ; il s’engage aux côtés du mouvement radical en faveur d'une république libérale strictement contrôlée par le peuple. Jusqu'à la fin des années 30, son oeuvre sera guidée par la lutte pour le pacifisme et contre la montée des fascismes. En 1936, une attaque cérébrale le condamne au fauteuil roulant.
Pour Alain, le but de sa philosophie est d'apprendre à réfléchir et à penser rationnellement en évitant les préjugés. Humaniste cartésien, il est un "éveilleur d'esprit", passionné de liberté, qui ne propose pas un système ou une école philosophique mais apprend à se méfier des idées toutes faites. Pour lui, la capacité de jugement que donne la perception doit être en prise directe avec la réalité du monde et non bâtie à partir d'un système théorique.
Alain perd la foi au collège sans en ressentir de crise spirituelle. Bien qu'il ne croie pas en Dieu et soit anticlérical, il respecte l'esprit de la religion. Il est même attiré par les phénomènes religieux qu'il analyse avec beaucoup de pertinence. Dans "Propos sur la religion" et "Propos sur le bonheur" on sent transparaître, un peu comme chez Auguste Comte, une certaine fascination pour l'Evangile dans lequel il voit un beau poème et pour le catholicisme qu'il perçoit, en en reprenant l'étymologie, comme un "accord universel".
Comment entre 1931 et 1934 , une jeune fille qui enseigne la philosophie dans des lycées de province, au Puy, à Auxerre, et à Roanne, qui n’a accès qu’aux informations où d’autres pouvaient aussi puiser, a-t-elle si vite et si lumineusement discerner tant de traits fondamentaux du XXe siècle ? C’est la question que pose Bertrand Saint-Sernin au cours de cette émission.
La Bibliothèque nationale de France : le fonds Simone Weil, et la mission de Florence Lussy
Florence de Lussy est en charge, en mission depuis près de 30 ans : elle assure l'édition des œuvres complètes de la célèbre philosophe française chez Gallimard, une tâche immense… Elle explique que tout a commencé grâce à une initiative de l'Administrateur général de la Bibliothèque Nationale : Georges Le Rider.
Cet homme intelligent et entreprenant a eu l'idée, à la fin des années 70, de rapprocher les collections rares et exceptionnelles (et elles sont nombreuses !) que recèle la BNF des personnes susceptibles de les exploiter; c'est-à-dire de rapprocher les deux fonctions, jusque-là séparées, que sont celle du conservateur des collections et celle de la recherche qui les exploite.
Concrètement, cela se structura, au sein d'un G.I.S. (Groupement d'intérêt scientifique), en un certain nombre d'unités, dans lesquelles étaient engagés, côte à côte, un conservateur responsable du Fonds à exploiter et une équipe de chercheurs.
André Weil, le frère de la philosophe Simone Weil, comprit l'intérêt d'une telle structure, alliant BN et CNRS. Il déposa donc, à la fin de 1978, tous les manuscrits de sa sœur à la BNF (Département des Manuscrits), dans le but, précisément, qu'une équipe de chercheurs entreprenne, autour d'un conservateur chargé du Fonds, une édition des Œuvres complètes des écrits de sa sœur.
En tant que conservateur, Florence de LUSSY fut nommée responsable du Fonds Simone Weil. Le professeur André A. Devaux, qui venait de fonder une Association pour l'étude de la pensée de Simone Weil (laquelle est plus active et féconde que jamais sous la houlette de Robert Chenavier) prit la tête de l'équipe de chercheurs. Florence de Lussy fut nommée co-directeur de l'entreprise.
