Quarante ans de neurosciences avec Jean Rossier, membre de l’Académie des sciences
Jean Rossier vous propose dans cette émission de faire un tour rapide et ludique de 40 ans de neu-rosciences : de la découverte de la plasticité du cerveau à l’interface cerveau-machine, il n’y a qu’un pas à franchir ! Ce tour d’horizon se termine par quelques pathologies du cerveau qui restent aujourd’hui encore bien curieuses pour les neuroscientifiques.
_ Les neurosciences regroupent toutes les sciences qui s’intéressent au cerveau. Elles réunissent des biologistes, des mathématiciens, des physiciens, des chimistes, des médecins et des ingénieurs qui, ensemble, veulent étudier le cerveau.
Comme le dit Jean Rossier :« Il y a quarante ans, si l’on savait que le cerveau humain était constitué de 100 milliards de neurones, que chacun d’eux communiquait en moyenne avec 10.000 autres en construisant des contacts particuliers appelés les synapses, on ignorait en revanche tout des mécanismes de ces communications. Les neurones apparaissaient comme des câbles électriques, tous de couleur identique. On supposait juste que ces câbles véhiculaient deux messages importants, l’inhibition ou l’excitation. »
Le cerveau, notre tableau électrique
Grâce aux travaux menés par les anatomistes et les neurochimistes, la nature des informations chimiques véhiculées par ces câbles a été caractérisée. Les câbles pouvaient alors être associés à des couleurs différentes comme dans nos tableaux électriques.
Jean Rossier nous fait partager son expérience : « Pendant plusieurs années au Collège de France, j’ai participé à ces recherches en caractérisant des messagers chimiques utilisés pour la communication entre neurones. Ensuite aux Etats-Unis, avec Roger Guillemin, Prix Nobel de Médecine en 1977, j’ai particulièrement étudié les endorphines, ces morphines produites par notre propre cerveau, importantes non seulement dans la perception de la douleur et son contrôle mais aussi dans beaucoup des mécanismes cérébraux associés au plaisir et aux récompenses ».
Ainsi la toxicomanie n'est rien d'autre que l’application répétée de drogues qui va modifier durablement les mécanismes cérébraux conduisant à la sensation de plaisir.
La découverte de la plasticité cérébrale
La plasticité cérébrale semble infinie. Le cerveau se modifie tous les jours !
Cette plasticité est utilisée par nos systèmes de mémoire. Chaque jour, de nouveaux souvenirs s’engrangent dans notre cerveau et l’engramme des anciens (trace biologique de la mémoire) ne disparaît pas facilement.
Certains mnémonistes sont par exemple capables de se rappeler des listes de mots ou de chiffres plus de quinze ans après les avoir vues pour la première fois.
Autre exemple: celui des chauffeurs de taxi. Il y a quelques années une étude d’imagerie RMN montrait que les chauffeurs de taxi londoniens avaient une augmentation de la taille de l’hippocampe, la région du cerveau spécialisée dans la mémoire spatiale. Cette observation laissait penser que l’utilisation permanente de la mémoire des rues et des itinéraires avait un retentissement sur la taille de la région cérébrale concernée.
De même, les joueurs de basket-ball ont des régions du cervelet plus développées ; le cervelet contrôle l’équilibre et les activités motrices.
Enfin, dans une autre étude originale : des sujets d’une vingtaine d’années, sans expérience particulière, ont appris à jongler. Après deux mois d’entraînement, on a pu observer qu’une région du cortex visuel avait augmenté de taille.
Cette région située à l’arrière du cerveau est spécialisée dans l’analyse visuelle du mouvement, tâche essentielle pour le jongleur qui doit sans cesse suivre le mouvement de toutes les balles dans l’espace.
Là où les résultats sont intéressants, c'est que trois mois plus tard, les sujets qui avaient arrêté de jongler voyaient cette région reprendre une taille habituelle.
En d'autres termes, le cerveau est un muscle qu'il ne faut cesser d'entretenir !
La petite histoire ne dit pas en revanche si le développement de régions du cerveau chez les jongleurs, les basketteurs de haut niveau... se fait au détriment d'autres aires corticales !