Mais par où commencer ? Le fonds était immense et non classé; les éditions de la collection "Espoir" chez Gallimard, les éditions dues au Père Perrin (pour Attente de Dieu et Intuitions préchrétiennes), et l'édition des Cahiers chez Plon (édition solide déjà, due à Simone Pétrement et André Weil), avaient le grand mérite d'exister, mais elles ne répondaient pas aux exigences qu'on est en droit d'attendre d'une édition authentiquement scientifique. En tant que conservateur chargée du fonds, et donc en contact quotidien avec les manuscrits, Florence de Lussy dut prendre très rapidement et de façon continue une série de décisions (en concertation avec l'équipe, naturellement). Et, après quelques années de tâtonnements, fut en mesure de rédiger à l'intention des éditions Gallimard (qui avaient été pressenties pour réaliser l'édition) un descriptif d'un projet d'Œuvres complètes de la philosophe, où se trouvaient définis le nombre de volumes envisagés, leurs intitulés, la structure de l'ensemble, les grands principes auxquels ils s’astreindraient (comme celui de la séparation des textes et des correspondances), le degré de précision scientifique visé (prise en compte de tous les manuscrits, corpus de notes solidement référencées, présence d'index, etc.).
Presque dix années auront donc été nécessaires pour mettre en place cette entreprise qui, l’équipe de Florence de Lussy le savait, les occuperait pendant plusieurs décennies...
Le Fonds Simone Weil fait partie intégrante maintenant du patrimoine conservé à la BNF. Florence de Lussy est particulièrement fière d'avoir pu mener à bien cette opération qui se déroule selon un processus assez complexe et suppose une prestation du conservateur en charge de l'affaire devant un jury polyvalent. Le succès était loin d'être assuré d'avance...
Le professeur Devaux s'étant retiré de l'entreprise il y a quelques années, Florence de Lussy en assure maintenant, seule, la direction.
Autres ouvrages, Quarto paru chez Gallimard , qui rassemble des extraits des 53 essais, articles, correspondance et de certains livres retenus.
Chez Bayard également, sous la direction de Florence de Lussy, sous l'intitulé suivant : Simone Weil Sagesse et grâce violente.
Ce volume concerne la pensée philosophique de l'auteur.
Voici le plan des œuvres complètes de la philosophe Simone Weil chez Gallimard avec indication de la division en tomes et volumes, et précisions concernant les volumes parus, ceux qui vont paraître de façon imminente, ceux qui sont en cours , et ... les autres.
Il s'agit d'une collection de 16 volumes : le premier volume a paru en 1988 il y a donc vingt ans! Et le dixième va paraître à la fin de cette année 2009. Six resteront donc à paraître.
Les invités
- Bertrand Saint-Sernin
Membre de l'Académie des Sciences morales et politiques dans la section Philosophie, il est l'auteur de L’Action politique selon Simone Weil CERF (épuisé)
Agrégé de philosophie, il a été recteur des académies de Nancy-Metz, puis de Créteil, professeur à Nanterre et à la Sorbonne dont il est professeur émérite ; Bertrand Saint Sernin a fait paraître les ouvrages : Whitehead, un univers en essai aux éditions Vrin – Philosophie des sciences chez Gallimard – La raison aux Presses Universitaires de France, Le rationalisme chez Gallimard.
- Florence de Lussy
Conservateur général des bibliothèques, elle a consacré sa thèse de Doctorat à Paul Valéry. La poésie, les poètes (Michaux, Bonnefoy) l’ont retenue longtemps avant qu’elle n’approche l’œuvre de Simone Weil.
- Sylvie Courtine-Denamy
Docteur en philosophie, traductrice, Sylvie Courtine-Denamy, spécialiste de Hannah Arendt, est chercheur associé à l’EA 4117 (Cultures juives d’Europe et de Méditerranée) et au centre Alberto Benveniste d’études sépharades et d’histoire socioculturelle des Juifs de l’Ecole pratique des Hautes études.
Sylvie Courtine-Denamy a publié Simone Weil : La quête de racines célestes aux éditions du Cerf en 2009.
Livres de Florence de Lussy :
Œuvres complètes, de Simone Weil, éditions Gallimard 1997
Simone Weil : Sagesse et grâce violente éditions Bayard Centurion, 2009
En savoir plus :
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