Le cerveau : un gros consommateur d’énergie
Pour fonctionner correctement, notre cerveau a besoin d'énergie. N'oublions pas que le cerveau est un organe extrêmement structuré et ordonné (une structuration qui a mis plusieurs années à se construire et qui, pour maintenir cette mémoire acquise, a besoin de beaucoup d’énergie).
Pour cela il consomme pas moins de 20% du sang pompé par le cœur (alors qu’il ne représente que 2% de la masse corporelle).
Parmi les découvertes récentes en imagerie cérébrale, les chercheurs se sont aperçus que la quantité d’énergie utilisée pour les tâches conscientes était en réalité très faible.
On estime que 95% de l’énergie consommée iraient à des tâches inconscientes !
L’interface cerveau-machine (BMI) : la science-fiction rejoint la réalité
En moins de 10 ans, les chercheurs ont trouvé la possibilité d’utiliser l’activité cérébrale pour commander des membres artificiels.
Les activités électriques enregistrées à la surface du crâne dans les régions de commande motrice du cortex sont utilisées pour piloter une machine.
Une explication : il suffit de penser à un mouvement pour générer une activité électrique dans la région corticale qui contrôle ce mouvement. La machine, qui sert d’interface, enregistre ensuite ces signaux, les analyse par des algorithmes complexes et les transforme en signaux de commande reliés aux membres artificiels ou aux membres immobilisés des paraplégiques.
Ces programmes de recherche autour de l’interface cerveau-machine représentent la quintessence des recherches pluridisciplinaires en neurosciences, associant mathématiques, intelligence artificielle, éthologie, sciences de l’ingénieur, robotique, neurophysiologie et médecine.
Les applications sont médicales, militaires mais concernent également l'univers du jeu vidéo. Casqué d'un appareil à électrodes, il vous suffira de penser à courir pour que le personnage de votre jeu vidéo s'exécute !
Les curieuses pathologies du cerveau :
Pour terminer cette émission, Jean Rossier vous propose d'aborder quelques pathologies du cerveau, qui restent à la fois passionnantes et mystérieuses pour les neuroscientifiques
Il aime à citer l’ouvrage d’Oliver Sacks L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Paru en 1985 et toujours actuel, ce livre décrit des cas cliniques neurologiques.
« Le titre reprend le cas d'un homme qui savait reconnaître les objets composés de formes géométriques simples, tel un chapeau, mais pas les visages, dont le sien et celui de sa femme » explique Jean Rossier. « Un jour, le patient a confondu la tête de sa femme avec son chapeau ! »
Parmi les 24 cas développés dans l'ouvrage de Sacks, cette émission revient sur deux en particulier :
- celui de Jimmie G., qui a perdu la capacité de développer sa mémoire à court terme à cause du syndrome de Korsakoff. Depuis sa démobilisation à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il ne peut former de nouveaux souvenirs, même si un événement est survenu quelques minutes auparavant. Il croit qu'il est toujours en 1945 et se comporte normalement comme un homme jeune, sauf en ce qui concerne son incapacité à se souvenir de son passé et des événements récents.
- celui d'un étudiant en médecine, âgé de 22 ans, qui après une nuit sous l'influence d'amphétamines, de cocaïne et de PCP, se réveille le matin pour découvrir que son odorat s'est amplifié de façon dramatique. Plusieurs années après avoir rédigé cet ouvrage, Sacks a avoué qu'il s'agissait de lui-même !
Jean Rossier est professeur et chef de service au département de biologie de l’Ecole Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de la Ville de Paris (ESPCI). Ses thèmes de recherche portent sur la transmission synaptique, la chimie des protéines et les méthodes analytiques. Actuellement il s'intéresse à la plasticité du système nerveux central.
Jean Rossier est membre de l’Académie des sciences.
En savoir plus :
Écoutez également l'émission En habit vert, Jean Rossier : la biologie et la biopuce
Jean Rossier, membre de l'Académie des sciences
Oliver Sacks, L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau, édition du Seuil, 1992